L’OMS est formelle dans ses conclusions, moins dans ses explications. Dans un grand rapport sorti le 26 juillet 2019 sur « l’épidémie de tabac », l’Organisation mondiale de la santé a réservé une place à la question des systèmes électroniques de distribution de nicotine (ENDS), qui sont le plus souvent catégorisés comme « cigarette électronique ».
Le rapport, que Numerama a consulté in extenso, affirme bien que les e-cigarettes sont « incontestablement nocives » pour la santé, comme l’ont repris de nombreux médias français à partir d’une dépêche AFP. Pourtant dans les deux pages (sur 109) réservées aux ENDS, l’OMS est contrainte d’admettre qu’il n’y a, en l’état, aucune preuve concrète de cette nocivité. Et c’est un énorme problème.
« L’OMS a consulté en profondeur et résumé toutes les preuves que l’on a actuellement sur les ENDS, et nous constatons que les preuves sont, à ce jour, non concluantes », admet l’organisation, qui explique que les études globales sur le sujet sont difficiles à mener car les nombreuses cigarettes électroniques et produits contiennent des dosages, taux d’émissions, source de chaleur, contenus chimiques et goûts très variés. « Le taux de risque spécifique associé aux ENDS n’a pas encore été déterminé de manière conclusive », concède-t-elle.
Où sont les études ?
Dans un encadré, quelques études sont citées et apportent de faibles arguments :
- les jeunes qui utilisent des e-cigarette auraient plus de chance de devenir de vrais fumeurs plus tard,
- les ENDS poseraient des risques mais « il n’y a pas assez de preuves pour le quantifier » et « les effets à long terme de l’exposition aux émissions de cigarettes électronique sont inconnues »,
- les e-cigarettes présentent un risque d’explosion (s’il y a bien des cas, il n’y a pas de recensement quantitatif, ni en fonction des marques concernées),
- rien ne prouve que les cigarettes électroniques réussissent à aider les gens à arrêter de fumer — ce qui n’est pas un argument en faveur de sa dangerosité.
Le rapport de l’OMS est en fait un cri d’alerte sur le manque évident d’études scientifiques sur l’impact des e-cigarettes sur la santé des consommateurs et leur entourage. « Pour en savoir plus sur les effets de l’ENDS sur la santé, il faudra des enquêtes vigoureuses sur des grands nombres de consommateurs, bien classés, et sur une large période », précisent les auteurs et autrices, qui se désolent que « l’impact potentiel des ENDS sur la santé » soit pourtant « débattu depuis leur introduction il y a entre 12 et 15 ans ».
C’est pour cette raison que l’organisme mondial préconise une « régulation par les États en tant que produits nocifs », qui est clairement une demande à titre préventif. L’OMS encourage les États à classer les cigarettes électroniques comme « produit de tabac » ou produit qui imite le tabac, ou au moins de leur créer une catégorie à part pour mieux les encadrer, ainsi que de les taxer plus sévèrement.
Il convient également de noter que les grandes entreprises de tabac misent depuis plusieurs années sur les cigarettes électroniques et autres « sticks de tabac » qui affirment dans leurs publicités — sans preuve — que ces alternatives seraient « moins dangereuses » que le tabac.
« Aucune certitude scientifique »
Aux États-Unis, la question des cigarettes électroniques inquiète notamment depuis que l’entreprise JUUL et sa petite e-cigarette en forme de clé usb a réussi à pénétrer un nouveau marché chez les jeunes consommateurs non-fumeurs. Ses « pods » contiennent des sels de nicotine, une préparation spéciale qui permet de délivrer une concentration plus forte en nicotine. Or la nicotine, si on ne connaît pas ses effets à long terme sur la santé (certains parlent de problème de développement sur le cerveau, sans étude précise sur la question), crée une grande addiction — la concentration en nicotine est d’ailleurs limitée en France à 20mg/mL, alors que les JUUL pods montent à 50mg/mL outre Atlantique.
Les ENDS, ou cigarettes électroniques, ne contiennent pas de tabac. Mais la composition des produits inhalés, et l’effet à long terme sur les organes internes des consommateurs, reste sujette à questionnements, car les études sont quasi inexistantes. Or ces liquides sont nombreux à contenir des substances potentiellement toxiques comme le formaldéhyde (qui est cancérogène). Cependant, comme l’a résumé le Figaro Santé en 2018, tout danger potentiel dépend de la quantité qui est inhalée et la concentration des produits, qui sont, eux, très variés.
« Les autorités françaises préconisent une communication bienveillante à l’égard des démarches d’arrêt des fumeurs avec la cigarette électronique »
Numerama a contacté le ministère de la Santé français à plusieurs reprises au cours de ces huit derniers mois afin d’obtenir des informations sur l’état actuel de la recherche en France sur le sujet des cigarettes électroniques, et les mesures prises en place par le gouvernement pour encourager cette recherche. Nous n’avons eu que très peu de retours.
« Les produits du vapotage sont règlementés en France par les dispositions qui transposent la directive sur les produits du tabac (2014/40/UE) », nous avait-on répondu concernant l’arrivée de JUUL en France en décembre 2018. « Les produits du vapotage contenant de la nicotine y sont soumis à des obligations d’étiquetage et de conditionnement (sécurité enfant) renforcés. La publicité et la vente aux mineurs sont interdites et sanctionnables. » Et de préciser : « Il est important de rappeler que si les autorités françaises préconisent une communication bienveillante à l’égard des démarches d’arrêt des fumeurs avec la cigarette électronique, elles mettent en garde contre le risque que la cigarette électronique devienne une entrée des jeunes vers des consommations sur lesquelles aucune certitude scientifique n’existe quant à leur impact sur la santé.»
À ce jour, aucune étude de grande ampleur en cours n’est connue sur le sujet. Le ministère de la Santé ne nous a pas apporté d’éléments de réponse sur ce point.
Vous avez des informations à nous communiquer sur ce sujet, et vous souhaitez entrer en contact ? Vous pouvez nous écrire : [email protected] ou par DM Twitter.
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