Une bonne douzaine. C’est le nombre de tote bags qui se trouvent en ce moment en ma possession (chez moi, ou dans la rédaction de Numerama). Presque tous les jours, j’en utilise au moins un pour transporter mes achats ou mes affaires — et éviter d’avoir à utiliser un sac en plastique. Mais est-il vraiment nécessaire de posséder une telle collection de tote bags, à part pour me convaincre que je fais un « bon geste environnemental » ?
En France, un argument a souvent été utilisé pour justifier la fin des sacs plastiques à usages uniques dans les commerces, depuis janvier 2017 : « Les sacs en matière plastique sont utilisés quelques minutes mais mettent des centaines d’années à se dégrader dans l’environnement et causent de graves dégâts sur la biodiversité ». Le gouvernement invitait alors les Français à opter pour des « solutions alternatives », parmi lesquelles figure « l’utilisation de sacs réutilisables, quelle que soit leur matière. »
Un sac sommaire, à « trimballer » partout
Parmi ces sacs réutilisables figure effectivement le fameux « tote bag » : un sac en toile sommaire, sans poches ni fermetures, simplement porté à l’épaule à l’aide de ses deux anses, elles aussi en tissu. Sur Wikipedia, on apprend même que le terme vient de l’anglais « to tote », signifiant « trimballer », et que l’objet était utilisé par les postiers britanniques au début du siècle dernier.
Dans les années 2000, les supermarchés de Berlin utilisent des sacs en toile pour emballer les produits. Des créateurs s’emparent du concept, jusqu’à en faire aujourd’hui un accessoire de mode, puis un objet communément présent dans les musées, les associations, et non plus seulement les boutiques de mode.
Tout semble donc se passer comme si l’argument écologique s’était superposé à un intérêt culturel pour ce sac en tissu léger et facilement transportable. Pourtant, l’impact environnemental de cet objet ne serait pas négligeable. Pire encore, les tote bags ne seraient pas nécessairement plus écologiques que les sacs en plastique.
Les totes bags sont-ils vraiment plus écologiques que leur alternative en plastique ?
En février 2018, l’Agence danoise de protection de l’environnement a publié un rapport au sujet du « cycle de vie des sacs de provisions. » Dans ce document de plus de 100 pages, l’agence se penche sur la production, l’utilisation et l’élimination des sacs mis à disposition dans les supermarchés danois en 2017.
Elle précise que la composition des sacs utilisés dans ces lieux varie : il peut s’agir de sacs en plastique recyclable, ou non, ou de sacs en papier ou coton. L’étude devait servir à « identifier le sac de provisions avec la meilleure performance environnementale » et à « identifier un nombre de réutilisations recommandées pour chaque sac en fonction de leur cycle et impact environnemental. »
Écologique… à condition de le réutiliser
Le rapport en arrive à la conclusion qu’un sac en coton biologique doit être réutilisé au mois 149 fois pour avoir un impact positif au regard d’un critère, celui du changement climatique. Lorsque l’on tient compte des autres critères retenus par l’agence (la toxicité pour les humains, la diminution de l’ozone, les matières particulaires…), ce nombre passe à 20 000.
Pour les sacs en coton conventionnels, l’étude note que 52 réutilisations sont nécessaires pour contribuer à lutter contre le changement climatique. En tenant compte de tous les indicateurs, ce même sac devrait au moins être réutilisé 7 100 fois.
En 2011, une étude publiée par l’Environment Agency (Royaume-Uni) en était déjà arrivée à des conclusions similaires : les sacs en coton devraient être réutilisés 131 fois au minimum pour assurer qu’ils aient une incidence moindre sur le réchauffement de la planète que les sacs en plastique non réutilisés.
Faut-il en déduire que les tote bags ne seraient finalement pas une alternative efficace aux sacs plastiques ? « Il faut être prudent sur les alternatives aux objets jetables. Ils ont aussi un impact sur l’environnement. Quand on remplace un objet à usage unique par un objet réutilisable, il faut s’assurer qu’il serve réellement plusieurs fois », nous explique Laura Chatel, membre de l’ONG Zero Waste France.
Les études évoquées doivent ainsi être considérées avec précaution : elles évaluent le « cycle de vie » de différents sacs, et considèrent des éléments aussi variés que l’extraction de la matière première nécessaire à leur fabrication, la manière dont ils sont utilisés, puis jetés. Elles utilisent ces données pour estimer l’impact écologique des sacs de différentes manières (sur le réchauffement climatique, la toxicité, l’utilisation de l’eau).
Quels indicateurs pour évaluer « le cycle de vie » de ces sacs ?
« Il faut prêter attention aux indicateurs, confirme Laura Chatel. Les études qui tentent d’évaluer l’impact des tote bags et celui des sacs en plastique ne s’intéressent pas forcément aux mêmes facteurs (effets sur la faune ou la flore, effet de serre…). C’est moins une question de matériau que d’usage. Par conséquent, il semble difficile de donner une valeur à l’un ou à l’autre. La question de la dégradation dans l’environnement est importante, celle des ressources extraites pour la production aussi. Le coton, par exemple, requiert beaucoup d’eau et parfois l’usage de pesticides. »
Si les matériaux importent, les usages n’ont ainsi rien d’anodin. Comme les études mentionnés semblent le suggérer, c’est la réutilisation de l’objet qui prime pour estimer qu’il est plus ou moins écologique que son alternative en plastique ou papier. Or, la popularité croissante du tote bag, et sa tendance à devenir un véritable outil de communication, peuvent sembler peu compatibles avec l’impératif de réutiliser l’objet.
Un objet marketing
« Il y a un risque avec le tote bag, c’est qu’il devienne un objet avec une valeur marketing, qui est marqué par le moment, par exemple lorsqu’on le récupère lors d’un événement. Certes, l’alternative idéale reste le réutilisable, mais le tote bag doit être réutilisé pour avoir un impact positif. S’il ne sert qu’à un instant T, et qu’on y a facilement accès, peut-être ne vaut-il pas mieux pendre un nouveau sac qui ne va pas servir », poursuit notre interlocutrice.
Du côté des commerçants, qui se sont trouvé une spécialité dans la vente de tote bags, la dimension écologique reste un argument de vente. « Quand nous avons lancé l’entreprise en 2015, nous étions portés par le phénomène de mode autour des tote bags. Puis le côté écologique a pris le dessus, et on a surfé sur la vague d’arrêt des sacs en plastique », nous raconte Mathieu Jalbert, le fondateur de Tote the Bag.
« Un tote bag réutilisé me semble être plus écologique, surtout s’il est gardé dix ans. Sur la conception, c’est vrai qu’il y a des tote bags de promotion qui respirent le pétrole. Les plus bas de gamme sont souvent les plus nuisibles. C’est aussi pour cela que nous essayons d’axer notre promotion en jouant sur le fait que les sacs sont réutilisables, par exemple pour faire les courses », complète-t-il.
« Des totes bags de promotion qui respirent le pétrole »
Le fondateur du site, qui propose un service de sacs en cotons à personnaliser, nous précise que les clients commandent en général un unique tote bag par panier d’achats. Si cet usage semble confirmer que le sac sera peut-être réutilisé, le choix de proposer des collections de tote bags nuance cette observation.
« Nous avons aussi des clients qui commandent plusieurs sacs, dans une même collection qu’ils apprécient, par exemple celle des animaux », concède Mathieu Jalbert. Or, cette pratique semble plutôt incompatible avec la réutilisation requise pour limiter l’impact environnemental négatif des tote bags.
Chez Cool and the bag, qui propose des tote bags venus tout droit de Berlin, la dimension écologique de l’objet n’est pas remise en question. Créée en 2010 en Allemagne, la marque s’est exportée en France, avant d’y être rachetée par Peggy André. Lorsque nous lui présentons l’étude réalisée au Danemark, la gérante de Cool and the bag nous répond qu’elle n’en a « jamais entendu parler », avant d’ajouter, « quand on voit les ravages du plastique sur la planète, la faune, la flore, je ne pense pas qu’il doit y avoir matière à polémique sur les sacs plastiques par rapport aux tote bags. »
Les réutiliser un maximum
Notre interlocutrice ajoute qu’il n’est pas toujours aisé d’assurer une traçabilité parfaite des composants d’un tote bag. « Nous avons la chance de travailler avec une entreprise installée dans les Vosges qui propose un coton de qualité, tissé en France, épais, solide. Mais l’assemblage est fait en Tunisie, ce qui empêche d’obtenir le label Made in France », explique Peggy André.
Affirmer que l’impact environnemental des tote bags serait plus néfaste que celui des sacs en plastique reste une question en suspens. Contacté par nos soins, le Ministère de la Transition écologique et solidaire n’a d’ailleurs pas pu nous répondre sur ce sujet.
Comme le souligne finalement Laura Chatel, « la seule règle absolue que l’on peut donner, pour réduire son impact sur l’environnement, c’est d’essayer de réutiliser au maximum, surtout quand les objets sont conçus pour cela. »
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