Ce n’est pas de la réalité augmentée, mais de la réalité créée de toutes pièces. Des chercheurs ont publié leur étude, le 18 juillet 2019, dans laquelle ils annoncent avoir réussi à faire voir à des souris des lignes qui n’existaient pas. Elles ont « halluciné ».
L’expérience s’est basée sur l’optogénétique, un domaine de recherche novateur qui n’en est qu’à ses débuts. L’idée est d’activer des neurones spécifiques grâce à un faisceau laser lumineux extrêmement précis. Pour ce faire, il faut auparavant insérer dans le cerveau des gènes codant une protéine appelée opsine et qui est « photo-activable » — elle s’active par la stimulation lumineuse.
Une perception créée artificiellement
Les chercheurs expliquent avoir commencé l’expérience en insérant des gènes dans le cortex visuel des souris, afin de créer une sensibilité aux faisceaux rouges. Ils ont également inséré des gènes pour que les neurones qui s’activent soient détectables – l’idée étant que les chercheurs puissent repérer les effets des stimuli.
Les souris ont ensuite été mises face à un écran affichant des lignes horizontales et des lignes verticales. Les chercheurs ont entraîné les souris à ne lécher le goulot que lorsqu’elles voyaient des lignes verticales (à chaque test réussi, elles avaient droit à de l’eau). Grâce aux gènes insérés, il était possible de repérer quels neurones s’activent dans ces différentes situations.
Au fur et à mesure, les chercheurs ont rendu les lignes plus floues pour compliquer la tâche. Lorsque les performances d’une souris ne suivaient plus à cause du manque de contraste, il suffisait de stimuler au laser les neurones précédemment repérés pour l’aider – et cela marchait.
C’est ainsi que l’étude en vient à la dernière étape de l’expérimentation : l’écran a finalement été coupé, laissant les souris dans le noir. Puis, toujours à l’aide de l’optogénétique, les chercheurs ont activé au laser les neurones réactifs aux lignes horizontales et verticales. Et tout a fonctionné : lorsqu’ils activaient les neurones correspondant aux lignes verticales, les souris léchaient le goulot ; mais pas lorsqu’ils activaient les neurones correspondant aux lignes horizontales.
« Les scientifiques étaient capables d’induire le comportement de lécher le goulot simplement en projetant le programme holographique vertical dans le cortex visuel de la souris, explique le communiqué de presse. Mais la souris ne léchait pas le goulot quand c’était le programme horizontal qui était projeté. »
Pourquoi n’hallucinons-nous pas en permanence ?
Karl Deisseroth, neuroscientifique et psychologue qui a participé à l’étude, explique dans le communiqué qu’ils ont « recréé la perception naturelle ou au moins créé quelque chose qui y ressemble entièrement ». La souris et son cerveau agissaient très exactement comme si ces lignes verticales étaient visuellement présentes.
Un autre aspect surprenant – et plus large – de l’étude est qu’il ne suffisait de stimuler que quelques neurones pour que cela fonctionne. Cela signifie que « le cortex des mammifères est capable de répondre à un nombre incroyablement petit de neurones ».
Le cerveau d’une souris a des millions de neurones et un cerveau humain en a des milliards, ce qui pousse Karl Deisseroth à se questionner : « Si seulement quelques neurones peuvent créer une perception, pourquoi n’hallucinons-nous pas tout le temps à cause de l’activité neuronale aléatoire ? ».
En clair, cette étude en vient donc à deux propositions parallèles :
- En activant seulement quelques neurones chez un mammifère, il semble possible de créer de toute pièce une perception de la réalité.
- Nous savons que des neurones peuvent s’activer au hasard, dans une sorte de « bruit » aléatoire. Or, si seulement quelques neurones suffisent à entraîner tout le cerveau dans une hallucination, cela signifie qu’il existe un mécanisme très solide nous empêchant d’halluciner en permanence.
Lindsey Glickfeld, neuroscientifique qui a participé à l’étude, explique au New York Times que l’attention pourrait jouer un rôle clé pour empêcher cette fameuse activité aléatoire de générer des hallucinations : « L’attention vous permet d’ignorer une grande partie du bruit de fond ».
L’approfondissement de ce type de recherches pourrait aider à mieux comprendre la circulation des informations dans les neurones, la façon dont le cerveau accepte ou non une activation. Ces recherches sont pertinentes en ce qui concerne, par exemple, des troubles psychiatriques comme les hallucinations et la schizophrénie. À terme, cela pourrait aider à développer des prothèses neurologiques capables de viser que quelques neurones spécifiques – voire même un seul.
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