C’est une avancée cruciale dans le domaine de la médecine que rapporte en exclusivité le magazine américain NewScientist, dans un reportage du 20 novembre 2019. Le docteur Samuel Tisherman, de l’école de médecine du Maryland, y annonce que son équipe a pour la première fois placé des patients dans un état de biostase. Il décrit les premiers essais comme « surréalistes ».
La biostase est un « arrêt réversible de la vie ». Le patient est théoriquement placé dans un état proche de l’hibernation. Tout l’organisme s’arrête à un moment défini, perdurant tel qu’il était au moment où il s’est arrêté… avant d’être relancé après un certain temps. L’hibernation ne fait que ralentir le métabolisme, là où la biostase est censée le figer totalement. En médecine, l’utilisation de ce procédé — éteindre et relancer volontairement le métabolisme — pourrait permettre de soigner des blessures graves qui auraient, en temps normal, causé la mort.
Une mesure d’urgence proche de la cryogénisation
Cette technique n’est normalement pas utilisée en médecine. Jusqu’à maintenant, on ne savait pas procéder en toute sécurité à cette préservation-réanimation radicale du corps sur des humains. L’université du Maryland est donc à l’avant-garde dans l’expérimentation concrète. Le docteur Samuel Tisherman a décrit au NewScientist la procédure utilisée. Elle n’est déclenchée que lorsqu’ils reçoivent, à l’université du Maryland, des patients atteints d’un trauma aigu ayant causé un arrêt cardiaque.
Face à ce type d’urgences, les chirurgiens n’ont que quelques minutes pour opérer une personne dans un état désespéré : par exemple, la perte de plus de la moitié du sang après une blessure par balle ou un coup de couteau. Il y a alors « habituellement moins de 5 % de chances de survivre », indique le magazine. C’est là qu’intervient le processus de « préservation d’urgence avec réanimation ». La méthode est assez proche d’une cryogénisation. Le sang du patient est remplacé par une solution saline glacée, ce qui déclenche la baisse rapide de la température du corps à 10-15 degrés (contre 37° normalement) et l’arrêt quasi-complet de l’activité cérébrale. Dans toute autre circonstance, cet état serait « classifié comme une mort ».
Les chirurgiens ont 2h, au lieu de quelques minutes, pour sauver le patient
Une fois l’effet voulu accompli, le système de refroidissement est déconnecté et le patient est transporté au bloc pour être opéré. La fenêtre d’opportunité des médecins est alors largement augmentée, bien que tout de même restreinte : on passe de quelques minutes pour sauver la vie du patient à très exactement deux heures. Ensuite, la réanimation est nécessaire. Il faut réchauffer le corps pour que le métabolisme reprenne son cours normal.
Comment ça fonctionne ?
Si le corps se retrouve dans un état qui serait habituellement assimilé à la mort, alors, pourquoi n’est-ce pas totalement une mort ? La clé est dans le refroidissement. Les cellules de notre corps ont besoin d’être correctement alimentées en oxygène pour produire l’énergie nécessaire à la vie. En cas d’arrêt cardiaque et de perte sanguine, après une blessure comme dans les cas que nous avons cités, alors le sang ne peut plus transporter l’oxygène. Dans cette situation, le cerveau n’a que quelques minutes avant l’apparition de dommages irréversibles.
Abaisser la température du corps de 37 à 10-15 degrés réduit considérablement l’activité chimique cellulaire. À ce régime, elles ont besoin de moins d’oxygène. En conséquence, même avec une circulation sanguine endommagée et réduite, cela laisse plus de temps — en l’occurrence 2h — avant que des dommages n’adviennent.
« Nous n’essayons pas d’envoyer des gens sur Saturne. Nous essayons de nous offrir plus de temps pour sauver des vies »
Samuel Tisherman et son équipe révèleront les résultats complets fin 2020. Ils ne précisent pas encore combien de patients survivent. Rappelons que cette technique est en phase purement expérimentale. Ils ont été obligés de demander une autorisation auprès de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux. Cette dernière a donné son accord, y compris en l’absence de consentement des patients quand ils ne peuvent pas le donner : il faut que toutes les autres alternatives soient impossibles et que l’état du patient soit mortellement grave.
Des expériences avaient déjà été réalisées sur des animaux. Comme le relève le NewScientist, ces tests avaient montré que la biostase peut a priori être poussée jusqu’à trois heures. Samuel Tisherman estimait que, face à ces résultats encourageants, il était temps de passer pour la première fois à l’échelle humaine. « Nous le faisons et nous apprenons beaucoup, à mesure que nous avançons dans les tests. Une fois que nous aurons prouvé son efficacité ici, nous pourrons étendre l’utilité de cette technique pour aider les patients qui ne survivraient pas autrement. »
Le docteur insiste auprès du NewScientist sur le fait qu’il ne s’agit pas de jouer à l’apprenti sorcier, mais bien de sauver des vies. « Nous n’essayons pas d’envoyer des gens sur Saturne. Nous essayons de nous offrir plus de temps pour sauver des vies », affirme-t-il. Pour atteindre entièrement cet objectif, la technique doit encore être améliorée : lors de la phase de réchauffement, des patients subissent des dommages cellulaires aux causes non encore connues. Mais Samuel Tisherman et son équipe travaillent activement sur des pistes pour dépasser l’un des derniers obstacles à une biostase médicale utilisable.
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