Il y a 50 ans, les humains faisaient leurs premiers pas sur la Lune, ouvrant la voie à bien d’autres missions d’exploration à sa surface. Si nous n’y sommes pas retournés depuis, le programme Artémis de la Nasa, en association avec d’autres agences spatiales, ambitionne dorénavant une reconquête lunaire.
Notre satellite naturel n’est donc plus un territoire inconnu ni si lointain. Il fait partie de notre histoire comme de notre futur. Les traces humaines sur la surface lunaire sont nombreuses, de la première empreinte de botte en passant par Luna-2 (premier objet à avoir touché la Lune), les modules d’alunissages Apollo ou même le mémorial Fallen Astronaut.
Pourrions-nous aller jusqu’à dire qu’il existe un patrimoine de l’humanité au-delà de la Terre ? Un patrimoine à protéger sur la Lune ? En tout cas, c’est ce pour quoi milite l’organisation à but non-lucratif For All Moonkind, la seule dans le monde qui se dédie à protéger et préserver les sites lunaires historiques.
Les humains font des dégâts, il faut le prendre en compte
For All Moonkind a été fondée par Michelle Hanlon, juriste spécialisée en droit de l’espace. Elle est directrice associée du Center of Air and Space Law de l’université du Mississippi. « Les sites lunaires sont le témoignage de l’une des plus grandes réussites de l’Humanité : celle d’avoir briser nos chaînes pour aller dans l’espace », explique-t-elle à Numerama.
Certains lieux historiques sur Terre ont une valeur juridique et culturelle à part entière. Ils sont considérés comme les berceaux de la civilisation. Raison pour laquelle Michelle Hanlon n’a aucun mal à imaginer que la Base de la tranquillité, le tout premier lieu d’alunissage, puisse être considéré à son tour comme le « berceau de notre exploration spatiale ».
À l’heure actuelle, il serait possible d’effacer la première empreinte d’Armstrong sur le sol lunaire « en toute impunité », relève Michelle Hanlon. « Nous avons un régime solide pour protéger le patrimoine sur Terre, mais ces protections ne sont pas étendues à l’héritage spatial. » Et ce, alors que l’urgence est bien là : « Il y a de nombreuses missions prévues sur la Lune pour les prochaines années. Aujourd’hui, ce n’est pas grand chose, mais demain ce sera massif. »
Le fait est que les humains sont ce qu’ils sont. Le patrimoine terrestre est parfois mis à rude épreuve. Des briques ont été volées sur les pyramides, des pavés ont été pris sur les routes romaines. Les lois nationales et internationales sont là pour éviter et punir ces détériorations sur Terre, mais « rien n’empêche quelqu’un de prendre du régolithe lunaire, ou un artéfact de notre histoire là-bas, sur n’importe quel site, puis de le vendre ».
Le patrimoine mondial de l’humanité est censé protéger tous les sites ayant une valeur exceptionnelle pour l’héritage commun. Pourtant, l’étendre à la Lune n’est pas encore possible, car sa convention contient le principe de souveraineté : le lieu à protéger doit être nominé par un État, au sein de son propre territoire. Il en résulte une incompatibilité avec le Traité international de l’espace ratifié en 1967, qui dispose en son Article 2 qu’aucune nation ne peut se déclarer souveraine d’un territoire spatial.
Le Traité sur la Lune dispose bien que « la Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de l’humanité », mais ce n’est pas bien utile, car il n’a été ratifié que par 15 pays et aucun n’a de programme spatial (les États-Unis, la Russie, la Chine ne l’ont jamais signé ; la France et l’Inde l’ont signé sans ratifier).
Le patrimoine de l’humanité dans l’espace constitue donc un vide juridique à combler. « De nombreuses personnes, y compris travaillant dans l’industrie spatiale, pensent que ces sites sont protégés par l’article 9 du Traité de l’espace, qui requiert que les États doivent ‘tenir compte des intérêts correspondants de tous les autres États parties au Traité’. Mais c’est flou et il n’y a pas de définition juridique au fait de ‘tenir compte’ ».
La nécessité d’une action politique
For All Moonkind agit directement auprès de la communauté internationale en tant qu’organisme reconnu par le Comité des Nations unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Le but est d’élaborer, à un niveau mondial, une Convention pour le patrimoine spatial de l’humanité. Une première ébauche a été remise en avril 2019.
D’ici là, For All Moonkind travaille aussi avec des entreprises qui doivent participer au retour sur la Lune. Elles deviennent partenaires en signant une déclaration qui reconnaît l’existence d’un patrimoine spatial. C’est le cas par exemple de TeamIndus, qui doit potentiellement fournir des cargos de transport à la Nasa.
« Nous avons reçu beaucoup de soutiens, mais nous avons du mal à lever des fonds – dont nous avons besoin pour produire des supports éducatifs principalement destinés aux enfants, explique Michelle Hanlon. Les représentants politiques hésitent encore à associer leur nom à notre cause. Ce sont surtout des entités commerciales qui nous envoient leur plus grand soutien. »
Mais, justement, l’échelon politique est en train d’évoluer. En 2011, la Nasa avait promulgué des recommandations non-contraignantes pour préserver des objets lunaires américains. L’idée est de mettre en place des zones sécurisées autour des sites historiques importants. Il s’avère qu’une proposition de loi bipartisane est actuellement discutée au Sénat américain pour rendre ces recommandations obligatoires.
Le sens donné à la conquête spatiale
Le sujet du patrimoine spatial pourrait « devenir explosif » selon la fondatrice de For All Moonkind. « À mesure que la Lune deviendra plus peuplée, il va devenir très important de déterminer quels objets peuvent être déplacés en toute impunité, et quels objets ont besoin de plus de considération. »
Au fond, il est aussi question de la philosophie qui doit animer l’exploration spatiale. « Ce serait certes une catastrophe que l’humanité perde des sites tels que les empreintes de pas, mais le plus important, c’est l’unité que leur préservation peut permettre d’atteindre », revendique Michelle Hanlon.
Durant un récent entretien de Numerama avec Claudie Haigneré, l’astronaute et ambassadrice de l’Agence spatiale européenne n’a pas manqué d’insister elle aussi sur la nécessité de « réfléchir tous ensemble » aux enjeux générés par l’exploration spatiale. « On demande aujourd’hui de préserver notre Terre, mais la Lune appartient à notre environnement pas si éloigné que cela. Il faut toujours avoir à l’esprit qu’on a pour responsabilité de penser cette expansion de l’humanité. »
Pour elle, il ne fait aucun doute que la Lune est un « objet commun ». Et elle a également confié à Numerama que les jeunes lui posent régulièrement la question de la place de la Lune dans le patrimoine de l’humanité, de « comment on va gérer tout cela et éviter de refaire les mêmes erreurs ».
Claudie Haigrené estime qu’il faut peut-être modifier le Traité de l’espace pour l’adapter à l’exploration spatiale actuelle. « Il date d’une période où l’on évoquait pas les entreprises privées ni l’exploitation des ressources, cela ne faisait pas partie de la réflexion. On était sur le multilatéralisme et le pacifisme. Il faut ne pas toucher à ces deux points du traité, mais sans doute le compléter, car aujourd’hui nous sommes dans des conditions différentes. »
La volonté d’encadrer et de donner un sens à l’expansion de l’humanité revient aussi dans la conclusion de Michelle Hanlon : « Si nous reconnaissons et protégeons notre histoire dans l’espace, nous pouvons nous baser sur cette unité pour construire notre expansion spatiale ».
D’ici à ce que l’humanité retourne sur la Lune, n’hésitez pas à regarder notre reportage.
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