Le droit de la santé a connu un chamboulement majeur avec l’introduction des tests génétiques dans notre médecine moderne. Soucieux de prévenir de potentielles discriminations, le droit français a cherché à poser de solides limites à ces tests.
Un cadre juridique très strict
Les tests génétiques désignent tout examen destiné à analyser les caractéristiques génétiques d’une personne. Cette notion juridique a été consacrée avec les lois de bioéthique de 1994 et est encadrée à l’article 16-10 du Code civil, où l’on peut lire que « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique ».
Et même dans le cadre médical ou scientifique, le consentement de la personne est nécessaire. « Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment », mentionne l’alinéa 2 de ce même article.
Bien qu’une partie de la doctrine juridique estime que le test génétique et l’examen des caractéristiques génétiques n’ont pas exactement à la même définition, nous les regrouperons ici par souci de simplification.
La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, et la Convention d’Oviedo, toutes deux signées en 1997, protègent le citoyen européen des discriminations qui pourraient lui être faites en raison de son patrimoine génétique. L’article 1er de la Convention d’Oviedo dispose que « toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne en raison de son patrimoine génétique est interdite ».
L’exemple par le droit des assurances
Avec les avancées technologiques majeures entrevues dès la fin du siècle dernier, le législateur s’est inquiété du devenir et de l’utilisation des tests génétiques notamment par des organismes privés. En 1996, une résolution du Parlement européen exprimait la volonté d’interdire toute transmission de résultats de tests génétiques à d’autres personnes ou institutions en citant les compagnies d’assurance.
Côté français, depuis 2002, c’est l’article L1141-1 du Code de la santé publique qui vient expressément interdire aux compagnies d’assurance de tenir compte des résultats de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne.
À cela s’ajoutent l’interdiction d’exiger de tels tests de la part des souscripteurs, mais aussi l’interdiction d’en demander la communication. Plus simplement : un assureur ne dispose d’aucun droit vis-à-vis de vos tests génétiques. Cette règle est également garantie par l’article L133-1 du Code des assurances. Contrevenir à ces dispositions est puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, selon l’article 226-25 du Code pénal.
Néanmoins, comme le rappelle le juriste Joël Monnet, cette interdiction n’empêche pas un assureur de « tenir compte de données qui pourraient ressortir des réponses données à un questionnaire médical, ne serait-ce par exemple que par référence à une hospitalisation ».
Tests génétiques et droit de la famille : l’éternel conflit
Les tests ADN infirmant ou confirmant une filiation sont certes populaires dans les séries. Dans la pratique, il est beaucoup plus difficile d’y procéder. Pour commencer, on ne peut pas effectuer de tests sur une personne décédée car il pèse sur elle une présomption de non-consentement aux identifications par empreintes génétiques. C’est ce qui découle de l’article 16-11 alinéa 5 du Code civil : « Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort ».
Le respect dû aux morts l’emporte. Cette conception du droit français a été confirmée par le Conseil constitutionnel en 2011, malgré la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une affaire Pascaud c/ France, jugée le 16 juin 2011, où la CEDH fait primer l’intérêt de l’enfant et son droit à l’identité.
Il existe donc une divergence entre interprétation française et européenne. À ce titre, la CEDH a également invalidé l’action d’un homme qui se battait depuis les années 60 pour désavouer la paternité d’un enfant. Alors que l’époque ne lui permettait pas de procéder à des tests ADN, l’homme entendait profiter des avancées technologiques pour prouver sa non-filiation mais il s’était vu refuser cette procédure.
Le refus avait été validé par la CEDH : « […] l’absence d’une quelconque manifestation de la part de l’enfant démontrant son souhait de voir vérifier sa paternité, combinée avec le laps de temps pendant lequel elle a bénéficié de son état civil de manière stable et avec les conséquences patrimoniales que l’acceptation d’une action en désaveu peut entraîner, joue en l’espèce en faveur de l’intérêt de la fille putative du requérant, consistant à ne pas être privée d’une paternité biologique distincte de la filiation. » L’intérêt de l’enfant reste prioritaire et la juge turque n’a pas violé la Convention européenne des droits de l’homme en refusant d’ordonner un test ADN.
En droit français, le refus de se soumettre à des tests génétiques peut devenir une preuve, utilisée par le juge pour déduire la paternité de celui qui s’en défend. La CEDH a confirmé le raisonnement du juge français dans un arrêt en juin 2015.
Le droit de la santé à l’épreuve du numérique
Le développement des entreprises privées proposant des tests génétiques en libre accès pose beaucoup de problèmes à notre législation actuelle. Vous avez probablement déjà entendu parler de célébrités étalant le résultat de l’étude minutieuse de leurs origines par un simple échantillon d’ADN, car c’est un des exemples proposés par ces organismes.
Sauf qu’en théorie, c’est illégal en France. En effet, l’article L1133-4-1 du Code de la santé publique dispose que « le fait, pour une personne, de solliciter l’examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers ou l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en dehors des conditions prévues par la loi est puni de la peine prévue à l’article 226-28-1 du Code pénal ». Soit 3 750 euros d’amende. En pratique, il est plus qu’aisé de se procurer un kit et d’envoyer un échantillon à l’entreprise de son choix.
De nombreux juristes militent pour que notre législation s’ouvre à ces tests et les encadre pour éviter un futur phénomène de « tourisme génétique » (selon les mots de Bernard Perbal), ces technologies et entreprises ayant une tendance à se développer.
Enfin, il y a bien sûr un aspect très important touchant aux données personnelles. Avec le RGPD approchant et les disparités de plus en plus importantes entre la législation américaine et européenne, l’enjeu est de taille.
En 2015, le docteur Joyce Harper se livrait à un test proposé par l’un des leaders en matière de tests génétiques en libre accès, 23andMe. Elle découvre qu’elle serait exposée cinq fois plus que la moyenne au risque de thrombose veineuse. 23andMe, basé à Mountain View, assure ne pas transmettre le résultat de ces tests. « J’ai déjà été contactée par mail par une entreprise vendant des bas de contention », affirme pourtant Joyce Harper, mettant en doute l’opacité que l’entreprise prétend cultiver autour des données.
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