Diffusée depuis début mai 2019 sur OCS, et au printemps 2021 sur M6, la série Chernobyl de HBO relate en 5 épisodes la catastrophe nucléaire survenue en 1986 (et qui ne pourrait pas arriver en France). Outre les raisons de l’accident, c’est-à-dire l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale Lénine de Prypiat, la mini-série s’attarde sur les conséquences des radiations sur le corps humain, à travers l’histoire de plusieurs personnages — c’est aussi l’un des thèmes de la très récente série Years & Years de la BBC.
Les situations représentées dans la série sont-elles réalistes ? Quels sont les effets de la radioactivité sur l’organisme ? Comment une personne peut-elle être exposée à ces radiations ? Nous avons posé ces questions à Marc Benderitter, chercheur à l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) et directeur du Laboratoire de radiopathologie (LRPAT). Attention, cet article contient des « spoilers » sur la série (si tant est que l’on puisse employer ce terme pour le récit d’un événement historique).
« Il y a deux types d’expositions aux rayonnements ionisants : l’irradiation et la contamination », nous explique le spécialiste. Lors d’une irradiation, la personne est exposée à une source externe. « On pourrait comparer cette situation à un coup de soleil, provoqué par les rayonnements ultraviolets émis par une source externe, le Soleil », poursuit Marc Benderitter. Quant à la contamination, elle a lieu quand « la victime est exposée à de la matière radioactive en suspension dans l’atmosphère », comme un aérosol.
Qu’est-ce que l’irradiation ?
Le corps réagit en plusieurs temps lorsqu’il est exposé à des doses importantes de radiations (une irradiation d’origine externe). « Les premiers signes s’expriment de quelques minutes jusqu’à 24-48 heures après l’exposition. C’est la phase prodromale », explique le chercheur de l’IRSN. S’ensuit une phase silencieuse (sur le plan clinique), dont la durée peut varier de quelques jours à plusieurs semaines. Le syndrome aigu d’irradiation, c’est-à-dire l’expression de la pathologie, n’apparaît que dans une troisième phase.
Après s’être approché du réacteur accidenté, l’un des personnages de Chernobyl est pris de vomissements. Sur ce point, la série de HBO est vraisemblable. Les vomissements font partie des « signes cliniques caractéristiques de la phase prodromale », parmi lesquels figurent aussi « l’érythème (les rougeurs), les céphalées ou maux de tête, les nausées et la perte de conscience », énumère Marc Benderitter. Aucune hémorragie ne se produit au cours de cette phase, « contrairement à ce que montre aussi la série. Des hémorragies internes peuvent être observées mais plus tardivement lors de la phase d’expression du syndrome aigu d’irradiation. »
Dans la première phase, les vomissements sont probables. Pas les hémorragies
Le scientifique a une hypothèse pour expliquer la confusion probablement faite par les créateurs de la série. Pour cela, il faut comprendre pourquoi une personne qui a été irradiée à fortes doses peut développer des hémorragies. « Certains tissus sont particulièrement sensibles à l’irradiation. Les plus sensibles sont la moelle osseuse et le tractus gastrointestinal (l’ensemble du système digestif). Pour des irradiations à fortes doses, la moelle peut être détruite », explique le chercheur. Or, dans notre corps la moelle osseuse joue le rôle d’une maternité qui sert à fabriquer le sang. « Les cellules sanguines (globules blancs et plaquettes) ne sont alors plus produites, le risque septique et hémorragique devient alors important, le pronostic vital du patient est engagé », poursuit Marc Benderitter. C’est pour cela que les hémorragies se développent généralement plus tardivement que ce qui est présenté dans la série.
Chernobyl présente l’intervention des pompiers sur le site de la centrale, pour éteindre l’incendie provoqué par l’explosion. L’un d’eux manipule un débris radioactif et souffre rapidement d’une brûlure, que l’on présume donc être d’origine radiologique. Pour le scientifique, la situation parait « improbable » : il s’agit « d’une mauvaise interprétation par les scénaristes de la série des effets de l’irradiation », nous indique Marc Benderitter. Cependant, Chernobyl a bien montré une autre réalité concernant les pompiers intervenus sur place : ils n’avaient pas d’équipement de protection individuelle pour se protéger de la contamination.
Comment peut-on être contaminé ?
Des cas d’exposition par contamination (externe) ont eu lieu lors de la catastrophe de Tchernobyl. « Le personnel de la centrale a été exposé à ces aérosols, ces ‘poussières radioactives’ à forte concentration dans l’environnement direct du réacteur », poursuit le spécialiste. Ces poussières peuvent se déposer sur les vêtements : dans ce cas, la procédure à suivre est de retirer les habits des victimes. Lorsque ces poussières se déposent sur la peau et les parties du corps non protégées par un tissu, la « décontamination » des victimes (il vaudrait mieux parler de limitation des risques) consiste à les doucher.
« Finalement, il est relativement aisé de prendre en charge une victime contaminée. Lors de l’accident de Tchernobyl, les premiers intervenants, les pompiers, les opérateurs n’avaient probablement pas conscience de la gravité de la situation : les pompiers étaient seulement vêtus pour se protéger contre les risques d’incendies, pas pour lutter contre les risques radioactifs », explique notre interlocuteur. Il n’est pas certain que les premières personnes qui sont intervenues sur le site ont été correctement décontaminées, et assez rapidement. Pour Marc Benderitter, « la série est assez réaliste sur cette absence d’équipements de protection individuelle contre la contamination ».
Contrairement aux brûlures thermiques, une brûlure radiologique n’est pas immédiate.
Le fait que les pompiers aient développé des brulures radiologiques, faute d’équipements adaptés, est vraisemblable. Néanmoins, Chernobyl induit en erreur sur le délai dans lesquelles elles surviennent. « Contrairement aux brûlures thermiques, une brûlure radiologique n’est pas immédiate. Elle apparaît des jours, des semaines après l’exposition », souligne le chercheur.
Une autre voie de contamination peut être interne : elle se produit lorsqu’une personne inhale ou ingère les poussière radioactives (les radionucléides peuvent aussi entrer dans l’organisme par le biais d’une plaie contaminée). Les solutions sont plus complexes et consistent en des traitements de « décorporation » pour que l’élimination des radionucléides soit accélérée dans le corps. Mais ce cas de figure semble avoir été peu présent chez les premiers intervenants du site de Tchernobyl. « Ils ont été essentiellement exposés à des irradiations externes et à des contaminations externes qui n’ont pas été décontaminées suffisamment rapidement », résume Marc Benderitter.
Un enfant qui aurait sauvé sa mère enceinte : est-ce possible ?
Chernobyl relate l’histoire de Lyudmilla Ignatenko, l’épouse de Vasily Ignatenko, l’un des premiers pompiers à être intervenu sur place. Quand la série commence, Lyudmilla est enceinte. Son mari, exposé, souffre de brûlures et du syndrome aigu d’irradiation. Lyudmilla lui rend visite à l’hôpital. Plus tard, on apprend qu’elle a donné naissance à un nourrisson qui est décédé car il aurait été exposé à des radiations à cause de son père. « L’enfant aurait ‘concentré’ la radioactivité lors de la grossesse de sa mère et aurait ainsi sauvé sa mère. C’est irréaliste », assure le scientifique.
Après l’incident, les victimes sont allées dans l’hôpital numéro 6 à Moscou, spécialisé dans ce type de prise en charge. « Les victimes admises dans les jours après l’accident ont été toutes décontaminées et ne présentaient donc plus (ou très peu) de risque pour le personnel soignant et leur famille. Les doses qu’auraient pu recevoir cette femme enceinte ne sont absolument pas compatibles avec un enfant mort né. »
D’ailleurs, la série passe sous silence un autre élément, lorsque les patients sont isolés dans des chambres stériles. Cette situation s’est bien produite, mais la justification présentée dans Chernobyl, à travers les acteurs jouant le rôle du personnel médical, est fausse : il ne s’agissait pas de protéger les familles des patients d’un risque de contamination. « Les patients sont placés en chambre stérile pour être protégés d’un risque infectieux », explique le scientifique. Il s’agit donc de protéger leur propre santé.
D’autres effets sanitaires à long terme
Évidemment, la série ne peut pas aller plus loin que les effets sanitaires immédiats de la catastrophe de Tchernobyl, dans les semaines et les mois suivant l’événement. « Il faut bien distinguer ces conséquences des effets sanitaires à long terme, des années plus tard », nous rappelle Marc Benderitter. Le chercheur souligne que des cas de cancers de la thyroïde ont été relevés chez des enfants ou adolescents exposés en 1986. Dans les années 2000-2005, des cas de cancers de la thyroïde était plus fréquents chez des enfants d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie. « Certaines études épidémiologiques ont mis également en évidence une occurence accrue de leucémie, en lien avec la dose reçue par les populations exposées », complète le chercheur de l’IRSN.
Dans son ensemble, Chernobyl est assez proche de la réalité, conclut Marc Benderitter — concernant l’état clinique des victimes, la sévérité des symptôme ou encore la temporalité de l’expression de ces signes cliniques. Enfin, la série montre bien un nombre de victimes réaliste : au total, ce sont « 134 personnes dont les premiers intervenants [qui] ont été victime de syndrome aigu d’irradiation combiné ou non à des brulures radiologiques », achève le scientifique.
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