De nombreuses vaches sont récemment décédées en Bretagne. Leurs éleveurs soupçonnent les bovins d’être victimes de courants électriques passant dans le sol. Est-ce une explication réaliste ?

Leurs vaches sont mortes à cause de l’électricité : voilà ce dont sont convaincus plusieurs éleveurs bretons. L’Agence régionale de santé (ARS) a été saisie par un maire dont la commune est concernée par cet étrange fléau, a rapporté France 3 Régions le 24 mars 2019.

À Allineuc, une commune des Côtes-d’Armor, un éleveur assure avoir perdu 200 vaches en 3 ans et soupçonne que la faute revient à des « courants électriques » passant dans le sol ou dans l’eau. Dans une autre ville, un agriculteur rapporte la mort inexpliquée de 120 bovins. Les animaux ont aussi des comportements étranges (perte d’appétit, baisse de la production de lait). Le maire de cette commune, celui qui a saisi l’ARS, pointe du doigt « l’électricité dans l’eau à des taux anormaux ».

« Avec l’électricité, on meurt tout de suite. 200 vaches en 3 ans, je n’ai jamais vu cela », nous assure Jeanne Brugère-Picoux par téléphone. Elle est professeure honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, spécialisée dans la pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour.

Un cas similaire au début des années 2000

Ce n’est pas la première fois que la chercheuse entend parler d’une telle situation. En 2003, elle s’est intéressée à un élevage de vaches laitières en Normandie, au sein duquel 45 ont péri depuis 2001. La piste de leur proximité avec des installations électriques est évoquée. « Un géobiologiste l’a mis sur le compte du courant », se souvient la scientifique. De son côté, elle préfère faire porter ses recherches sur le métabolisme des bovins.

Dans son étude, elle conclut que « les problèmes rencontrés sont essentiellement liés à l’alimentation et au bâtiment ». Jeanne Brugère-Picoux est convaincue qu’il s’agit d’un problème alimentaire à l’origine de la fourbure, une maladie des onglons (une inflammation au niveau du pied) qui peut toucher les bovins. « Comprendre la digestion des ruminants est complexe. Mais c’était bien un trouble métabolique, il leur fallait davantage de foin alors qu’on leur donnait trop de céréales », se souvient-elle.

Cette expérience l’amène à relativiser la conclusion selon laquelle les vaches décédées en Bretagne sont victimes d’un courant électrique passant dans le sol. « C’est extrêmement suspect. Les éleveurs ont-ils vraiment cherché un diagnostic ? Un vétérinaire est-il venu en visite ? Pour moi, c’est très probablement une arnaque », poursuit Jeanne Brugère-Picoux.

« Courant électrique » : de quoi parle-t-on ?

« Si l’on s’en tient au phénomène électrique, il faut distinguer la source primaire et la source locale », nous explique Laurent Quiquerez, maître de conférences à l’université Claude-Bernard Lyon 1, spécialisé dans l’électronique. Concernant la source primaire, le chercheur indique que « chaque installation électrique injecte localement du courant dans le sol » et que « si l’installation est bien faite, ce courant est négligeable ».

Laurent Quiquerez précise que le courant injecté par la source primaire dans le sol « se dilue » progressivement — à chaque fois que la distance avec l’installation est doublée, ce courant est divisé par 4. « Mais il peut exister des chemins de faible résistance privilégiés par le courant électrique », fait-il observer. Là où se trouve l’animal, on peut parler de source locale, pour désigner « un courant local et la facilité du sol local à conduire ce courant ».

Enfin, le scientifique s’intéresse à l’animal : « une quantité de courant peut passer » dans son corps, en fonction de sa taille. « Toutefois, la résistivité des ongles (sabots des animaux) est élevée, donc le courant est faible en l’absence de couche d’eau (pluie, rosée) », poursuit Laurent Quiquerez.

Des éoliennes dans un champ. // Source : Pixabay (photo recadrée)

Des éoliennes dans un champ.

Source : Pixabay (photo recadrée)

Pour notre interlocuteur, il est vraisemblable que l’intensité de ce courant soit inférieure à celle que l’on trouve dans les clôtures électriques des élevages. « Seules les différences d’exposition (continue, au lieu d’exceptionnelle), les différences de parties du corps concernées (abdomen ou pattes et museau), les différences de caractéristiques (fréquence, force de signal) pourraient éventuellement donner des comportements différents, même si la mort des animaux semble improbable », résume le spécialiste. Pour en savoir davantage, il nous dit qu’il faudrait pouvoir connaître les résultats des mesures faites sur place.

Cédric Berthod, ingénieur en génie électrique diplômé de l’ESME Sudria Paris, complète : « L’électricité ne stagne pas. La terre est conductrice d’électricité mais seulement en cas de défaut ou d’impact de foudre. Un humain ne craint rien, donc une vache encore moins car sa résistivité [ndlr : la résistance à la circulation du courant électrique] est encore plus élevée. »

Les éleveurs soupçonnent ces courants électriques de passer à travers l’eau. Est-ce possible ? « Comme la terre, l’eau est conductrice, répond Cédric Berthod, mais s’il y avait un danger, les humains devraient mourir avant les vaches. » Selon lui, il existe un cas avéré où les bovins sont plus exposés que les humains : les coups de foudre. Cette différence s’explique par la distance plus grande qui sépare leurs pattes (par rapport à celle entre nos propres jambes). Cependant, la foudre ne semble pas mise en cause par les éleveurs bretons.

La foudre pendant un orage. // Source : Pixabay (photo recadrée)

La foudre pendant un orage.

Source : Pixabay (photo recadrée)

Des cas de bovins morts par électrocution

Il existe bien des cas de mortalité de bovins par électrocution. En 1994, Henri Brugère, ancien professeur à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, écrivait dans le Bulletin de la société vétérinaire pratique de France que « les champs électriques et ou magnétiques de très basse fréquence peuvent exercer des effets sur les êtres vivants ».

Il ajoutait que « l’imputation à un accident électrique n’est pas toujours facile, car les lésions peuvent être très discrètes, et l’anomalie électrique n’est pas toujours décelée immédiatement ». Dans cette étude, le chercheur s’intéresse à des animaux électrocutés, dont la mort est survenue subitement. Dans le cas des éleveurs bretons, les animaux ont aussi des comportements jugés anormaux.

Le Réseau de transport de l’électricité (RTE), entreprise chargée de la gestion du réseau public de transport d’électricité haute tension en France, a aussi apporté un éclairage sur le sujet. « Les champs magnétiques 50Hz, tels que ceux émis par les lignes électriques, n’ont aucun impact direct sur la santé des animaux d’élevage », explique le réseau dans un rapport en 2013. Les animaux peuvent être sensibles à des « courants parasites » provenant de « défauts de l’installation électrique » mais le RTE écrit que « ce phénomène n’est pas dangereux » — bien qu’il puisse procurer du stress chez les animaux.

Contactée par nos soins, l’Agence régionale de santé de la Bretagne a confirmé avoir été saisie par un maire en Centre-Bretagne. « Il est important de déterminer l’origine de ces phénomènes décrits sur plusieurs élevages, notamment en examinant l’environnement électrique de manière élargie », répond l’ARS Bretagne en nous renvoyant vers le ministère de l’Agriculture. Pour connaître le fin mot de l’histoire, il faudra attendre sa réponse. Gageons qu’elle ne sera pas électrique.

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