L’écoute du bruit blanc et de ses dérivés aide de nombreuses personnes à trouver le sommeil. Si la nature de ce « white noise » est connue, ses effets sur l’endormissement restent mystérieux et encore peu explorés par les scientifiques.

« Le meilleur bruit blanc pour dormir profondément », « 8 heures de bruit blanc pour le sommeil », « son relaxant de pluie en forêt »… Une simple recherche « bruit blanc » sur YouTube affiche de nombreux titres semblables. Certaines vidéos dépassent le million de vues et durent des heures, montrant l’engouement pour ces sons qui seraient capables de mener le corps et l’esprit vers le sommeil — auquel est consacré une journée internationale le 22 mars 2019.

Sur la chaîne Relaxing White Noise, qui a plus de 700 000 abonnés, les contenus sont entièrement consacrés au bruit blanc, avec différentes thématiques comme le son des vagues, de la pluie, ou bien celui d’un lave-vaisselle — la vidéo, publiée le 26 septembre, a aujourd’hui plus de 61 000 vues.

Si vous avez la curiosité de monter le son, vous pourrez entendre une sorte de bruit sourd : il peut sembler doux à votre oreille, ou bien vous rappeler le grésillement moins agréable d’un acouphène. Ce « white noise », ou bruit blanc, serait tout particulièrement adapté pour favoriser l’endormissement. On peut lire, en parcourant par exemple un magazine destiné aux jeunes parents, que le bruit blanc serait « une sorte de bruit de fond » doté de « propriétés hypnotiques » efficaces sur certaines personnes, notamment les bébés.

Bruits d’aspirateurs, de sèche-cheveux, de ventilateurs, de pluie… Difficile de trouver une définition précise et scientifique de ce bruit blanc, comme le constatait Slate en mars 2018. Il faut dire que les études se font rares sur le sujet, et qu’aucune n’aborde encore les effets du bruit blanc sur le sommeil à long terme.

Je n’arrive pas à dormir sans bruit blanc

Pourtant, un simple appel à témoignage lancé sur Twitter a suffi pour confirmer que le bruit blanc est utilisé comme une solution pour trouver le sommeil, se détendre ou s’isoler pour mieux se concentrer : « Je n’arrive pas à dormir sans bruit blanc », « Ça fait déjà 3 ans que j’écoute du bruit blanc pour m’endormir », « J’écoute régulièrement du white noise dans mon open-space au travail », « Je l’ai fait pour endormir ma fille quand elle était petite » sont quelques-unes des réponses que nous avons obtenues.

Mais peut-on mieux le définir ?

Le bruit blanc est utilisé par de nombreuses personnes pour favoriser l'endormissement. // Source : Pixabay/CC0 (photo recadrée et passée en noir et blanc)

Le bruit blanc est utilisé par de nombreuses personnes pour favoriser l'endormissement.

Source : Pixabay/CC0 (photo recadrée et passée en noir et blanc)

« Le bruit le plus bruité que l’on puisse imaginer »

« On parle de bruit blanc par analogie avec la lumière blanche, nous explique dans un entretien Thomas Andrillon, chercheur en neurosciences au sein de l’université Monash (Australie). La superposition des ondes du spectre visible donne la couleur blanche. Si on superpose les fréquences auditives, on obtient un bruit dont la seule caractéristique est l’uniformité. C’est le bruit le plus bruité que l’on puisse imaginer. »

Le spécialiste a eu l’occasion de travailler sur le bruit blanc dans une équipe menée par le professeur Damien Leger, au Centre du sommeil et de la vigilance de l’AP-HP (le centre hospitalier en Île-de-France). Il leur a notamment servi à mettre en évidence que le cerveau humain consolide la mémoire existante et de nouvelles informations lors du sommeil.

Comme le souligne le magazine de vulgarisation Popular Science, il peut sembler contre-intuitif d’écouter du bruit afin de se détendre et de s’endormir. L’avantage du bruit blanc est justement de parvenir à masquer les autres sons. « On sature le système auditif, poursuit Thomas Andrillon. Les récepteurs dans l’oreille interne ne sont pas sensibles aux mêmes fréquences : si on les active tous en même temps avec le bruit blanc, on peut avoir la sensation que les sons extérieurs sont atténués. »

Le bruit blanc sature le système auditif

Pour comprendre ce phénomène, le chercheur propose de faire une autre analogie avec la vision. Lorsque l’on projette une image à l’aide d’un vidéoprojecteur et que l’on ajoute de la lumière blanche (en allumant par exemple la lumière dans la pièce), cela va atténuer les contrastes. « En augmentant l’intensité, l’image disparaît », résume Thomas Andrillon. Le bruit blanc fonctionne de manière similaire en faisant « disparaître » les autres sons pour notre audition.

PexSnap/CC0 (photo recadrée et passée en noir et blanc)

Le bruit blanc masque les autres sons environnants. // Source : PexSnap/CC0 (photo recadrée et passée en noir et blanc)

Et, cela semble évident, le bruit blanc est créé de façon artificielle. « Notre environnement n’est pas composé de ces bruits purs. Le bruit blanc a été utilisé à partir du moment où l’on a produit des systèmes acoustiques comme ceux des postes de radio et de télévision qui fonctionnent avec des ondes électromagnétiques », nous explique Thomas Andrillon.

Le bruit rose, plus agréable à nos oreilles

Si le chercheur parle de ces bruits au pluriel, c’est parce que le « white noise » n’est qu’un membre d’une plus grande famille. Le bruit rose par exemple est une déclinaison du bruit blanc : la différence se joue au niveau de l’intensité des fréquences les plus élevées, qui sont légèrement réduites. La première vidéo que l’on trouve en cherchant « pink noise » dans YouTube dure plus de 9 heures et a été vue plus de 3 millions de fois. À l’écoute, elle rappelle le son de la pluie en train de tomber. Un générateur plus complet se trouve à cette adresse.

Pourquoi ces sons sont-ils utilisés par certaines personnes pour s’endormir ? Selon notre interlocuteur, les études n’aboutissent à « aucun consensus sur les effets de ces bruits sur l’amélioration de la qualité du sommeil. » Le chercheur nous explique que, d’après ses propres expériences, « les réactions sont contrastées. »

En 1990, 4 chercheurs de la maternité Queen Charlotte Hospital de Londres ont mené une étude sur un groupe de 20 nouveau-nés, âgés de 2 à 7 jours. Lors de leur expérience, 16 d’entre eux ont trouvé le sommeil en s’endormant dans les 5 minutes où on leur avait fait écouter du bruit blanc. Les chercheurs en ont déduit que « le bruit blanc peut aider les mères à calmer les bébés. » Quelques années plus tôt, en 1972, une étude menée par Thomas D. Scott, de l’université de Californie, avait montré que le bruit blanc pouvait influencer le sommeil paradoxal de sujets adultes.

Les études n’ont pas adopté une approche individualisée

En 2004, une autre étude a observé comment le bruit blanc semblait influencer le sommeil de patients placés en unité de soins intensifs : les chercheurs de la faculté de médecine Warren Alpert (États-Unis) se sont demandé si le sommeil des patients serait moins perturbé par les bruits de fond des lieux en ajoutant du bruit blanc. Selon leurs conclusions, cet ajout a « considérablement réduit les éveils nocturnes. »

Les travaux sur les effets du bruit blanc sur le sommeil n’ont pas adopté une approche individualisée. Thomas Andrillon évoque une autre de leurs limites : « Il est difficile pour un dormeur de juger de la qualité de son propre sommeil », note le chercheur.

Une machine à bruit blanc. // Source : Your Best Digs

Une machine à bruit blanc.

Source : Your Best Digs

Ces observations datées sont aujourd’hui renouvelées par des développements commerciaux autour des bruits censés nous endormir. Les « white noise machine » ou machines à bruit blanc, que l’on peut trouver en vente sur des sites comme Amazon, ne sont plus les seuls objets qui exploitent le potentiel de ces sons.

Une question de temporalité, plus que de son ?

« La France est pionnière, avec la startup Dreem qui utilise le bruit rose pour essayer d’entraîner le cerveau dormant. Mais il s’agit davantage d’une question de timing que de son », nous explique Thomas Andrillon.

Avec son casque, Dreem tente d’intervenir dans l’une des phases du sommeil : le sommeil à ondes lentes. L’activité cérébrale est moins rapide : les ondes électriques du cerveau ont une grande amplitude, que l’on peut tenter d’étirer davantage pour favoriser la qualité du sommeil et la mémoire. Si le bruit rose intervient au moment opportun, il peut amplifier les ondes.

« Cette amplification de l’onde lente a été démontrée et fonctionne très bien. Ce qui est encore en suspens, ce sont les réels avantages pour les dormeurs. Il reste encore compliqué de démontrer les effets sur la qualité du sommeil et les fonctions cognitives. Par ailleurs, il faudra aussi savoir quels sont les effets nocifs sur le long terme : on est quand même en train de stimuler un cerveau dormant avec un perturbateur externe », nuance notre interlocuteur.

Et si l’effet relaxant n’était pas spécifique aux bruits blancs, mais qu’il venait du fait que le bruit blanc nous aide à focaliser notre attention ? « La rumination est l’un des problèmes classiques de l’endormissement. Le bruit blanc a peut-être un effet qui n’est pas spécifique : il nous relaxe, car on se concentre sur un bruit indifférencié. Il pourrait alors être remplacé par des techniques de relaxation ou de respiration », note Thomas Andrillon.

L’effet du bruit blanc n’est peut-être pas spécifique

À supposer que l’assoupissement soit bien lié au bruit blanc, la manière dont la plupart des utilisateurs l’écoutent est peut-être contre-productive : les ordinateurs portables, smartphones et tablettes sont des facteurs aggravants de l’insomnie. Les garder près de soi en s’exposant à leur lumière (que notre cerveau interprète pour savoir s’il fait jour) et aux notifications peut déréguler le sommeil. « Le cerveau humain a la capacité géniale de modifier notre degré de vigilance pendant le sommeil : il risque de dormir de façon moins profonde s’il est sollicité », assure le chercheur.

À l’heure actuelle, les recherches sur le bruit blanc et ses dérivés n’ont pas encore réussi à identifier ce qui rend un individu sensible à ces sons au moment de chercher le sommeil. Comme le résume Thomas Andrillon, faisant écho à d’autres chercheurs, « ce qui peut marcher sur un dormeur peut ne pas marcher sur un autre. La question de la qualité du sommeil reste mystérieuse. »

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