En changeant la technique originelle des ciseaux génétiques CRISPR, une équipe de chercheurs suisses ouvre la voie à la modification simultanée de plusieurs gènes.

Les techniques d’utilisation des ciseaux génétiques CRISPR ne cessent de s’améliorer. La dernière grande nouveauté en date a été publiée en août 2019 dans la revue Nature. Son innovation : la possibilité d’agir sur plusieurs gènes simultanément.

Le principe de CRISPR/Cas est de pouvoir supprimer, modifier ou remplacer un gène au sein d’une cellule vivante. Sauf que, jusqu’à aujourd’hui, ce processus ne se faisait qu’un seul gène à la fois. Des scientifiques de l’Institut fédéral suisse de technologies ont développé une technique plus efficace. Durant leur phase de test, ils ont réussi à en modifier 25 en une seule et même étape.

Les gènes sont soumis à de nombreuses interactions. Sur cette illustration, les gènes sont représentés par les points, et les interactions par les filaments qui les relient. // Source : ETH Zurich / Carlo Cosimo Campa

Les gènes sont soumis à de nombreuses interactions. Sur cette illustration, les gènes sont représentés par les points, et les interactions par les filaments qui les relient.

Source : ETH Zurich / Carlo Cosimo Campa

Reprogrammer à plus grande échelle

Les chercheurs justifient l’intérêt de leur innovation en s’appuyant sur le rôle crucial joué par les interactions entre les gènes. Au niveau cellulaire, c’est bel et bien tout un système dynamique qui est à l’œuvre, et non la simple addition de gènes. « Notre méthode nous permet, pour la première fois, d’opérer une modification systématique de réseaux entiers de gènes », se réjouit Randall Platt, qui a dirigé l’équipe à l’origine de la recherche. Cette technique ouvre la voie à des reprogrammations génétiques à bien plus grande échelle.

Pour mettre au point l’amélioration, les chercheurs suisses ont légèrement changé la méthode originelle et standard. Pour procéder à une ingénierie CRISPR, on utilise un brin d’ARN — une molécule présente dans tous les organismes et proche de l’ADN. Ce brin contient en quelques sortes une « adresse » vers les gènes cibles. La molécule d’ARN sert alors de guide à l’enzyme Cas9, chargée quant à elle de découper le gène. Pour la nouvelle méthode, les chercheurs ont créé une plasmide. Cette molécule circulaire est capable de contenir non pas une, mais plusieurs séquences ARN… et donc plusieurs adresses pour plusieurs gènes.

L'atlas va recenser les 300 sortes de cellules de notre organisme. // Source : Pixabay/CC0 (photo recadrée)

L'atlas va recenser les 300 sortes de cellules de notre organisme.

Source : Pixabay/CC0 (photo recadrée)

Cette technique abandonne l’enzyme Cas9, remplacée par Cas12a. On savait déjà qu’elle pouvait s’avérer plus précise et efficace, mais Randall Platt et son équipe ont découvert qu’elle est également capable de traiter des séquences ARN plus courtes. En clair : puisque la plasmide peut contenir davantage de séquences ARN, il est bien utile d’utiliser une enzyme capable de traiter des séquences courtes, car on peut intégrer dans la plasmide un très grand nombre de séquences et donc d’adresses.

Agir sur des centaines de gènes sera possible

Tout cet assemblage signifie que le ciseau génétique est capable de viser plus de gènes et avec plus de précision. Les premiers tests sur des cellules humaines ont porté sur 25 gènes, mais ce n’est pas une limite, au contraire : « Si ce n’est pas suffisant, ce nombre peut être augmenté à des douzaines ou même à des centaines de gènes ».

Cette avancée dans l’ingénierie génétique pourra, selon les auteurs, faire progresser la recherche fondamentale sur le comportement des cellules et sur les troubles génétiques complexes. Ils estiment aussi que ce nouveau CRISPR s’avérera utile pour développer les thérapies cellulaires, en remplaçant les gènes déficients et en boostant les bons gènes de manière simultanée.

Cette évolution de la technique CRISPR ne fera pas l’unanimité dans la communauté scientifique. En plus du risque de mutations génétiques indésirables qui a déjà été pointé du doigt, une polémique éthique a lieu depuis quelques mois, en Chine. C’est l’affaire des « bébés CRISPR » : une université a lancé des essais cliniques visant à modifier le code génétique d’embryons — avec pour objectif avancé d’immuniser les enfants à naître contre le VIH.

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