Notre Lune nous révèle encore régulièrement ses mystères et nous sommes loin d’avoir percé tous ses secrets. Alors, autant dire que pour ce qui est des lunes d’autres planètes bien loin de notre Système solaire, il reste encore quasiment tout à découvrir.
Dans une étude parue dans Science Advances, des astronomes pensent même avoir découvert une Lune qui s’est formée d’une manière jamais vue auparavant. Il s’agit de Kepler-1625 b i.
Il y a bien longtemps, à 8 000 années-lumière
La scène se déroule à 8 000 années-lumière de la Terre, dans la Constellation du Cygne. L’étoile Kepler-1625 a une planète en orbite autour d’elle, Kepler 1625 b. Une géante gazeuse dix fois plus massive que Jupiter, tellement énorme qu’il s’en est fallu de peu pour qu’elle ne fusionne, jusqu’à devenir une naine brune.
Mais là où cela devient intéressant, c’est qu’autour de cette planète, une lune a peut-être été découverte par des astronomes de l’Université Columbia à New York, ce qui serait une première sur une exoplanète. Une exolune qui reste encore aujourd’hui hypothétique, mais qui a attiré l’attention de nombreux chercheurs.
Parmi eux, Bradley Hansen, astrophysicien à l’Institut Mani Bhaumik d’astrophysique théorique de Los Angeles. Il a mis en évidence le fait que si cette lune existe bien, elle n’a pas dû se former comme la nôtre. À la place, il s’agirait d’une protoplanète qui aurait été happée par sa planète hôte qui était encore en formation.
Pour bien cerner la différence, il faut se rappeler comment notre Lune semble avoir été formée. La théorie dominante pour expliquer la formation de la Lune est celle de l’impact géant. Un bout de Terre s’est détaché et a formé la Lune dans un ballet cataclysmique pendant que les corps célestes étaient encore en formation. Peu à peu, la situation s’est stabilisée, les deux astres se sont retrouvés dans un équilibre avec la Lune en orbite que nous connaissons aujourd’hui.
Dans l’histoire de Kepler-1625, rien de tout ça. « Ce qui nous a alertés, explique Bradley Hansen, c’est la taille de la lune, ainsi que son orbite. Cela ne correspond pas à une formation classique. » Il faut dire que jusque-là, aucune exolune n’a été découverte avec certitude et les seuls exemples que nous avons pour apprécier les lunes sont ceux qui peuplent le système solaire. Il y a donc un certain modèle qui se dégage : les lunes sont en général assez petites, même si elles sont autour de planètes géantes. Le plus gros satellite du Système solaire, Ganymède qui gravite autour de Jupiter, ne fait même pas la taille de la Terre. Autre caractéristique: les orbites sont généralement elliptiques, c’est-à-dire qu’elles forment à peu près un cercle autour de leur planète-hôte.
Pourtant, dans le système Kepler, l’hypothétique lune qui aurait été observée ferait plutôt la taille de Neptune qui est elle-même plus de quinze fois plus massive que la Terre. Et en plus elle présente une orbite extrêmement allongée, différente de tout ce qui a été observé sur les lunes de notre Système.
Un astre pas comme les autres
Pour Bradley Hansen, tout cela signifie que ce drôle d’astre s’est formé différemment. Dans l’étude, il établit qu’il s’agirait avant tout de deux planètes géantes qui étaient en formation autour de l’étoile. D’abord, leur noyau a commencé à se modeler avec des poussières et des roches qui s’agglomèrent pendant environ un million d’années. Petit à petit, ces noyaux grandissent jusqu’à faire une dizaine de masses terrestres, et en arrivant à ce stade, ils peuvent commencer, grâce à leur masse, à attirer le gaz autour. C’est comme cela que sont nées des géantes gazeuses comme Jupiter.
Problème : un de ces deux noyaux a atteint ce seuil en premier et a commencé à attirer tout le gaz à lui. L’autre, non seulement se retrouvait sans gaz, mais en plus, a été attiré par la croissance très rapide de la masse de son voisin. Cette géante gazeuse sans gaz a été piégée dans l’orbite qu’elle possède aujourd’hui et qui fait d’elle une lune géante autour d’une planète encore plus gigantesque. « Cette hypothèse permet de justifier à la fois la taille et l’orbite de la lune, explique Bradley Hansen. Cela explique aussi pourquoi les deux astres sont tellement loin l’un de l’autre, ce qui ne serait pas produit avec une formation liée à un choc. »
Confirmer cette hypothèse serait extrêmement délicat étant donné que l’existence de la lune Kepler-1625 b i elle-même n’est pas complètement établie. Mais justement, pour les découvreurs originaux de cet astre c’est un grand pas en avant. « Il y a eu beaucoup de scepticisme autour de notre découverte, reconnaît Alex Teachey, un des auteurs de l’étude qui avait fait état de l’existence de cette lune. ,Mais avec ce papier, c’est un pas de plus pour prouver que cet objet peut théoriquement exister. »
Il faut dire que ce processus de capture n’a jamais été observé, mais semble crédible parmi la communauté scientifique. En décembre 2018, peu après la découverte présumée de Kepler-1625 b i, une autre étude parue dans The Astrophysical Journal Letters décrit le même phénomène. Même si le processus pour arriver au bout de la formation n’est pas complètement identique et décrit plutôt une sorte de force de marée entre les deux planètes qui font que la plus petite devient la lune de la plus grosse.
Même si Kepler-1625 b i est un faux positif et n’existe pas, elle ‘pourrait’ être là selon les lois de la physique
Pour Alex Teachey, ces études prouvent qu’il faut continuer les recherches sur les exolunes : « Même si Kepler-1625 b i est un faux positif et n’existe pas, elle ‘pourrait’ être là selon les lois de la physique. En d’autres termes, nous pouvons être un peu plus à l’aise quand nous identifions ce type d’objet car rien ne s’oppose au fait qu’il s’agisse de lunes avec des tailles et des orbites jamais rencontrées dans notre Système solaire. » Une bonne nouvelle au vu des difficultés à identifier des exolunes si elles ne sont pas extrêmement massives comme celle-ci.
Détecter les exolunes : un casse-tête
En effet, si la méthode des transits est au point pour détecter des exoplanètes, il n’en va pas de même de leur satellite. Lorsqu’une planète passe entre son étoile et l’observateur, elle produit une modification de la lumière émise par l’étoile, une altération légère, mais détectable par les instruments actuels qui permet d’affirmer que quelque chose est bien passé devant. En revanche, quand une telle détection est faite, il est très difficile, voire impossible, de savoir s’il s’agit d’une planète seule ou d’une planète accompagnée d’un ou de plusieurs satellites.
Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui manquent. Dès 2009, David Kipping astronome de l’Université Columbia qui cosignera bien plus tard avec Alex Teachey l’étude sur l’exolune, avait établi une méthode de détection. Il proposait de mesurer la durée du transit, mais aussi le temps entre deux transits. Des données qui pouvaient évoluer selon lui lorsque la planète possédait un satellite. Une méthode qui a donc bien fonctionné puisque c’est comme cela qu’il a découvert Kepler-1625 b i.
Si elle ne prouve pas directement l’existence de cette lune, l’étude de Bradley Hansen permet de l’envisager avec un peu plus de sérénité. Pour Alex Teachey, quel que soit le fin mot de cette énigme, ce ne sera pas du temps gâché :« Il y a une symbiose entre les observateurs et les théoriciens. Parfois nous observons des phénomènes et c’est aux théoriciens de leur trouver une explication. D’autres fois ce sont des théories qui naissent et nous nous mettons à la recherche d’observations pour les confirmer. Et dans tous les cas, ces travaux peuvent donner des idées sur les modes de formation des systèmes planétaires. »
Quoi qu’il en soit, avec l’arrivée d’une future génération de télescopes de plus en plus puissants, il devrait devenir plus facile de détecter et de caractériser des exoplanètes. La découverte d’exolunes serait donc facilitée, ce qui donnerait un petit aperçu de leur diversité. L’occasion de vérifier si le mode de formation par capture décrit par Bradley Hansen est quelque chose de rare ou de fréquent, mais aussi de savoir à quoi ressemblent ces astres qui auraient pu être des planètes s’ils n’avaient pas été happés par des plus gros astres qu’eux, dépouillés du gaz qui aurait dû leur servir d’enveloppe.
Car cette évolution atypique a une conséquence intéressante pour Bradley Hansen : « Cela nous donnerait une chance d’observer le noyau d’une planète géante sans la couche de gaz qui l’entoure généralement. » Kepler-1625 b i serait ici une super-Jupiter stoppée dans sa croissance, un stade des géantes gazeuses qui n’a jamais pu être observé tel quel.
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