L’ingénieure Katie Bouman a contribué à la première photographie d’un trou noir, présentée le 10 avril 2019 par l’Event Horizon Telescope (EHT). Son travail, reconnu par de nombreux internautes et médias, lui a aussi valu d’attirer l’attention de personnes mal-intentionnées, qui se sont mises à la cyberharceler.
La scientifique a pris part au développement de CHIRP, un algorithme capable de reconstituer l’image d’un trou noir, dès 2016. Il a été utilisé pour obtenir la photographie de M87*, le trou noir de la galaxie Messier 87. Lorsque le cliché a enfin été dévoilé, la chercheuse a publié une photo d’elle. On y voit Katie Bouman s’enthousiasmer, tandis que la photographie apparaît progressivement sur son ordinateur.
Sur les réseaux sociaux, la notoriété de Katie Bouman est allée en grandissant. Mais après avoir reçu de nombreux encouragements et messages de félicitations, la scientifique a commencé à être prise pour cible d’une campagne de cyberharcèlement. Ses détracteurs lui reprochent d’être mise en avant et d’éclipser les autres 200 scientifiques (dont beaucoup d’hommes) qui ont travaillé sur ce projet.
Sa page Wikipédia a été signalée
La page Wikipédia de Katie Bouman, enrichie après la présentation de l’image du trou noir, a été signalée le 12 avril à 19h43. L’internaute (qui se présente comme féministe sur sa page utilisateur) justifie son signalement en écrivant que Katie Bouman « est une des 200 personnes d’une grande équipe qui a travaillé sur l’Event Horizon Telescope » et que « quelqu’un qui est même pas professeur adjoint n’est certainement pas remarquable en tant que scientifique.»
Sur Twitter, de faux comptes ont été créés à son nom, avant d’être supprimés par la plateforme. Sur Instagram, des internautes ont même été jusqu’à créer de faux comptes au nom d’Andrew Chael, un autre développeur, prétextant que le chercheur avait écrit « 850 000 des 900 000 lignes de code » de l’algorithme qui a reconstitué l’image du trou noir — l’intéressé a démenti cette information.
Andrew Chael est l’un des collaborateurs de Katie Bouman (qui a publié sur GitHub un des morceaux de code développé pour obtenir la photo du trou noir). Il s’est d’ailleurs depuis insurgé contre les attaques sexistes dont fait l’objet l’ingénieure : « Je suis ravi que Katie soit reconnue pour son travail et qu’elle inspire des gens comme exemple du leadership des femmes dans les STIM » (science, technologie, ingénierie et mathématiques).
L’investissement de Katie Bouman est aussi contesté sur YouTube, où une vidéo accuse par exemple la chercheuse d’avoir « effectué 6 % du travail mais d’en récupérer 100% du crédit ».
Katie Bouman salue le travail collectif
De son côté, la chercheuse s’est exprimée en ces termes le 10 avril sur Facebook. « Ce n’est pas un algorithme ou une personne qui a créé cette image, elle a nécessité le talent incroyable d’une équipe de scientifiques du monde entier et des années de travail acharné pour développer l’instrument, le traitement des données, les méthodes d’imagerie et les techniques d’analyse nécessaires pour réaliser cet exploit apparement impossible », écrit Katie Bouman. Elle ne prétend pas être la seule à avoir travaillé sur cette technologie, contrairement à ce que laissent entendre des personnes qui l’ont harcelée.
Dans un article, Libération écrit que « la chercheuse en informatique doit son statut d’héroïne scientifique en grande partie au service de communication » du MIT et à des articles élogieux, citant une dépêche de l’AFP qui qualifie Katie Bouman de « scientifique superstar ». La mise en avant de cette femme scientifique, qui ne minimise pas le travail du reste de l’équipe de l’EHT, semble avoir suffi de justification aux hommes qui ont harcelé Katie Bouman.
Le fossé des genres est encore profond dans le domaine des sciences. Il y a un an, une étude anticipait qu’il faudrait encore 280 années pour espérer que les autrices soient autant représentées que les auteurs dans les revues scientifiques. Les femmes scientifiques ne sont pas épargnées par le harcèlement et sont encore présentées comme ne méritant pas leur place dans des laboratoires où l’histoire a pourtant montré qu’elles avaient bien contribué à de grandes découvertes.
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