Le talent de Léonard de Vinci ne cesse de plaire et de surprendre, même 500 ans après. Mais contrairement à la Joconde, tous ses travaux ne sont pas connus du grand public. C’est le cas pour un gigantesque pont dont il avait imaginé les plans, sans que jamais le projet n’aboutisse. Des ingénieurs du MIT ont lancé l’ambitieux projet de le tester et ils ont dévoilé le résultat le 9 octobre 2019. Conclusion : oui, de Vinci était bel et bien un génie.
L’histoire d’origine date de 1502. Le sultan ottoman Bajazet II désirait un pont pour relier deux villes, Istanbul et Galata. Le défi était faramineux. Léonard de Vinci avait déjà une réputation dans les arts et les sciences. Il s’est donc logiquement lancé dans l’aventure. Mais le sultan a pris peur, face à une proposition trop complexe à ses yeux, ce qui l’a conduit à refuser. Toutefois les croquis montrent que De Vinci était prêt à concevoir ce qui aurait été le plus grand pont de son époque, d’une longueur de 280 mètres.
Pour savoir si les plans architecturaux auraient effectivement pu connaître une application concrète et fonctionnelle, l’équipe du MIT a construit une version à petite échelle du pont. À partir des croquis de Léonard de Vinci et de sa lettre au sultan, ils ont d’abord reporté les données « au propre » et sur ordinateur. Puis ils ont utilisé une imprimante 3D pour toutes les pièces de la structure. Durant le processus, les ingénieurs ont pu saisir à quel point le projet était innovant pour son époque.
Les plans de Léonard de Vinci étaient innovants pour l’époque
Au XVIe siècle, il n’y avait pas d’armature en métal ou d’asphalte pour construire les ponts, les ressources à disposition étaient bien plus rudimentaires. Tout l’enjeu architectural pour un ingénieur comme De Vinci était donc de faire tenir des centaines de blocs de pierre entre eux simplement à l’aide de la géométrie et des mathématiques. Le fait qu’il ait réussi est une preuve que « vous n’avez pas nécessairement besoin de technologies extravagantes pour avoir les meilleures idées », relève Karly Bast, étudiante ayant travaillé sur le projet du MIT.
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Comme l’indiquent les chercheurs, les ponts de cette époque étaient essentiellement « en plein cintre », c’est-à-dire en arc semi-circulaire. Pour ce faire, il faut installer plusieurs piliers permanents en dessous, pour supporter la structure. Mais le pont prévu par De Vinci était si long (dix fois plus que la moyenne de l’époque) qu’il aurait fallu une dizaine de piliers pour que cela tienne. Une telle solution aurait entravé le passage des bateaux — en plus d’être très couteux en ressources.
L’inventeur a donc opté pour un modèle plus innovant : un arc bien plus aplati… et sans aucun pilier, simplement soutenu par ses deux ancrages terrestres aux embouts. Selon les plans établis par De Vinci, même de grands voiliers auraient pu passer sous son pont, y compris avec leur mât déployé. Pour stabiliser les ancrages sur les rives — et éviter que la travée de s’effondre à cause d’éventuels mouvements de terres — l’ingénieur songeait à des culées dont l’originalité serait d’être intégrées à la structure et de s’évaser vers l’extérieur (cf. image).
Pour la version miniature, l’équipe du MIT a utilisé 126 blocs au lieu des centaines prévues, et l’échelle est de 1 sur 500, ce qui représente un objet d’un peu moins d’un mètre. Ces choix permettaient de reproduire l’équivalent physique du pont, en plus petit. Finalement, les pièces s’assemblaient bien et elles tenaient en place comme prévu.
« C’est le pouvoir de la géométrie »
Tout se maintient en fait par un simple effet de compression, comme le voulait De Vinci, qui indiquait dans son plan que les forces doivent se diffuser dans toute la structure. Et effectivement, il n’y a pas besoin de mortier ou de structure supplémentaire, les pierres se soutiennent par un effet de gravité. « C’est le pouvoir de la géométrie », commente Karly Bast.
Léonard de Vinci avait même compris que la région était fortement soumise aux tremblements de terre et qu’il fallait le prendre en compte. C’est pour cette raison que les piliers, sur les rives, sont solidement étalés. Pour tester la résilience du pont, les ingénieurs du MIT ont installé le pont sur deux tables roulantes, qu’ils ont progressivement éloigné : le pont a résisté, en ne se déformant que légèrement… avant de finalement s’effondrer quand les tables étaient trop éloignées ; mais le test de résistance à un tremblement de terre était largement réussi.
Les chercheurs ne savent pas si les croquis relevaient juste du brouillon, fait plus ou moins rapidement, ou s’il a longuement travaillé dessus. Mais pour Karly Bast, une chose est sûre : « Il savait comment le monde physique fonctionne ».
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