« Au cours du mois passé, estimez combien de fois vous vous êtes sentie intéressée par la vie. » Nous sommes en mai 2018, et je suis en train de remplir un questionnaire qui me permettra d’établir mon « bilan cognitif, comportemental et émotionnel ». La centaine de questions auxquelles je dois répondre n’est que le début d’une longue expérience neuropsychologique, qui doit m’amener à tester ma résistance au stress en réalité virtuelle.
La startup qui m’a proposé cette étrange expérimentation porte le nom évocateur d’Open Mind Innovation. Avant d’entamer l’expérience qu’ils me proposent de vivre, je visite le site de l’entreprise pour savoir à quoi m’attendre. J’y découvre qu’ « Open Mind Innovation est une startup de neurosciences qui développe des produits et services pour garder l’esprit vif, jeune et en bonne santé tout au long de la vie. »
Suis-je prête pour ce grand voyage aux confins de mon esprit ? Son préambule, le questionnaire cité plus haut, contient une série de questions assez déroutantes, mais la startup se veut rassurante : « Notre bilan vous permettra de mieux comprendre la façon dont vous gérez vos émotions au quotidien, en fonction de votre personnalité et de votre environnement. À travers une meilleure connaissance de vous-même, vous serez en mesure d’optimiser votre potentiel dans votre vie personnelle et professionnelle. »
Disposition au bonheur, personnalité créative
- « Vous considérez-vous comme étant du matin ou du soir ? »,
- « Je suis d’accord avec cette affirmation : ‘La vie est courte, mange le dessert en premier‘ »,
- « J’ai tendance à être heureux.se très facilement ».
Ces questions ou affirmations singulières sont intégrées dans différents modules du questionnaire : l’évaluation de la disposition au bonheur, l’évaluation de la confiance en soi, ou l’appréciation de la personnalité créative.
Pas de bonne ou de mauvaise réponse
Les unes à la suite des autres, je réponds aux questions en indiquant si je pense qu’elles me correspondent. Je dois avouer qu’il est difficile de retenir un sourire pendant cette introspection. À deux reprises, Open Mind Innovation rappelle qu’ « il est important [d’être] honnête », et qu’ « il n’y a pas de ‘bonne » ou de ‘mauvaise‘ réponse ». Me voici rassurée.
Cette longue série de questions précède la mise en situation à laquelle Open Mind Innovation me prépare : une immersion en réalité virtuelle d’environ 30 minutes. Casque sur la tête, je vais faire mon évaluation neurophysiologique, comme me l’explique quelques jours plus tard Guillaume Victor-Thomas, le fondateur et CEO de la startup. Il m’accueille dans les bureaux très feng shui de l’Espace Kwerk, dans le huitième arrondissement de Paris.
Une évaluation neuro-psychologique en VR
Autour d’un thé, il m’explique que tout est parti de sa propre expérience du stress en entreprise. Guillaume Victor-Thomas évoque une « tension qui [l]’a laissé à la limite du burn-out ».Convaincu que les neurotechnologies peuvent « stimuler la plasticité cérébrale », il a créé Open Mind Innovation avec l’idée de rassembler des chercheurs en neurosciences, des psychologues et des game designers. Les bureaux parisiens sont complétés d’un centre de recherche installé à Caen, en Normandie.
Ensemble, ces spécialistes tentent d’utiliser la technologie pour aider les clients d’Open Mind Innovation à trouver le bonheur, le calme et l’apaisement en situation de stress. Imaginez que vous allez chez un médecin, sauf qu’il vous pose un casque sur la tête au lieu de sortir son stéthoscope. Et que la consultation vous coûte au moins 150 €.
Un divan aux allures de vaisseau spatial
Le jour J est enfin arrivé. De retour dans les locaux parisiens d’Open Mind Innovation, je suis accueillie par Mickaël Eskinazi, psychologue et neuroscientifique. D’une voix calme et rassurante, il m’explique comment va se dérouler la séance, tout en me guidant vers le sous-sol dans des couloirs vides.
Nous entrons dans une pièce faiblement éclairée. À droite, un siège permettant d’allonger ses jambes ressemble davantage à un vaisseau spatial qu’à un divan de psychologue. Face à cette étrange capsule, se trouve une table équipée du matériel informatique qui va permettre à Mickaël Eskinazi de suivre le déroulé de l’expérience — je me sentirais presque comme un cobaye à cet instant.
Bardée de capteurs
Je prends place dans ce siège, m’attendant presque à le voir décoller du sol. Mon interlocuteur me montre le casque HTC Vive Pro qui sera mon intermédiaire vers la réalité virtuelle où mon esprit est censé se révéler. Au bout de mes doigts, Mickaël Eskinazi installe plusieurs capteurs.
« Le premier sert à mesurer l’activité cardiaque, m’explique-t-il tout en cherchant un doigt de ma main suffisamment large pour accueillir le dispositif. Le second capteur mesure ton activité électrodermale, avec la conductance cutanée : ce n’est pas uniquement la mesure de ta transpiration, la peau peut fournir d’autres indices de tes comportements involontaires en situation de stress. » Autour de ma taille, une ceinture m’encercle afin de mesurer mon activité respiratoire.
Activité cardiaque, électrodermale et conductance cutanée
Tous ces capteurs associés permettront d’observer comment mes activités physiologiques évoluent au cours de cette session en réalité virtuelle. Les données enregistrées apparaîtront sous forme de graphique, permettant d’observer les variations que j’ai pu connaître lors des trois étapes de la séance. J’enfile le casque, et j’attrape maladroitement la manette que me tend le neuroscientifique, que je ne vois plus maintenant que la réalité virtuelle devient mon seul univers.
Le premier exercice me confronte à une sphère colorée. Face à moi, elle s’étend et se résorbe au rythme de ma respiration. J’ai besoin d’être guidée par Mickaël Eskinazi pour comprendre que je dois parvenir à inspirer suffisamment longtemps pour que la sphère, qui m’apparaît rose, change de couleur. Elle finit par devenir verte après une large inspiration qui m’a demandé quelques efforts.
Quand le stress monte
La deuxième phase de l’expérience me propulse dans un vaisseau spatial. Devant moi, j’aperçois la paroi en verre du véhicule, et je comprends que je suis à l’intérieur. Deux drones attendent mes ordres pour défendre mon navire d’une invasion extérieure. Au départ, seuls un ou deux drones assaillants se jettent sur le vaisseau, et tentent de le fissurer. À l’aide de la manette, c’est à moi de guider mes deux acolytes pour qu’ils repoussent l’ennemi et réparent le verre brisé.
Au départ, les assaillants sont peu nombreux. Mais ce répit ne dure pas : des drones ennemis surgissent de partout, et le son transmis à mes oreilles devient de plus en plus stressant. Un peu perdue dans les commandes, je devine que le stress est en train de prendre du terrain. Lors d’un deuxième round, je tente de mettre en œuvre la respiration apprise lors du premier module pour ne pas me laisser impressionner par l’attaque en cours. Le résultat est mitigé.
Le ballet de mon cœur et mes poumons
Les drones malveillants laissent place à un dernier module dédié à la relaxation. Devant moi, des points tombent en cascade et des lignes exécutent une danse : je comprends alors que cet étrange ballet est celui de ma respiration et de mes battements cardiaques. Dans mes oreilles, ils se traduisent en musique. Aucune directive ne m’est donnée, si ce n’est celle de reprendre contact avec mes propres sensations afin d’atteindre un état de relaxation.
La séance s’achève, et Mickaël Eskinazi m’aide à ôter le casque et les capteurs qui m’ont accompagné pendant cette demi-heure. Il me laisse sortir progressivement de cette expérience en me posant des questions sur mon ressenti, et en me demandant quels sont les moments où je me suis sentie gagnée par le stress. Il m’invite ensuite à verbaliser les stratégies que j’ai tenté de mettre en œuvre pour retrouver mon calme.
Tout en me guidant vers la sortie, il m’explique que nous nous reverrons une dernière fois : ce sera celle du bilan cognitif, comportemental et émotionnel, établi par ses soins et par un algorithme qu’il a mis au point. L’analyse sera déclinée en deux versions : une longue — il m’annonce que le document fera une trentaine de pages –, et une plus brève, résumée en quatre à cinq pages.
Trois semaines plus tard, l’heure du verdict a sonné. Je retourne chez Open Mind Innovation pour la dernière fois, avec une certaine impatience de connaître les résultats de cette expérience de plus en plus intrigante. Je retrouve Mickaël Eskinazi dans son bureau, là où les précédents clients de la startup ont découvert leur bilan avant moi.
Données anonymisées
Dans la version résumée du bilan, que le psychologue me présente, je découvre donc mes deux évaluations : l’une, psychologique, porte sur ma personnalité, tandis que la seconde, neurophysiologique, s’attarde sur mes réactions comportementales et émotionnelles. La première concerne le test, l’autre mon expérience en réalité virtuelle. La comparaison de ces données doit « souligner les différences existantes entre la manière dont vous vous percevez et la manière dont vous réagissez en situation ». À la fin, la startup propose des recommandations en conséquence.
Open Mind Innovation assure que les données récupérées lors du questionnaire et de l’entraînement en réalité virtuelle sont anonymisées. Elles sont regroupées en plusieurs catégories : psychométrique (questionnaires), comportementale (mouvements du corps) et neurophysiologique (mesures biométriques). Les personnes ayant réalisé le bilan contribuent à enrichir une base de référence, utilisée pour comparer chaque nouveau participant.
Chaque participant enrichit une base de données de référence
Un à un, Mickaël Eskinazi énumère les points que son algorithme a calculés, en me plaçant toujours par rapport à cette base. Le psychologue reprend ses observations, et vient ajouter ses propres notes pour compléter le bilan détaillé. Résilience (la capacité à gérer une situation stressante), régulation cardiaque, stabilité respiratoire, stratégies de coping (les stratégies utilisées en situation de stress) : à chacun de ses paramètres, l’algorithme me range dans une catégorie.
Si les cases montrent parfois leurs limites, l’analyse du neuroscientifique n’est pas si éloignée de la réalité. Ou, plutôt, elle correspond à la perception que je me fais de ma propre façon de gérer le stress. Mettant des mots sur ma personnalité, il identifie mes points forts et ceux à améliorer.
Entrer en cohérence
Dans mon cas, il m’explique que la sphère du premier exercice m’a sans doute perturbée et que j’ai pu me sentir jugée, ce qui a expliqué ma difficulté à respirer avec amplitude. A contrario, je suis parvenue à trouver la stabilité et « entrer en cohérence cardiaque » dans le dernier module, lors duquel aucune directive ne m’avait été donnée. Je dois reconnaître que le bilan me semble plutôt pertinent.
La séance se termine sur une série de conseils pour mieux appréhender les situations stressantes à l’avenir. La respiration profonde et la méditation sont mes leviers d’action pour retrouver quiétude et cohérence.
Une dernière poignée de main, et l’expérience s’achève. Sur le pas de la porte, je jette un œil au bilan de trente pages dans lequel Open Mind Innovation a tenté de sonder mon esprit, et je me dis que je le garderai sans doute au fond d’un tiroir — qui sait, peut-être m’aidera-t-il à gérer mon stress la prochaine fois qu’une armée de drone tentera d’envahir mon vaisseau.
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