Où sont les femmes dans les technologies et les sciences ? Dans l’ombre de leurs homologues masculins, pour un grand nombre d’entre elles. Nous avons décidé de revenir sur le parcours de ces inventrices oubliées par l’Histoire, dont les exploits ont été notamment attribués à des hommes. On parle d’effet Matilda pour désigner la manière dont la contribution de nombreuses femmes scientifiques a été minimisée, voire attribuée à des confrères masculins.
Marthe Gautier et la trisomie 21
Marthe Gautier, née en 1925 en Seine-et-Marne, a dédié sa vie à la médecine. Elle commence ses études à l’âge de 17 ans à Paris en 1942, puis réussit le concours de l’internat des hôpitaux parisiens. Elle se spécialise ensuite pendant 4 ans en pédiatrie en tant qu’interne, avant de soutenir en 1955 sa thèse en cardiologie pédiatrique. C’est son directeur de thèse qui lui propose la même année de partir pendant un an étudier à Harvard, avec une bourse américaine, afin de se spécialiser en cardiologie. Marthe Gautier fait ainsi partie des tout premiers internes des hôpitaux de Paris à avoir une bourse d’études pour étudier aux États-Unis.
À Harvard, elle se forme à de nouvelles techniques de culture cellulaire, une pratique encore rare en France à l’époque, et qui lui permettra de mener grand nombre d’expériences. À son retour en France, elle rejoint une équipe spécialisée dans la recherche sur la maladie de Down. Grâce aux techniques qu’elle a apprises aux États-Unis, Marthe sera la première à mettre en évidence la présence d’un chromosome supplémentaire chez les malades : c’est la découverte de la trisomie 21.
Mais, avant de pouvoir faire publier ses conclusions, il faut qu’elle puisse faire des photos de sa découverte, ce qu’elle n’a pas le budget de faire. C’est un autre chercheur, un certain Jérôme Lejeune, qui lui propose de s’en charger dans un autre laboratoire. C’est lui aussi qui publie, en 1958, sous son nom, la découverte de Marthe Gautier, reléguée au rang de simple assistante. Ce n’est qu’en 2007, 13 ans après la mort de Jérôme Lejeune, que Marthe Gautier ne prend la parole pour dénoncer le vol. Elle recevra finalement la médaille de la Légion d’honneur en 2014, avant de mourir le 30 avril 2022.
Ada Lovelace et le premier programme informatique
Son manuscrit en atteste encore aujourd’hui : Ada Lovelace, née en 1815 et décédée à 37 ans, a réalisé le premier programme informatique. Entre 1842 et 1843, la comtesse traduit en anglais un article du mathématicien Federico Luigi, qui décrit la machine analytique de Babbage. Sur les conseils de ce dernier, elle va enrichir cette traduction avec ses propres notes, dont le volume est plus imposant que le texte de départ.
Dans la note G, elle présente un algorithme particulièrement détaillé. Ce travail est considéré comme le premier programme informatique du monde, rédigé dans un langage exécutable par une machine. Charles Babbage, qui a consacré sa vie à la construction de cette fameuse machine analytique, a bien bénéficié du travail sur l’algorithme mené par Ada Lovelace.
Hedy Lamarr et le Wi-Fi
On ne doit pas seulement à Hedy Lamarr, actrice autrichienne naturalisée américaine, une trentaine de films. L’inventrice, née en 1914 et décédée en 2000, a aussi joué un autre rôle important dans l’histoire de nos télécommunications. Le brevet qu’elle a déposé en 1941 (enregistré l’année suivante) en atteste encore : Hedy Lamarr avait inventé un « système secret de communication » pour des engins radio-guidés, comme des torpilles. La découverte, à l’origine du GPS et du Wi-Fi, était le fruit d’une collaboration avec George Antheil, un pianiste américain.
Le brevet ainsi déposé permettait à l’Armée des États-Unis de l’utiliser librement. La technologie n’a pourtant pas été mobilisée avant 1962, lors de la crise des missiles de Cuba. La « technique Lamarr » a valu à l’actrice un prix en de l’Electronic Frontier Foundation… en 1997.
Alice Ball et le traitement contre la lèpre
Pendant 90 ans, l’université d’Hawaï n’a pas reconnu son travail. Pourtant, Alice Ball a contribué au développement d’un traitement efficace contre la lèpre au cours du 20e siècle. Cette chimiste, née en 1892 et morte en 1916 à l’âge seulement de 24 ans, est devenue la première afro-américaine diplômée de cet établissement. Plus tard, elle y est devenue la première femme à enseigner la chimie.
Alice Ball s’est penchée sur une huile naturelle produite par les arbres de l’espèce « Chaulmoogra », réputée pour soigner la lèpre. En isolant des composants de l’huile, elle est parvenue à conserver ses propriétés thérapeutiques tout en la rendant injectable dans le cops humain. Décédée avant d’avoir eu le temps de publier ses travaux, Alice Ball est tombée dans l’oubli tandis qu’Arthur L. Dean, le président de l’université d’Hawaï, s’est attribué son travail.
Grace Hopper et le premier compilateur
En 1951, Grace Hopper a conçu le premier compilateur, c’est-à-dire un programme capable de traduire un code source (écrit dans un langage de programmation) en code objet (comme le langage machine). Née en 1906 et décédée en 1992, cette informaticienne américaine a fait partie de la Marine américaine où elle s’est hissée au grade d’officière générale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a travaillé sur le Harvard Mark I, le premier grand calculateur numérique construit aux États-Unis. Le mathématicien John von Neumann est présenté comme celui qui a initié l’un des premiers programmes exécutés par la machine. Grace Hopper faisait pourtant partie de l’équipe des premiers programmateurs du Mark I.
Esther Lederberg et la génétique bactérienne
Cette spécialiste de microbiologie était une pionnière de la génétique microbienne, une discipline croisant la microbiologie (l’étude des micro-organismes) et le génie génétique (l’ajout et la suppression de l’ADN dans un organisme). La génétique microbienne consiste à étudier les gènes des micro-organismes.
Esther Lederberg est née en 1922 et décédée en 2006. Elle a découvert ce qu’on appelle le « phage lambda », un virus qui infecte notamment la bactérie E.coli. Le phage lambda est très étudié en biologie et il est utilisé pour permettre le clonage de l’ADN. Esther Lederberg l’a identifié en 1950. Elle collaborait régulièrement avec son mari Joshua Ledeberg : c’est lui qui a obtenu le prix Nobel de médecine en 1958, récompensant ces travaux sur la manière dont les bactéries échangent des gènes sans se reproduire.
Jocelyn Bell et le pulsar
En 1974, le prix Nobel de physique est remis à l’astronome britannique Antony Hewish. Pourtant, ce n’est pas lui qui a découvert le pulsar, un objet astronomique qui pourrait être une étoile à neutrons tournant sur elle-même. Antony Hewish était le directeur de thèse de Jocelyn Bell : il a construit le télescope nécessaire à ces observations. C’est bien l’astrophysicienne, née en 1943, qui a identifié la première le pulsar.
En 2018, elle a finalement reçu le Prix de physique fondamentale. Elle a choisi d’utiliser les 3 millions de dollars qui lui ont été offerts pour encourager les étudiants sous-représentés dans le domaine de la physique.
Chien-Shiung Wu et la physique nucléaire
Chien-Shiung Wu, née en 1912 et décédée en 1997, était une spécialiste de la physique nucléaire. En 1956, elle démontre par l’expérience la « non conservation de la parité dans les interactions faibles », au cours de ses travaux sur les interactions électromagnétiques. C’est une contribution importante à la physique des particules.
Deux physiciens théoriciens chinois, Tsung-Dao Lee et Chen Ning Yang, avaient mené des travaux théoriques sur cette question. Tous deux ont reçu le prix Nobel de physique en 1957. Il faut attendre 1978 pour que la découverte expérimentale de Chien-Shiung Wu soit récompensée par l’obtention du prix Wolf de physique.
Rosalind Franklin et la structure de l’ADN
La physico-chimiste Rosalind Franklin, née en 1920 et décédée en 1958, a joué un rôle important dans la découverte de la structure de l’ADN, notamment sa structure à double hélice. Grâce à la diffraction des rayons X, elle prend des clichés d’ADN qui permettent de faire cette découverte. Elle présente ses résultats en 1951 au King’s College.
Un certain James Dewey Watson assiste à cette présentation. Ce généticien et biochimiste informe le biologiste Francis Crick de la découverte de Rosalind Franklin. En utilisant les photos de la physico-chimiste, ils publient ce qui semble être leur découverte de la structure de l’ADN. En 1953, ils publient ces travaux dans la revue Nature. Ils obtiennent un prix Nobel en 1962, sans mentionner le travail pionnier de Rosalind Franklin.
Lise Meitner et la fission nucléaire
Nommée trois fois pour recevoir un prix Nobel, cette physicienne autrichienne n’a jamais reçu la précieuse distinction. C’est pourtant une collaboration entre Elise Meitner et Otto Frisch, son neveu, qui permis d’apporter la première explication théorique de la fusion, en 1939.
La scientifique, née en 1878 et décédée en 1968, n’a jamais reçu du comité remettant la distinction la même estime que celle que lui portaient ses collègues. En 1944, le prix Nobel de chimie fut donné à Otto Hahn, chimiste considéré à tort comme le découvreur de la fission nucléaire.
Katherine Johnson et la navigation astronomique
L’action déterminante de Katherine Johnson dans les programmes aéronautiques et spatiaux de la Nasa a fait l’objet d’un film, Les Figures de l’ombre. Née en 1918, cette physicienne et mathématicienne a calculé de nombreuses trajectoires et travaillé sur les fenêtres de lancement de nombreuses missions. Véritable « calculatrice humaine », elle a vérifié à la main des trajectoires de la mission Mercury-Atlas 6, qui a envoyé un homme en orbite autour de la Terre.
En 1969, elle calcule des trajectoires essentielles lors de la mission Apollo 11. C’est à cette occasion que des humains — des hommes — se sont posés pour la première fois sur la Lune. En 2015, elle est récompensée et reçoit la médaille présidentielle de la Liberté.
Sophie Germain et son théorème essentiel pour construire la tour Eiffel
Née en 1776, Sophie Germain est une mathématicienne de génie, au parcours atypique. C’est grâce à un stratagème astucieux qu’elle parvient à suivre les cours de l’École polytechnique, en se faisant passer pour un homme, Antoine-August Le Blanc.
Avec acharnement, elle parvient à démontrer la loi mathématique derrière la vibration des surfaces élastiques en 1816. Sans ces fondations mathématiques posées par Sophie Germain, un projet tel que la tour Eiffel n’aurait pu exister. Pourtant, son nom ne figure pas parmi ceux des 72 savants inscrits sur cette structure.
Joan Ball, l’inventrice du matchmaking
Operation Match, créé en 1965 par plusieurs étudiants de l’université de Harvard, est souvent présenté comme le premier service numérique permettant de trouver l’amour. Pourtant, c’est oublier le rôle pionner de Joan Ball dans ce domaine. Bien avant l’invention de Tinder, c’est elle qui songe la première que nous pourrions consulter une base de données pour trouver un partenaire compatible.
Née en 1934, Joan Ball travaille dans une agence matrimoniale lorsqu’elle a l’idée de créer sa propre société, Eros Friendship Bureau en 1962. Elle estime qu’il lui faut une solution plus efficace, face au nombre de clients qui ne cesse d’augmenter. Elle demande à ses clients de lui répondre par écrit sur ce qu’ils et elles ne recherchent pas chez un ou une partenaire, de façon standardisée, pour pouvoir quantifier et comparer les réponses. Deux ans plus tard, elle renomme son bureau matromonial en St.James Computer Dating Service : le premier « site de rencontres » est né. À l’âge de 87 ans, un documentaire lui a été consacré pour la première fois.
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