Plusieurs réseaux sociaux ont annoncé ces dernières semaines de nouvelles mesures pour lutter contre la désinformation autour des vaccins. YouTube de son côté, a expliqué le 22 février qu’il allait démonétiser les vidéos concernées. Mais en pratique, cette méthode semble peu efficace.
Sous pression, YouTube annonce des mesures
Le 14 février, Adam B. Schiff, un membre du congrès américain, adresse à Facebook, Instagram et Google, la maison-mère de YouTube, un courrier. Il y déplore que les plateformes mettent en avant et recommandent des informations qui « découragent des parents de vacciner leurs enfants ». Il explique que cela va à l’encontre des progrès qui ont été faits ces dernières années pour prévenir certaines maladies et en conséquence, que cela nuit à la santé publique.
YouTube avait déjà annoncé des mesures contre la désinformation médicale et les théories conspirationnistes. La plateforme avait notamment promis qu’elle ne les afficherait plus dans ses recommandations. Dans sa lettre, Adam B. Schiff recommandait cependant d’agir davantage.
Suite à cette prise de position, plusieurs annonceurs ont décidé de boycotter YouTube, comme ils l’avaient déjà fait par le passé. La plateforme a alors expliqué à Buzzfeed fin février que les vidéos anti-vaccins seraient désormais démonétisées.
Des vidéos toujours très visibles
Nous avons voulu savoir si une telle mesure pouvait réellement empêcher la propagation de fake news. Pour cela, nous avons simplement tapé quelques mots clés dans la barre de recherche, comme n’importe quel internaute un peu curieux ou inquiet aurait pu le faire. Les résultats obtenus sont édifiants et la visibilité de ces vidéos indéniable.
En tapant « vaccins » on obtient parmi les 50 premières vidéos affichées 18 % de contenus avec des fausses informations à l’intérieur. Ce chiffre s’accroît encore plus lorsque l’on cherche « vaccins vérité » : il dépasse alors les 50 %. Pour « vaccins autisme », on trouve 30 vidéos sur 50 contenant des informations fausses, soit un ratio de 60 %. Enfin, en tapant « vaccins mensonge », on remarque que YouTube n’a pas très envie de nous ôter d’éventuels doutes. 36 vidéos, soit 72 % des résultats, sont des contenus de désinformation.
Ces vidéos partagent de nombreuses thèses dangereuses. On nous explique par exemple que les vaccins rendent des enfants « autistes » ou « sourds-muets », ce qu’aucune étude scientifique sérieuse n’a prouvé. Une vidéaste indique que ceci serait lié au fait que les maladies nous permettent normalement d’évacuer « l’héritage empoisonné ». En se faisant vacciner, nous perturberions cette évacuation… et le trop-plein causerait des maladies graves et des déficiences mentales. Une telle théorie est là encore complètement dénuée de fondement scientifique.
Des ressorts complotistes et méfiance envers le corps médical
Les ressorts du complotisme sont utilisés par ces vidéastes (qui comptent entre quelques dizaines et quelques centaines de milliers d’abonnés) pour valider leurs théories. Les médecins sont décrits comme des personnes « arrogantes » et mal intentionnées. Les vaccins ne seraient qu’un moyen pour eux, ou les laboratoires, de se faire de l’argent. Les médias eux, participeraient à une campagne de lobbying qui alimente tout ce système. Il n’est pas rare d’entendre des formulations comme « ce qu’on nous a toujours caché ». Une vidéo prétend même que les vaccins sont une invention destinée uniquement à « éliminer les deux tiers de l’humanité ».
« Ce qu’on nous a toujours caché »
Il semble très facile de croire à certaines théories lorsque l’on est peu ou mal informé. Dans les vidéos de désinformation, on utilise en effet volontiers des chiffres, des études ou même des témoignages de « vrais » médecins. Comme l’écrit un internaute dans un commentaire, « voilà un docteur qui parle, ce n’est pas un théoricien du complot ». « Que faut-il de plus pour convaincre les pro-vaccins ?? » s’insurge Y Gb.
En réalité, les études présentées portent sur des échantillons très faibles et leur fiabilité a été remise en cause par la communauté scientifique.
Des « experts » sans formation médicale
Quant aux spécialistes de santé mis en avant, ils sont également douteux. L’une des premières vidéos sur lesquelles on tombe en cherchant sur YouTube « vaccins vérité » met en scène le docteur Alain Scohy. Il s’agit en fait d’un militant anti-vaccin qui a été radié de l’Ordre des médecins en 1996. Le motif avancé par l’Ordre était : « Abandon des traitements conventionnels ».
Parmi les personnes qui reviennent souvent, on trouve aussi Sylvie Simon. Dans une vidéo, elle explique que l’hépatite B n’est « pas très grave » et qu’il n’est donc pas utile de se vacciner. La maladie a pourtant fait 1,5 million de morts en 2015. De surcroit, Sylvie Simon, aujourd’hui décédée, n’a jamais été médecin. Dans sa jeunesse, elle a été mannequin, avant de devenir antiquaire.
Irène Grosjean, régulièrement invitée dans ces types de vidéos, n’est pas davantage qualifiée. Elle a étudié la naturopathie, qui n’est pas une formation de médecine.
Soupçons de dérives sectaires
D’autres ont bien étudié la médecine. C’est le cas du professeur Joyeux, actuellement en procédure car l’Ordre des médecins souhaite sa radiation. Quant à Christian Tal Schaller, une autre figure, il était médecin mais coutumiers de propos aberrants, comme le fait que le sida se soigne sans traitement, et habitué à diffuser des théories dangereuses sur les vaccins. Il a été condamné par la justice française pour des motifs d’ordre économiques et administratifs et il lui a été interdit d’organiser des stages sur la santé. Il affirmait être la cible des « mafias pharmaceutiques » et a été soupçonné de dérives sectaires (on lui prêtait notamment une proximité avec la secte du Temple solaire). Cela n’a pas été prouvé de manière formelle.
D’autres vidéastes ou experts mis en avant dans les vidéos que nous avons trouvées sont soupçonnés de dérives sectaires. Le youtubeur Thierry Casasnovas par exemple, est suivi de très près par la Miviludes, la mission interministérielle chargée de repérer et de lutter contre les dérives sectaires. Particulièrement populaire, il explique comment se soigner avec des jus de fruits sur sa chaîne, et a réalisé une série « documentaire » sur les vaccins dans lesquelles il diffuse de fausses informations sur les vaccins – il assure ne pas être, en théorie, contre le principe.
Serge Blisko, le président de la Miviludes, expliquait en 2017 avoir reçu des dizaines de signalements à son encontre. Le vidéaste dément tous les faits qui lui sont reprochés. Il n’a jamais été condamné par la justice pour ce motif.
Démonétisées, vraiment ?
Curieusement, les vidéos de Thierry Casasnovas sur les vaccins, qui contiennent pourtant des fausses informations (le vaccin amènerait l’épilepsie, des œdèmes cérébraux, les médecins ne vaccineraient pas pour des raisons de santé mais pour entretenir les laboratoires, les enfants auraient des risques psychologiques si leur mère se fait vacciner pendant la grossesse,…) n’ont pas toutes été démonétisées.
D’autres vidéos de désinformation affichent également des publicités, comme on peut le voir avec quelques exemples ci-dessous.
Par ailleurs, on peut se poser la question de savoir si la démonétisation a réellement un effet sur la visibilité des théories anti-vaccins. La plupart des personnes qui publient de telles vidéos cherchent-elles à gagner de l’argent ? Certains ont d’autres sources de revenus (un métier, la revente de produits sur un blog personnel ou encore l’organisation de stages payants pour leurs abonnés). Dans ce cas, la démonétisation n’aura pas grand effet, outre l’effet d’annonce pour la filiale de Google.
Des vidéos anti-vaccins dans nos suggestions
Cela n’empêche pas non plus, comme nous l’avons montré, que les vidéos soient très visibles, ou très vues pour certaines. Fin 2017, Thierry Casasnovas comptait par exemple 165 000 abonnés. Il avait publié 1 063 vidéos, vues au total 45 millions de fois. Aujourd’hui, il a 311 000 abonnés pour 67 millions de vues. Des vidéos avec de prétendus experts ont été vues sur d’autres chaînes plus de 100 000 fois.
Après avoir regardé plusieurs contenus de désinformation sur les vaccins, YouTube nous a d’ailleurs invités à en regarder d’autres via son onglet de suggestions… puis directement sur notre page d’accueil, en recommandations.
On pourrait se dire qu’il est plus difficile pour YouTube de trier les contenus francophones. Il suffit pourtant de taper des termes en anglais comme « vaccine lie » pour se rendre compte que ce n’est pas le cas. Ici, le 4e résultat proposé contient des propos anti-vaccins.
Contacté à ce sujet, YouTube a fait remonter nos observations aux équipes de modération. Un porte-parole de YouTube France nous a indiqué que la désinformation sur les sujets médicaux était un sujet auquel la plateforme est « particulièrement attentive ». L’entreprise essaye constamment de diminuer le nombre de suggestions qui posent problèmes, et d’afficher des encarts contenant des informations vérifiées afin que les internautes puissent en savoir plus – nous n’avons pas vu ces encarts lors de nos recherches.
« Comme beaucoup de changements au niveau des algorithmes, cela va se faire de manière graduée et l’efficacité s’accroîtra au fil du temps », a ajouté le porte-parole auprès de Numerama. Sur le sujet des publicités, Youtube assure que les contenus anti-vaccinations ne sont pas supposés être monétisés.
D’autres réseaux sociaux ont annoncé des mesures récemment pour tenter d’endiguer la profusion d’informations erronées sur les vaccins. Facebook a décidé d’agir sur la visibilité des groupes anti-vaccins tandis que Pinterest a banni tous les termes concernant le sujet de la vaccination. Le PDG de Twitter lui, a visiblement préféré participer à un podcast avec un anti-vaccins.
Mi-février, l’Organisation mondiale de la santé alertait sur la recrudescence de cas de rougeole… une maladie contre laquelle il existe pourtant un vaccin depuis des années.
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