60 ans après sa mort, Nikola Tesla a donné son nom à l’un des plus célèbres constructeurs de voitures électriques de luxe. Si on ne présente plus le CEO de Tesla, le nom du savant marginal des 19e et 20e siècle est moins connu des contemporains d’Elon Musk.
Qui était vraiment Nikola Tesla ? Comment ses travaux sur l’énergie électrique ont-ils fait avancer la recherche et l’industrie jusqu’à nos jours ? Et pourquoi Tesla est-il resté si longtemps méconnu, malgré son étonnante inventivité ?
Un fervent défenseur du courant alternatif
« Nikola Tesla est connu pour avoir développé le courant alternatif et pour avoir eu un rôle prépondérant dans son adoption », résume Anne Blavette, chercheuse en génie électrique, interrogée par Numerama sur les travaux de l’ingénieur. La spécialiste explique qu’une véritable « guerre des courants » s’était engagée à son époque : elle opposait Nikola Tesla à Thomas Edison, ardent défenseur de ce qu’on appelle le courant continu.
Nikola Tesla est né en 1856 dans l’Empire d’Autriche (dans l’actuelle Croatie). Ses origines font l’objet de vifs débats : il s’identifiait comme un Serbe de Croatie, mais avait déclaré être autrichien lorsqu’il a demandé à être naturalisé américain en 1891.
Après des études supérieures inachevées en Autriche puis à Prague, Nikola Tesla devient ingénieur en 1881. Il travaille à cette occasion sur le premier système téléphonique de Hongrie et invente ce que certains considèrent comme l’ancêtre du haut-parleur. En 1882, il est de passage à Paris : il y est recruté pour intégrer la Edison General Electric Company, fondée par Thomas Edison. C’est à ce moment que Nikola Tesla met au point le premier moteur à induction à courant alternatif.
Tesla vs. Edison
« Le courant alternatif a vraiment révolutionné la structure du réseau électrique naissant », nous assure Anne Blavette. Pour comprendre comment il fonctionne, il faut d’abord comprendre le principe du courant continu : « Il se caractérise par une amplitude constante au cours du temps. Il va d’un point A à un point B. Le courant alternatif, lui, va d’un point A à un point B puis revient. Le courant alternatif circule entre nous et le réseau électrique », détaille-t-elle. Deux cheminements expliqués sur le schéma suivant : le courant direct (en rouge) et l’alternatif (en vert) sont représentés en fonction du temps. Nos réseaux électriques actuels fonctionnent en courant alternatif.
Nikola Tesla et ses idées n’attirent guère l’attention des Européens, et il accepte la proposition de Thomas Edison de venir travailler aux États-Unis en 1884. À 28 ans, il constate que le réseau électrique de New York, nouvellement installé par Edison, a des faiblesses. Or, il est conçu en courant continu.
Comme nous l’explique Anne Blavette, le courant continu à la base de telles installation « était à cette époque produit seulement à basse tension » : voilà pourquoi les pertes étaient importantes sur les lignes électriques. Ce type de courant nécessitait d’installer de nombreuses petites centrales à proximité des lieux à fournir en électricité.
Ce sont exactement les problèmes que Tesla annonce alors résoudre avec le courant alternatif, qui repose sur la présence de transformateurs. « Ils modifient la valeur de la tension et du courant électrique, nous éclaire Anne Blavette. Quand on augmente la tension, le courant diminue. » À l’époque, cela signifie moins de pertes sur une même ligne et la possibilité de transmettre de l’énergie sur de grandes distances.
Nikola Tesla prône la construction de grandes centrales, éloignées des sites de production. Mais son rêve humaniste d’apporter gratuitement l’électricité à tous les foyers grâce au courant alternatif se heurte au pragmatisme de Thomas Edison.
« Edison était un inventeur très pragmatique : il voulait faire fonctionner les choses et les vendre. Tesla voulait simplement comprendre les mystères de l’électricité », explique l’historienne Jill Jonnes dans le documentaire American Experience: Tesla, disponible sur Netflix. Quand Nikola Tesla parle à Thomas Edison de son moteur basé sur le courant alternatif, son interlocuteur lui répond tout simplement qu’il perd son temps.
Il voulait comprendre les mystères de l’électricité
Nikola Tesla démissionne et tombe dans la pauvreté jusqu’au jour où deux investisseurs, qui comptent sur les retombées lucratives du courant alternatif, mettent à sa disposition un laboratoire.
Ils rachètent les brevets déposés jusqu’alors par Tesla, et lui promettent la somme de 2,50 dollars pour chaque cheval-vapeur de courant alternatif vendu. Mais l’un des investisseurs se rétracte et demande à Tesla de renoncer à cette clause, ce que ce dernier accepte. Si Nikola Tesla n’avait pas déchiré ce contrat ou s’il avait tenté de le négocier, il aurait pu être « l’un des hommes les plus riches de l’histoire », assure la romancière Samantha Hunt dans American Experience: Tesla.
La guerre des courants
À cette époque, les travaux de Tesla sur le courant alternatif attirent aussi l’attention de George Westinghouse, un ingénieur en concurrence directe avec Edison : il lui propose de travailler dans ses laboratoires. La « guerre des courants » fait rage entre le clan Westinghouse-Tesla et Edison.
« Il faut imaginer la guerre des courants comme une bataille fiévreuse », nous explique Anne Blavette. Thomas Edison, prêt à démontrer que le courant alternatif était plus dangereux que le courant continu, a encouragé l’invention de la chaise électrique — alors même qu’il était opposé à la peine capitale. « Mais globalement, les arguments à l’encontre du courant alternatif n’étaient pas convaincants », poursuit notre interlocutrice.
Ces rivalités s’achèvent lorsque Westinghouse obtient, en 1893, le contrat lui permettant d’installer toute l’infrastructure électrique des États-Unis. Le courant alternatif a gagné. Mais l’ingénieur est couvert de dettes : il parvient à convaincre Tesla de renoncer à ses royalties.
Nikola Tesla se retranche dans la tour de Wardenclyffe, qu’il a fait construire en 1901. Grâce à cette installation, il espère réussir la première transmission radio transatlantique. Le savant n’obtient aucun résultat probant et s’isole peu à peu, tandis que son rival Guglielmo Marconi est décoré d’un prix Nobel pour son invention de la « télégraphie sans fil » — une découverte pourtant permise par l’un des brevets de Tesla.
Nikola Tesla meurt en janvier 1943, dans une chambre de l’hôtel New Yorker. Le scientifique achève son existence avec pour seule compagnie les pigeons qu’il avait coutume de nourrir à Bryant Park, et couvert de dettes. Il laisse derrière lui 300 brevets, dont ses travaux sur le courant alternatif, la haute fréquence et la télégraphie sans fil.
Aujourd’hui, nous ne pensons pas à Nikola Tesla lorsque nous allumons la lumière dans une pièce, mais ses travaux ont portant posé les bases de l’actuelle distribution de nos réseaux électriques, qui utilisent le courant alternatif.
« On se pose maintenant la question de réintroduire du coutant continu dans nos réseaux électriques », nous fait remarquer Anne Blavette. Le courant continu est celui qui alimente nos smartphones et ordinateurs, équipés de batteries, ainsi que les panneaux solaires. Dans ce denier cas, le courant doit être transformé en alternatif pour être injecté dans le réseau. « Certains proposent que l’alimentation en courant continu issue des panneaux solaires puisse se faire vers les équipements électroniques sans cette étape intermédiaire », explique la spécialiste.
Thomas Edison parlait de son rival en disant qu’il était un « poète de la science » : un ingénieur à l’intelligence féconde, qui doit sûrement son relatif anonymat à sa candeur et sa folie douce.
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