Ces vers sont plusieurs fois centenaires : ils ont passé 42 000 ans, pour l’un, et 30 000 ans, pour l’autre, dans la glace en Sibérie. Ces deux vers ronds, aussi appelés nématodes, ont été découvert et réanimés par une équipe de chercheurs russes, qui a dévoilé son incroyable découverte dans la revue scientifique Doklady Biological Sciences le 16 juillet 2018.
Dans leur article, les scientifiques assurent présenter « les premières données démontrant la capacité d’organismes multicellulaires à une cryptobiose de long terme dans les dépôts du permafrost de l’Arctique ». Selon eux, ces vers découverts en Sibérie ont vécu un état de cryptobiose, lors duquel leur métabolisme s’est totalement arrêté.
Les scientifiques estiment que la durée de la cryoconservation de ces vers, c’est à dire la période lors de laquelle ils ont été conservés à une très basse température, est la même que celles des dépôts minéraux, soit entre 30 000 et 40 000 ans. Dans le permafrost, la température ne dépasse jamais les 0 ° C : les vers s’y trouvaient enfouis à 30 mètres de profondeur.
Les vers étaient enfouis à 30 mètres de profondeur
Comme le notent les chercheurs, le permafrost est une « cryobanque unique de ressources génétiques » : ses sédiments renferment une grande diversité d’organismes unicellulaires, qui peuvent être toujours en vie après des centaines de milliers d’années passées à l’état de cryptobiose.
Cryptobiose, cryoconservation, cryogénisation… Cette découverte scientifique remet en avant de nombreux processus destinés à conserver des être vivants, qu’il n’est pas toujours aisé de différencier. Voici ce que ces vers peuvent nous apprendre sur la possibilité de conserver, un jour, des êtres humains.
Qu’est-ce que la cryptobiose ?
Les scientifiques écrivent que les deux vers ont vécu une cryptobiose. Le professeur Stéphane Tirard, spécialisé dans l’épistémologie et l’histoire des sciences, a expliqué ce qu’implique ce processus : il vient tout simplement perturber notre certitude selon laquelle « la durée d’existence d’un être vivant est limitée ».
La cryptobiose est « un état de vie ralentie » que certains êtres vivants sont capables d’adopter pour se protéger contre une mort probable, lorsque les conditions du milieu dans lequel ils se trouvent menacent leur survie. Ces êtres vivants parviennent à réduire leur métabolisme, « dont l’activité peut devenir indécelable », explique le spécialiste.
Pour cela, ils doivent modifier de façon plus ou moins poussée la structure de leur organisme. Ces modifications sont différentes en fonction de chaque organisme : certaines bactéries sont par exemple capables de se protéger en développant des enveloppes — la bactérie Bacillus a ainsi résisté pendant 1000 ans.
Après un temps plus ou moins long, ces êtres vivants peuvent retrouver un état de vie active : ce processus, appelé « reviviscence » peut se produire si les conditions le permettent.
Les êtres unicellulaires ne sont pas les seuls à expérimenter la cryptobiose : Stéphane Tirard explique que plusieurs espèces animales ont montré leur capacité à s’en servir pour « protéger leurs structures utiles ».
Le froid peut entraîner la cryptobiose
Chez la plupart des êtres vivants, le gel de l’eau dans les tissus provoque leur destruction. Les organismes qui entrent en cryptobiose sont justement capables d’éviter cette conséquence qui pourrait être fatale. Chez les animaux capables de supporter le gel, la cristallisation de l’eau se produit à l’intérieur des cellules, où des « agents de nucléation » (des protéines et des phospolipides) permettent de former des cristaux.
La cryptobiose est donc bien une suspension de la vie : elle augmente la durée d’existence de ces organismes, mais pas celle de leur vie active. Autrement dit, les deux vers retrouvés par les scientifiques n’ont pas vécu activement pendant 30 000 années (ou plus) : ils ont maintenu, au cours de ce temps, les propriétés minimales nécessaires pour redevenir un jour actifs.
Quelle différence avec la cryoconservation ?
Contrairement à la cryptobiose, la cryoconservation consiste à conserver des cellules en les exposant à une température très basse, en général située à -196 ° C. La cryoconservation suspend toutes les activités biologiques, même celles qui pourraient habituellement provoquer une mort des cellules.
Si les vers ont survécu à cette cryoconservation, pour d’autres êtres vivants ce processus nécessite d’utiliser des solutions cryoprotectrices. Dans le domaine médical, la conservation des cellules refroidies s’accompagne de l’utilisation de cryptoprotecteurs, pour éviter d’abimer les cellules. En effet, lors du gel, de la glace risque de se former en dehors des cellules : si elle se positionne dans l’espace situé entre les cellules, elle risque de les écraser. La glace peut aussi se glisser à l’intérieur de la cellule, ce qui risque à nouveau de lui être fatal.
Conserver des organes humains : un objectif encore très lointain
À l’heure actuelle, la cryoconservation est principalement employée pour garder des échantillons fins, comme le sperme, le sang, les échantillons de tissus (par exemple de tumeurs), les embryons, le tissu des ovaires et certaines graines de plantes.
Il est aisé de les refroidir, car il n’est pas nécessaire d’utiliser des cryoprotecteurs en grande quantité. Reproduire cette technique pour conserver des organes humains, comme des cœurs ou des fois (sans parler d’être humains entiers) est encore un objectif dont nous sommes très loin.
Pourquoi est-ce plus compliqué pour les humains ?
La cryoconservation des êtres humains, ou celle de leurs cerveaux, est l’objet de nombreuses réflexions et de tests. Des êtres humains en état de mort clinique ont déjà été plongés dans de l’azote liquide. Le procédé de la vitrification, qui empêche la formation de glace risquée pour les cellules, pourrait meme esquisser un futur où les corps humains seraient conservés en bon état.
En 2016, la justice britannique a autorisé la cryogénisation d’une jeune fille de 14 ans. Peu avant son décès, elle avait obtenu le droit d’être cryoconservée : elle espérait ainsi que la médecine du futur pourrait lui redonner la vie et la soigner.
Si les chercheurs russes à l’origine de la découverte des nématodes espèrent que leurs travaux serviront à faire progresser la cryomédecine, il semble aujourd’hui peu probable de pouvoir conserver des humains, ou leurs organes, en copiant les capacités de résistance de ces vers.
Jean-Loup Justine, professeur au Muséum d’histoire naturelle, souligne auprès du Figaro que « les nématodes ont une structure tellement différente de la notre » qu’il serait bien plus complexe de cryogéniser nos propres cellules. Rien ne nous garantit avec certitude qu’elles seraient dans le même état au réveil — à supposer que nous nous réveillions de ce long sommeil, comme les nématodes.
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