Imaginer la planète Mars recouverte de rivières et de lacs est déjà quelque chose d’assez difficile. Les étendues arides et désertiques d’aujourd’hui semblent avoir toujours existé. Pourtant, notre voisine ressemblait beaucoup à la Terre dans les premières centaines de millions d’années de son existence. Comment s’est-elle asséchée ? Beaucoup de questions, mais peu de réponses, et en plus, une étude parue en mars 2019 dans Science Advances rajoute encore un peu de confusion. Des astronomes et des physiciens issus de plusieurs universités américaine, anglaise et française, sont arrivés à la conclusion que Mars a connu des périodes de forts ruissellements intermittents jusqu’à il y a environ 3 milliards d’années.
Pour arriver à ce résultat, les auteurs ont analysé les sillons laissés visibles à la surface de Mars. Il s’agit de paléorivières, des anciens cours d’eau datant de l’époque où l’eau liquide pouvait encore exister à la surface. Ils ont alors découvert que ces courants étaient restés actifs plus longtemps que ce que prévoyaient les autres modèles climatiques, mais aussi qu’ils voyaient passer de très importantes quantités d’eau, bien plus que ce que connaissent les plus violentes rivières actuelles sur Terre.
Mousson to Mars
Que retenir de ça ? D’abord, l’information selon laquelle il y avait de l’eau sur Mars était déjà connue. L’analyse des sillons et des cratères nous a appris que de l’eau était présente en grande quantité par le passé, avant que la planète ne devienne le désert aride qu’on connaît aujourd’hui. Ce qui est nouveau ici c’est que selon ces chercheurs, Mars ne s’est pas asséchée en quelques centaines de millions d’années, mais a continué de recevoir un fort ruissellement, en tout cas de manière épisodique.
Grossièrement, on sépare l’histoire de Mars en trois périodes :
- Le Noachien, durant lequel la planète devait ressembler à la Terre actuelle avec une atmosphère épaisse, un effet de serre et de l’eau liquide.
- L’Hespérien, avec une atmosphère beaucoup plus fine, une baisse de la température et une forte activité volcanique.
- Puis l’Amazonien beaucoup plus aride et avec une atmosphère presque inexistante.
Trois périodes identifiées, mais les transitions entre chacune sont mal connues et leur datation est donc sujette à beaucoup d’incertitudes. Et ici, on parle de ruissellement pendant l’Amazonien, donc dans une période où les conditions ne s’y prêtent pas forcément..
« Cette étude dit que Mars alterne entre phase aride, et phase de ruissellement intense », nous explique François Forget. L’astrophysicien du CNRS est spécialiste de Mars et il a pu consulter l’étude. « C’est un climat assez inhabituel parce qu’il n’y a pas du tout d’entre-deux, seulement ces deux extrêmes et c’est donc assez difficile à expliquer. »
Plus dans le détail, il y a deux choses troublantes qui ont été identifiées. D’abord des rivières et des lacs dont les vestiges ont été observés par le rover Curiosity, se sont formés avec beaucoup plus d’eau que ce qu’on pensait. Et en plus, des cours d’eau ont continué à être actifs bien après la disparition du champ magnétique de la planète. Les auteurs eux-mêmes ne sont pas sûrs de ce qu’ils ont trouvé.
Sans atmosphère, pas de nuage, pas de pluie et donc impossible de créer des lacs et des rivières
Le responsable de l’étude, Edwin Kite, a déclaré : « Ce n’est pas ce à quoi on s’attendait, et on est pas sûr de savoir ce que ça veut dire. » En effet, la plupart des études précédentes ont montré que la dynamo de Mars a rapidement cessé de fonctionner. Il s’agit de la rotation du noyau sur lui-même qui crée le champ magnétique, l’atmosphère et protège la surface de la planète des rayons solaires. Son arrêt s’est fait naturellement et puisque Mars est plus petite que la Terre, le processus a été plus rapide. Sans atmosphère, pas de nuage, pas de pluie et donc impossible de créer des lacs et des rivières.
En théorie donc, la disparition du champ magnétique signe l’arrêt de mort de la planète qui ne devient qu’un astre sans vie incapable de se protéger de la radioactivité solaire et dont l’atmosphère se réduit à une couche superficielle quasi-indétectable. « Il y a peut-être un autre moyen de créer des lacs et des rivières avec une atmosphère fine que nous avons négligé », reconnaît Edwin Kite sans pour autant apporter une réponse définitive.
Ruissellement mystère
Les auteurs de l’étude ont tout de même élaboré plusieurs hypothèses pour expliquer comment l’eau continue d’arriver sur ce lieu mort. Il pourrait s’agir de pluies de météorites intermittentes qui libéreraient de l’eau, par exemple en brisant des lacs de glace, mais même en étant optimiste sur la quantité d’eau contenue, ça paraît difficile à atteindre. Il pourrait également exister de hauts nuages fins qui contribueraient à chauffer énormément la surface à la moindre hausse de températures, mais là aussi c’est difficile à modéliser précisément.
Il faut dire que les données sur le passé de Mars sont assez minces et difficiles à exploiter. « Il y a aujourd’hui des instruments très précis pour étudier le climat actuel de Mars, précise François Forget, le capteur météo d’InSight par exemple, mais en ce qui concerne un temps plus ancien, c’est assez flou. »
Dans cette étude, la principale source des auteurs pour arriver à leurs conclusions, ce sont les sillons laissés à la surface. Une source d’information plutôt limitée puisqu’au fil des ans, l’érosion, même plus faible que sur Terre, a gommé certaines marques essentielles. En plus, l’exploration des rovers n’étant pas encore optimale, nous manquons d’images haute résolution permettant de faire des simulations solides. Les auteurs précisent tout de même qu’il reste quelques centaines de sillons assez bien préservés, toujours mieux que sur Terre où l’érosion fait beaucoup plus de dégâts.
C’est un gros problème pour les climatologues
Même la nature de ce fameux ruissellement dont parle l’étude n’est pas clairement établie, il pourrait s’agir de pluie tout comme de neige fondue. Dans les deux cas, créer un modèle climatique cohérent à partir de ça est un véritable casse-tête. « C’est un gros problème pour les climatologues, assure François Forget. Les différentes études se contredisent entre elles sur plusieurs points et on n’arrive pas aujourd’hui à faire cocher toutes les cases par un seul modèle. Par exemple, on a découvert tout récemment qu’on avait sous-estimé les propriétés du méthane et de l’hydrogène en tant que gaz à effet de serre. Cela rebat les cartes pour étudier l’influence des éruptions volcaniques sur le climat. »
L’histoire géologique de Mars apparaît donc beaucoup plus chaotique que ce qu’on pensait. Mais s’il y a eu de l’eau plus longtemps, ça ne signifie pas que la planète était propice à accueillir la vie. Elle l’a été auparavant, mais sans champ magnétique global pour protéger la surface des vents solaires, impossible de voir se développer des organismes comme ceux qui ont vu le jour sur Terre (oui, on parle de vous). Et ce n’est pas la présence d’eau liquide qui va changer les choses puisque les auteurs insistent bien sur le fait qu’elle n’était là que de manière épisodique et dans des épisodes extrêmement violents.
Quoi qu’il en soit, les quelques années qui viennent pourront nous apporter encore de nouveaux éléments, peut-être à nouveau contradictoires, puisque plusieurs missions doivent être lancées pour analyser le climat martien.
L’année prochaine, le rover ExoMars baptisé Rosalind Franklin foulera le sol de la planète rouge et cherchera à analyser son atmosphère. En 2020 également un nouveau venu dans l’exploration spatiale pourrait créer la surprise : les Émirats arabes unis qui ont planifié le lancement d’une sonde baptisée Hope. Sa mission avant tout : observer des corrélations entre le climat actuel et le climat passé. L’implication des EAU n’est pas sans intérêt commercial — ils comptent créer une ville habitable sur Mars en 2117. Mais malgré tout, Hope reste un projet crédible scientifiquement qui pourrait nous permettre d’affiner nos connaissances encore maigres sur le sujet.
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