Nous vivons probablement, à notre époque, les débuts d’une sixième extinction de masse. Pour sauver la biodiversité, des solutions émergent et elles sont urgentes. Certaines sont innovantes et pertinentes, mais d’autres ne sont pas sans poser des problèmes humains. Parmi ces dernières, on retrouve l’idée de transformer 50 % de la Terre en réserve naturelle strictement protégée. Des scientifiques de l’université de Cambridge posent de grands obstacles sociaux et même économiques à cette proposition, dans un article publié le 18 novembre 2019.
La proposition sur laquelle se basent ces scientifiques est nommée « Half Earth Project » en anglais. C’est le projet d’un certain Edward Osborne Wilson, qu’il présente dans un livre publié en 2016 et qu’il défend maintenant via sa fondation. Sur son site, on retrouve par exemple une carte interactive de la biodiversité en danger dans le monde. Selon Wilson, ce projet permettrait de « renverser la crise d’extinction des espèces and assurer la santé à long-terme de notre planète ».
Edward Osborne Wilson est aussi l’un des fondateurs de la sociobiologie : cette discipline entend étudier les bases biologiques (présumées) de comportements sociaux, dans une mouvance néo-darwiniste. Elle n’a pas toujours fait l’unanimité au sein de la communauté scientifique. En tout cas, Wilson a une notoriété internationale de premier plan pour son travail sur la préservation de la biodiversité — terme qu’il a contribué à préciser. Il s’est notamment penché sur les extinctions d’espèce survenues au XXe siècle, son rôle fut même crucial.
Concernant le « Half Earth Project » qu’il a proposé il y a quelques années, l’idée a fait son petit chemin et n’est plus seulement l’apanage de Wilson. Le projet se popularise, si bien qu’on a vu dernièrement émerger une pétition, intitulée Global Deal for Nature, destinée à promouvoir l’instauration de 30 % de zones protégées pour 2030 puis 50 % pour 2050. De nombreuses associations ont souscrit à cette proposition. Les scientifiques de l’université de Cambridge ont étudié les « écozones » qui devraient être étendues ou créées pour atteindre l’objectif défendu par Wilson et ses pairs. Le résultat de leur recherche les inquiète. Le projet serait trop drastique et pourrait poser plus de problèmes qu’il n’en résout.
Les politiques écologiques doivent aussi être sociales
Le constat de l’équipe de Cambridge : mettre en place un « Half Earth Project » menacerait la stabilité d’un milliard de personnes dans le monde, essentiellement dans les pays à revenus moyens (un groupe très large d’États où l’on retrouve l’Inde, la Colombie, l’Afrique du Sud…). Il ne serait pas possible de transformer 50 % de la planète sans atteindre des zones ayant une empreinte humaine importante. Par exemple, certaines parties de Londres pourraient être concernées.
À partir de cette conclusion statistique, les chercheurs appellent à prendre en considération l’impact humain, quel qu’il soit, des mesures écologiques. Cet impact peut s’avérer positif : « Vivre dans des zones riches en habitats naturels peut améliorer la santé mentale et le bien-être », précisent les auteurs. L’apport peut aussi être économique et développer l’emploi, grâce à l’écotourisme. Cependant, ils alertent sur l’autre extrême. « Certaines formes de ‘forteresse’ de préservation peuvent amener à déplacer des gens de leur habitat ancestral et empêcher l’accès à des ressources sur lesquelles ils comptent pour survivre. »
« Les gens sont la cause de la crise d’extinction, mais ils sont aussi la solution »
De fait, ils affirment dans leur article que, s’il faut être ambitieux sur les politiques écologiques, elles ne doivent pas être envisagées sans une solide analyse des implications socioéconomiques. Plus encore, les problématiques sociales et locales doivent être intégrées à la réflexion sur les problématiques environnementales. Car les solutions sont liées : « Les gens sont la cause de la crise d’extinction, mais ils sont aussi la solution », relève Judith Schleicher, qui pilote cette étude. S’ils alertent, c’est parce que la prise de conscience actuelle nous amène à une période où des décisions vont être prises en faveur du développement durable et de la biodiversité. Les choix auront des conséquences sur une à plusieurs générations. « Les vies de nombreuses personnes et l’existence d’espèces variées sont en jeu, au même niveau. »
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