Des chercheurs américains ont procédé à un test de Crispr sur des humains atteints du cancer. Ils ont réussi à utiliser les ciseaux génétiques de manière peu invasive.

Les ciseaux génétiques Crispr-Cas9 ont révolutionné l’édition de l’ADN, depuis leur invention par la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna en 2012. Grâce à une protéine (Cas9) guidée par un brin d’ARN, on peut modifier avec simplicité le patrimoine génétique d’un être humain, d’un animal, d’une plante. Des chercheurs de l’université médicale de Pennsylvanie ont annoncé, ce 6 novembre 2019, une nouvelle avancée. Ils ont utilisé Crispr pour essayer d’améliorer l’immunité de trois patients contre le cancer. La première étape du test est réussie, la seconde nécessite plus d’expérimentations.

Les applications potentielles des ciseaux génétiques Crispr sont à la fois source d’intérêt pour les scientifiques et d’inquiétudes. La problématique éthique pose la question d’une utilisation éventuellement eugéniste de cet outil, pour attribuer certaines caractéristiques avant la naissance. Autre inquiétude : les effets éventuels néfastes de Crispr, que l’on n’est pas encore entièrement sûrs de comprendre. En Chine, l’utilisation sur des bébés pour les immuniser contre le VIH avait fait polémique. Mais aux yeux de certains scientifiques, ces ciseaux génétiques n’en restent pas moins un potentiel outil médicalement précieux : un biologiste russe essaye par exemple d’annuler la surdité chez des embryons en appliquant Crispr sur les ovules d’une femme née sourde.

Un quatrième gène inséré

Cette nouvelle étude dédiée au cancer est l’un des premiers tests cliniques du genre, d’autant plus sur le sol des États-Unis. Il aura fallu plus de deux ans à cette équipe pour obtenir l’approbation des autorités américaines de régulation, afin de pouvoir effectuer cette expérimentation sur trois patients.

À l’aide de Crispr, ils ont « découpé » l’ADN pour extraire trois gènes. Les deux premiers sont des lymphocytes T abimés qui empêchent les cellules immunitaires de s’en prendre aux cellules cancéreuses. Le troisième est une sorte d’interrupteur que les cellules cancéreuses viennent endommager, ce qui bloque les cellules immunitaires dans leur action protectrice pour l’organisme.

Le gène nouvellement inséré a survécu au sein de l’ADN et s’est répliqué

Ensuite, les scientifiques ont modifié un gène lymphocyte T extrait en y intégrant un lentivirus modifié (pendant une longue période d’incubation, un lentivirus tue les cellules qu’il est voué à infecter). Ce quatrième gène, recréé in vitro, est inséré dans l’ADN du patient. Son rôle : viser et attaquer NY-ESO-1, un antigène cancéreux, c’est-à-dire une protéine essentielle pour le fonctionnement de la tumeur. Au niveau de l’ingénierie génétique, c’est un succès : les analyses de sang sur les patients révèlent que le gène nouvellement inséré a survécu au sein de l’ADN et s’est répliqué.

La réussite de ce test est à deux niveaux. Les scientifiques ont pu modifier des gènes qui ont un rôle crucial dans la tumeur cancéreuse, grâce à Crispr, sans pour autant procéder à une ingénierie invasive directement au sein du corps. Les gènes ont été retirés, modifiés, puis ré-injectés. Ensuite, seconde réussite, la modification de l’ADN a perduré, opérant le comportement souhaité et a priori sans effet secondaire.

L’enjeu de l’efficacité n’est pas encore rempli

C’est déjà une première étape énorme qui vient d’être franchie pour développer de nouvelles thérapies géniques. Mais la seconde étape, tout aussi importante, n’est pas pour tout de suite. Il s’agit tout simplement de l’efficacité du procédé : une amélioration notable de l’immunité pour vaincre le cancer. Cet aspect est encore loin d’être éprouvé. Le cancer du premier patient a continué d’empirer, celui du second patient est resté stable, et le troisième patient a reçu le traitement expérimental trop récemment pour en tirer des conclusions. L’équipe voudrait appliquer cette ingénierie génétique à 15 autres patients afin d’avoir une palette plus large de résultats, afin d’améliorer leur méthode.

« Ces avancées récentes sont le premier pas pour déterminer si cette nouvelle technologie innovante pourrait aider à changer la façon dont on traite les patients atteints d’un cancer, et peut-être d’autres maladies mortelles », conclut dans le communiqué Sean Parker, fondateur de l’Institut Parker dédié aux immunothérapies contre le cancer, partenaire de l’étude. Le succès de la méthode est encore partiel, mais prometteur, selon les chercheurs. Le débat éthique, quant à lui, continue tout autant. Rappelons qu’une nouvelle méthode d’ingénierie génétique, Prime editing, a été dévoilée le 21 octobre dernier, et qu’elle pourrait s’avérer plus performante que Crispr et moins dangereuse.

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