Amatrices et amateurs de science-fiction connaissent bien le film et le livre 2001 : Odyssée de l’Espace. Moins nombreux sont celles et ceux à avoir lu les suites écrites par Arthur C. Clarke, notamment le troisième épisode, 2061 : Odyssée Trois qui nous raconte entre autres, que Jupiter abrite une forme de vie primitive capable d’évoluer dans un monde chaotique.
Une théorie évidemment extrêmement improbable selon les connaissances actuelles, mais il faut dire qu’avec sa rotation rapide, ses vents à plus de 500 kilomètres/heures et sa foudre mille fois plus puissante que les éclairs les plus violents sur Terre, Jupiter nous reste aujourd’hui encore très inaccessible. Par définition, impossible de poser un quelconque engin sur cette planète gazeuse : tout ce qui reste pour obtenir des informations, ce sont des simulations informatiques basées sur les quelques données en notre possession.
Simuler l’impact sur Jupiter
C’est ainsi que dans une étude publiée dans Nature, une équipe internationale d’astronomes s’est servie des informations récoltées par la sonde Juno pour en déduire que le noyau de Jupiter n’était pas entier comme celui de la Terre, mais dilué dans son manteau, sur une surface couvrant près de la moitié du rayon de la planète. Pourquoi ? Parce qu’une autre planète encore plus grosse que la Terre l’a percuté de plein fouet alors qu’il était en pleine formation.
Pour arriver à cette conclusion, Shang-Fei Liu, l’astronome chinois qui a mené l’étude, s’est servi des données récoltées par Juno qui mesure le champ gravitationnel de Jupiter. À partir de là, il peut en déduire que la planète composée essentiellement d’hydrogène et d’hélium possède un noyau central qui n’est pas clairement défini. Il est dilué dans l’enveloppe, ce qui va à l’encontre de tous les modèles de formation de la planète.
Pour pouvoir expliquer cette drôle de structure, Shang-Fei Liu et son équipe ont donc dû ruser pour arriver à un résultat satisfaisant confirmant ces observations, et la clé serait la théorie de l’impact géant : « Pour avoir un tel impact, nous explique-t-il, il a fallu que Jupiter multiplie sa masse par 30 en seulement quelques millions d’années. Une croissance très violente qui a eu lieu il y a environ 4,5 milliards d’années, alors que le Système solaire était encore en formation. Les protoplanètes alentour ont tout d’un coup été attirées vers ce noyau et l’une d’elles l’a fait exploser pour arriver à la situation que nous avons aujourd’hui. »
Un résultat confirmé par plusieurs dizaines de milliers de simulations informatiques. Combinées, elles montrent qu’à cette période et dans cette situation, la Jupiter en formation a environ 40 % de chances de vivre un impact de ce type avec un embryon de 10 fois la masse de la Terre. Il faut imaginer l’état du Système solaire à l’époque : les planètes rocheuses les plus proches aujourd’hui du Soleil, dont la Terre, commencent à se former pendant que les plus grosses sont éjectées un peu plus loin.
Dans ce contexte, tout d’un coup, le noyau formé par la future Jupiter grossit et fait environ dix masses terrestres. Cela attire énormément de gaz et de matière et en un battement de cil (ou au moins en un million d’années), on passe de 10 à 30 puis à 300 masses terrestres. Un véritable aimant pour les embryons de planètes alentour subitement attirés par cette gravité nouvelle.
Pour arriver à la planète que nous connaissons aujourd’hui, il faut qu’il s’agisse d’un impact frontal
Mais attention, l’impact ne doit pas se produire n’importe comment. Pour arriver à la planète que nous connaissons aujourd’hui, il faut qu’il s’agisse d’un impact frontal, qui frapperait très exactement le centre de Jupiter, laquelle aurait alors une température autour des 30 000 degrés. Plus chaud, il n’y aurait plus du tout de noyau et tous les éléments seraient mélangés. Plus froid, la chaleur ne se répandrait pas suffisamment bien et l’on aboutirait à un résultat encore différent. Beaucoup de conditions donc, mais d’après les chercheurs, ce type d’impact était tellement fréquent à cette époque que voir un événement semblable n’est pas complètement improbable.
Le chaos et la planète dansante
L’étude est donc avant tout statistique : elle prend en compte le chaos qui régnait à ce moment-là pour expliquer la structure actuelle de Jupiter et il ne s’agit pas d’une observation directe. D’ailleurs, d’autres mécanismes peuvent expliquer la présence d’un cœur dilué : « Il pourrait s’agir d’un phénomène d’érosion du coeur, ou alors d’une pollution par des planétésimaux qui tromperaient les mesures de la sonde, reconnaît Shang-Fei Liu, ,mais la théorie de l’impact est la plus probable ». Une théorie qui pourrait même aider à mieux comprendre les autres planètes.
C’est en tout cas ce que pense Tristan Guillot, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur à Nice, et co-investigateur de la mission Juno. Pour lui, cette thèse de l’impact est accréditée par toutes les autres planètes. « Nous avons de bonnes raisons de penser que Saturne, Uranus et Neptune ont subi d’importants impacts lors de leur formation, seule Jupiter semblait épargnée, mais finalement ce pourrait être le cas également. »
Ces raisons, ce sont les axes de rotation des planètes. Alors que Jupiter est quasiment parfaitement perpendiculaire au plan orbital, Saturne et Neptune sont désaxées selon un axe de l’ordre de 30 %. Pire : Uranus, elle, est quasiment couchée sur son orbite. Pour le comprendre, imaginez une rotation de la Terre dans laquelle le Pôle Nord et le Pôle Sud se retrouveraient chaque année face au Soleil. La théorie principale pour expliquer cette situation veut que ces astres aient été frappés par des embryons de planète, mais rien n’expliquait le bel alignement de Jupiter.
La mission JUICE, la clef vers Jupiter
« Cette étude, nous explique Tristan Guillot, nous en apprend plus non seulement sur ces planètes, mais aussi sur l’état du Système solaire primordial, cela donne envie d’en découvrir plus encore. Par exemple sur la nature d’Uranus et Neptune : nous supposons qu’auparavant, il y avait de nombreux autres objets similaires dans cette région, mais qui ont soit percuté d’autres planètes en formation, soit été éjectés. Il faudrait les sonder pour en être sûrs. »
Cela dit, avant d’en arriver là, Jupiter à elle seule peut occuper les scientifiques encore quelques années. Juno est en orbite depuis 2016 et elle continue à récolter une impressionnante quantité de données qui sont toujours à traiter. Outre son détecteur de champ gravitationnel qui permet de connaître la distribution de la masse au sein de la planète, la sonde possède un radiomètre micro-onde qui a une tout autre fonction. Son but est de détecter la présence d’eau. Comme sur Terre, elle est très peu présente en surface, dans l’atmosphère visible. En revanche, en sondant profondément on peut en trouver en quantité. Des recherches sont encore en cours sur ce sujet, mais devraient faire l’objet d’études publiées dans les mois à venir.
Jupiter, puits de connaissance sur le Système solaire ? Oui, et même au-delà. Savoir de quoi sont composées les planètes les plus proches de nous, et savoir comment les éléments réagissent dans ces conditions peut ensuite aider à interpréter les mesures réalisées sur les exoplanètes. Juno a déjà ébranlé quelques connaissances sur Jupiter, notamment sur son atmosphère beaucoup plus complexe que ce qui était attendu par les scientifiques. Il lui reste encore de belles découvertes à fournir, au moins jusqu’en 2021, date actuellement prévue de fin de mission. En attendant l’arrivée de JUICE, mission européenne dont le lancement est attendu en 2022. Elle se concentrera sur tout le système jovien, en incluant donc les principales lunes avec l’espoir, pourquoi pas, de découvrir des traces de vie, et enfin donner raison aux Odyssées de l’Espace.
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