« C’est une présentation des choses qui n’est pas tout à fait juste. Il y a plein d’éléments qui nous interpellent », alerte d’emblée Céline Delysse, responsable communication de l’organisme AirParif, contacté par Numerama. Ce 6 novembre 2019, Laurent Alexandre publie dans le journal L’Express une chronique intitulée « La pollution de l’air s’effondre ». Dans son texte, le célèbre climatoptimiste, chirurgien, business man et fondateur de Doctissimo, s’appuie sur des chiffres et déclarations d’AirParif pour légitimer son propos. Problème : même AirParif n’est pas d’accord avec ce qu’affirme Laurent Alexandre.
Les chiffres qu’il invoque dans sa chronique sont interprétés de manière aussi biaisée qu’incomplète, voire dans leur incompréhension totale. La première sonnette d’alarme à tirer est la généralisation : que ce soit dans le titre ou dans le premier paragraphe, l’auteur cadre son approche de manière nationale, à l’échelle française. « Il semble parler d’AirParif comme une entité qui refléterait l’ensemble de la France, mais ce n’est pas le cas, on observe la région Île-de-France, rappelle Céline Delysse. Même sur les améliorations que l’on constate, il ne faut pas les généraliser. Dire que la qualité de l’air s’améliore partout, ce ne serait pas vrai ».
Des données sélectionnées de manière biaisée
AirParif invite également à prendre avec des pincettes la façon dont on sélectionne les données, la façon dont on les fait parler. Dès le début de sa chronique, Laurent Alexandre annonce en grande pompe que le SO2 (dioxyde de soufre) a grandement baissé. Pierre Pernot, ingénieur à AirParif, tient à nuancer la valeur à accorder à ce constat : « Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de problème de qualité de l’air en dioxyde de soufre. On n’est plus obligé de le mesurer. Donc ce n’est pas le dioxyde de soufre qui est un indicateur de la qualité de l’air. »
Même schéma pour bien d’autres données invoquées par Laurent Alexandre. « Il y a des polluants qui ne font plus partie aujourd’hui des grandes préoccupations », ajoute Céline Delysse. Effectivement, la situation a énormément évolué ces dernières décennies et certains polluants disparaissent. De nombreuses industries, autrefois implantées en Île-de-France, en sont parties. Sans compter que des dispositions réglementaires ont été efficaces : si Laurent Alexandre affirme que que la disparition du plomb a été cachée, ce n’est pas le cas, car comme l’explique Pierre Pernot, « c’est le résultat de son interdiction dans l’essence, tout comme le dioxyde de soufre disparaît car on l’a enlevé des carburants ».
Des polluants comme l’ozone sont plutôt à l’augmentation
Ce n’est pas pour autant que tout va bien et que la pollution de l’air « s’effondre ». Parallèlement aux polluants déjà répertoriés, de nouveaux polluants émergent. Par exemple, tandis que Laurent Alexandre met en avant des chiffres peu parlants, il n’accorde qu’une seule phrase à l’ozone. Citons-le : « Le taux d’ozone reste insatisfaisant ». Pourtant, la réalité scientifique est bien au-delà d’une simple insatisfaction. L’ingénieur d’AirParif Pierre Pernot précise à Numerama que « des polluants comme l’ozone sont plutôt à l’augmentation ». Le seuil de risque pour la santé est « dépassé dans toute l’Île-de-France », ajoute Cécile Delysse.
Une autre utilisation erronée des données par Laurent Alexandre a interpellé AirParif. De nouveau, citons-le : « Les particules fines, constituantes des fumées noires, ont chuté de 80 % depuis 1950 ». La réaction de Pierre Pernot ne se fait pas attendre : « C’est faux. En 1950, on ne mesurait pas les particules fines de type PM10 ». Le problème est donc ici dans l’ambiguïté rhétorique de la phrase. Car si les fumées noires comportent en effet des particules fines, toutes les particules fines ne sont pas tirées des fumées noires. Une baisse des particules fines a bien lieu, mais plutôt de l’ordre de 33 à 40 % entre 2005 et 2018 selon les chiffres que nous a transmis Airparif. Depuis quelques années se pose également le souci des particules dites « ultrafines »… dont l’étude détaillée ne fait que commencer.
« L’air reste pollué »
Au-delà du fait que Laurent Alexandre a mal sélectionné les données, il s’avère qu’elles sont peu pertinentes en étant avancées telles quelles. « Il ne faut pas confondre l’émission du polluant avec sa source et sa concentration », relève Céline Delysse. Il faut remplacer les chiffres dans un contexte. Si la qualité de l’air s’est légèrement améliorée en Île-de-France au cours de ces dernières années, on part de très loin, donc une amélioration « ne veut pas dire que les franciliens ne sont pas exposés à des niveaux mettant en jeu leur santé ».
Dix millions d’habitants en Île-de-France sont exposés à un haut niveau de particules fines. « Malgré une tendance à l’amélioration, les valeurs limites journalières et annuelles pour les particules fines sont toujours dépassées à proximité du trafic routier », indique Cécile Delysse à Numerama. 85 % des franciliens sont exposés à l’ozone. En bref, « l’air reste pollué », ajoute Pierre Pernot. Pour la plupart des polluants, « on est encore largement au-dessus des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé » en Île-de-France. D’ailleurs, la France a récemment été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour manquement à la qualité de l’air.
Une révision à la hausse de l’impact sur la santé de la pollution
Pour l’équipe d’AirParif, les améliorations à relever sont évidemment positives, mais « cette évolution ne va pas suffisamment vite », la sensibilisation doit être maintenue. D’autant que Pierre Pernot tient à préciser que « les évaluations sanitaires montrent plutôt une révision à la hausse de l’impact sur la santé de la pollution. Donc il faut manier avec beaucoup prudence les données sur la qualité de l’air ». La pollution de l’air causerait en France 48 000 décès prématurés chaque année. Et la communauté scientifique s’interroge de plus en plus sur les risques pour la santé d’autres composants encore peu répertoriés, comme les particules ultrafines et bien d’autres. « Il faut avoir une vraie vigilance, car non seulement les niveaux ne sont pas satisfaisants, mais il y a des polluants émergents à documenter »,
De fait, lorsque Laurent Alexandre affirme dans son tweet que « le phénomène écologique le plus marquant des 50 dernières années c’est la rapide chute libre de la pollution de l’air », c’est évidemment faux. La faible valeur scientifique de sa chronique vient rappeler que les grandes figures du climatoscepticisme sont avant tout caractérisées par de l’incompétence. Laurent Alexandre est un habitué des données non-sourcées ou mal comprises, comme ce fut le cas lorsqu’il confondait les départs de feu et les incendies en Amazonie cet été.
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