Il n’y a pas de preuves que les enfants nés après une manipulation génétique sur leurs embryons, à l’aide de la méthode CRISPR, auraient une espérance de vie réduite. Le 14 octobre 2019, la revue scientifique Nature a annoncé que les conclusions d’une étude publiée en juin dernier sont erronées. Le document affirmait que les « bébés CRISPR » nés après une modification génétique couraient un risque de mourir plus tôt.
Sur la page renvoyant vers cette étude, on peut désormais lire qu’elle a été « retirée le 8 octobre 2019 ». Nature justifie la rétraction de l’étude à cause « d’erreurs clés qui discréditent sa conclusion ». Le texte, publié dans Nature Medicine, concluait que la vie des enfants nés à la fin de l’année 2018 en Chine, à la suite d’un essai clinique de modification génétique sur des embryons, risquait d’être raccourcie de 2 ans en moyenne.
Qu’est-ce que l’affaire des « bébés CRISPR » ?
Cette affaire a commencé à la fin de l’année dernière, lorsque le chercheur chinois He Jiankui de la Southern University of Shenzhen a prétendu avoir modifié avec succès l’ADN de deux jumelles, en manipulant leurs embryons avant leur naissance. Il a eu recours à la méthode CRISPR Cas-9, surnommée le « ciseau génétique », car elle consiste à « couper » dans l’ADN pour éliminer un gène précis. Dans le cas de cette expérience, He Jiankui affirmait que la méthode permettrait d’immuniser les enfants à naître contre le VIH (responsable du sida), lorsqu’un des parents est séropositif. C’est le gène CCR5 qui a été visé.
Une mutation de ce gène, connue sous le nom de « mutation CCR5 delta 32 », peut protéger les individus d’une infection par le VIH. Le cas du patient de Berlin, que l’on considère guéri du VIH, l’a illustré : il a reçu un don de moelle osseuse, de la part d’un donneur qui était porteur de cette mutation.
Cette expérience controversée a attiré l’attention de la communauté scientifique. La possibilité que cette manipulation génétique ait mis en danger la santé des « bébés CRISPR » a été envisagée. Mais la réduction de l’espérance de vie de ces enfants est-elle vraiment prouvée ? Comme l’indique Nature, des scientifiques se sont penchés sur les résultats du texte publié en juin dans Nature Medicine. À partir de nouvelles bases de données sur le génome humain, « contenant les séquences de centaines de milliers de personnes », plusieurs études n’ont identifié aucune preuve du risque de mort prématurée chez les individus porteurs de la mutation. L’erreur semble d’origine technique : les auteurs se sont trompés en identifiant la mutation dans une base de données.
« Aucune preuve d’un effet sur l’espérance de vie »
Trois nouvelles études ont été publiées sur l’archive BioRxiv le 2 octobre 2019. Les prépublications déposées sur ce site, portant sur le domaine des sciences biologiques, n’ont pas nécessairement été relues par des pairs. Un tel processus de publication incite donc à la prudence. Néanmoins, il est intéressant de constater que les trois équipes de scientifiques parviennent à la même conclusion, en utilisant les données de la UK Biobank, exploitées dans l’étude qui a été retirée.
« Un examen plus approfondi des mêmes données ne fournit aucune preuve positive d’un effet sur l’espérance de vie », affirment ainsi les auteurs de l’un des documents, notamment signé par des chercheurs du Broad Institute (partenaire du Massachusetts Institute of Technology et de l’université d’Harvard). D’autres scientifiques de cet institut ont contribué à la rédaction d’une deuxième étude, qui relève aussi des erreurs techniques dans le texte initial. Une dernière étude exploite également deux bases de données en Islande et en Finlande, en plus de faire un réexamen des données de la UK Biobank. « Nous ne voyons pas de preuve d’un effet sur la réduction de la mortalité chez les porteurs de CCR5-del32 dans les deux études de l’Islande et de la Finlande et suggérons que le rapport initial constitue simplement un faux résultat positif », écrivent les auteurs, dont font partie des membres de l’Institute for Molecular Medicine Finland.
Rasmus Nielsen, biologiste et professeur au Département de biologie intégrative à l’Université de Californie à Berkeley, est l’un des auteurs de l’étude publiée en juin. Il a également co-signé l’une des nouvelles études (la première citée ci-dessus). « J’ai la responsabilité de rétablir les faits auprès du public », a-t-il reconnu, cité par Nature. Le retrait de cette étude qui avait fait grand bruit souligne à quel point la prudence est requise pour les scientifiques qui s’intéressent aux conséquences de l’utilisation de la méthode CRISPR sur l’organisme humain.
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