De Star Trek à Interstellar, la science-fiction nous donne envie qu’ils existent… mais ils ne sont que théoriques : les trous de ver seraient des objets astrophysiques reliant deux régions distinctes dans l’espace et le temps. À Mountain View, chez Google, une équipe de scientifiques propose un système censé reproduire, en laboratoire, le principe physique des trous de ver. Comme ils l’expliquent dans un article de pré-publication sur arXiv, disponible depuis mi-novembre 2019, leur technique est basée sur l’informatique quantique.
Ces chercheurs de Google veulent résoudre l’énigme de la gravité quantique. Deux théories sur la structure de l’Univers sont en concurrence :
- la relativité générale (sur la nature et l’évolution de l’espace-temps),
- et la mécanique quantique (sur le comportement de la matière à l’échelle atomique et subatomique).
Ces deux concepts expriment des lois différentes qui ne peuvent pas se mélanger. Ils sont incompatibles… pourtant, chacun d’eux se vérifie par différentes expérimentations. Nous avons donc deux théories valables et validées pour décrire le réel. Au quotidien, en astrophysique, cette incohérence n’est pas un souci pour les chercheurs. Selon l’objet étudié, ils font appel à l’une ou l’autre théorie, par exemple la physique quantique pour étudier un atome, et la relativité pour étudier un trou noir.
Quelques fois, en revanche, l’objet d’étude nécessite de mobiliser plus de dimensions du réel. Les chercheurs doivent alors faire appel aux deux théories. Pour essayer de comprendre le cœur d’un trou noir, par exemple, il faut mobiliser la mécanique quantique autant que la relativité. C’est alors qu’intervient l’hypothèque d’une « gravité quantique ». Cette solution suggère que les deux théories sont toutes deux des approximations, qu’il serait possible de rassembler dans une troisième voie alternative. Dans cette optique, on peut citer principalement la théorie des cordes, qui entend expliquer les lois de l’Univers de manière unifiée. Cette « théorie du tout » règlerait l’incompatibilité entre les théories concurrentes.
Les trous de ver pourraient révéler les propriétés de la gravité quantique
Les chercheurs relèvent dès l’introduction de leur papier que les expérimentations d’un concept comme la théorie des cordes sont très difficiles à réaliser, freinant toute possibilité d’unifier les théories. «Sonder directement la gravité quantique signifie passer à des échelles d’énergie infaisables par l’expérimentation. » C’est un état de la matière qui apparaît pour l’instant inaccessible à nos connaissances et technologies. Mais cette équipe, une solution est possible grâce à l’arrivée de l’informatique quantique.
Les scientifiques de Google se basent sur un principe dit de correspondance AdS/CFT. Pour résumer simplement l’idée, lorsque les effets quantiques sont au plus haut, alors cela génère de nouvelles structures physiques où s’intriquent espace-temps et gravité… comme un trou de ver. Or, les chercheurs précisent que la physique des trous de ver « met en évidence une classe de communication quantique qui serait autrement apparue mystérieuse ». En bref, le raisonnement est le suivant : si on atteint un certain état quantique, alors on peut générer une sorte de trou de ver, grâce auquel on peut étudier l’état de la matière au moment où relativité générale et mécanique quantique s’imbriquent — la fameuse gravité quantique.
Les ordinateurs (ou calculateurs) quantiques permettent justement de réaliser des superpositions et intrications sur des données, c’est-à-dire de réaliser des opérations sur la matière à l’échelle quantique. « La technologie de contrôle des systèmes quantiques complexes à plusieurs corps progresse rapidement, et il semblerait que nous soyons à l’aube d’une nouvelle ère en physique — l’étude de la gravité quantique en laboratoire ». L’unité de stockage de ces machines est le qubit, la plus petite information quantique. L’idée des chercheurs de Google est de diviser les qubits en un circuit de deux « couloirs ». Dans celui de gauche, ils coderaient un message. Puis, en ajoutant de fortes impulsions énergétiques différentes dans chaque couloir, ils reproduiraient les propriétés brouillées de particules entrant dans un trou noir.
Les chercheurs expliquent qu’en passant à cet état de la matière, les qubits devraient s’intriquer jusqu’à ce que le message codé dans le couloir de gauche se retrouve dans les qubits du couloir de droite. Pour les scientifiques, ce processus est exactement similaire à une information aspirée par un trou noir (tout ce qui y entre ne peut plus en sortir), puis traversant un « vortex » avant de ressortir par un autre un autre trou noir, ou plus précisément un trou blanc (rien ne peut y entrer, seulement en sortir). C’est la description d’un trou de ver, les trous noirs formant les points d’entrée et de sortie. Les scientifiques de Google estiment qu’il serait possible de réaliser une telle expérimentation en laboratoire. Pas de risque que la Terre soit malencontreusement aspirée dans un vortex, car il ne s’agit évidemment pas de créer un vrai trou de ver sur Terre, mais d’en reproduire les propriétés mathématiques hypothétiques.
L’étude de cet état de la matière pourrait ouvrir la voie à une « meilleure compréhension de la gravité quantique » et fournir une « mise à l’épreuve expérimentale de la théorie des cordes ». Encore faut-il trouver des ordinateurs quantiques qui ont la capacité effective pour produire l’état quantique nécessaire. Un chercheur consultant sur cette proposition précise à Gizmodo que ce type de machines sont bel et bien à l’horizon (il pense notamment à l’ordinateur que lui et son équipe sont en train de concevoir).
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