Une équipe scientifique internationale éclaire un peu plus la façon dont les Grands Pingouins ont disparu de la Terre. Et ce n’est pas à cause d’une extinction naturelle.

Nous vivons depuis plusieurs décennies un phénomène de disparition croissante des espèces. Une grande partie de la communauté scientifique estime qu’on peut raisonnablement considérer qu’une sixième extinction de masse est en route. La journaliste Élisabeth Kolbert a popularisé cette idée dans son livre d’enquête La Sixième Extinction : comment l’Homme détruit la vie. Il se pourrait bien que les Grands Pingouins soient un cas pratique de cette affirmation. Une étude publiée ce mardi 27 novembre 2019 dans eLife apporte des éléments en faveur d’une disparition de cette espèce par le seul fait de l’être humain.

Le dernier Grand Pingouin s’est éteint en 1844, tué par un chasseur. Cette espèce était autrefois abondante sur Terre. On pouvait la retrouver au nord de l’océan Atlantique, sur les côtes américaines, au Groenland, en Islande et jusqu’aux eaux européennes. Cette catégorie de pingouins mesurait 75 à 85 centimètres pour 5 kilogrammes. Ses ailes de 15 cm ne lui permettaient pas de voler, mais c’était un excellent nageur. Comme pour ses cousins, le Grand Pingouin avait le dos noir et le ventre blanc. En revanche, son bec était bien plus massif.

Lithographie d'un Grand Pinjouin mangeant un poisson. // Source : John Gould

Lithographie d'un Grand Pinjouin mangeant un poisson.

Source : John Gould

1 000 Grands Pingouins tués en une demi-heure

Une équipe internationale s’est intéressée à l’énigme de leur disparition : l’espèce était-elle déjà inéluctablement menacée par un contexte naturel ? Les chercheurs ont séquencé les génomes mitochondriaux de 41 individus, récupérés dans des musées américains et européens, en provenance de toutes les zones géographiques où le Grand Pingouin a habité durant l’holocène. Cette ère géologique a démarré il y a 10 000 ans, jusqu’à nos jours, là où l’être humain a commencé à chasser ces pingouins au début du XVIe siècle. Les chercheurs ont additionné ces résultats avec des modélisations des courants marins, pour retracer l’histoire démographique de l’espèce. L’idée était de construire des chemins possibles de l’extinction à partir de toutes les données disponibles.

Pour déterminer un phénomène d’extinction d’une espèce, il est nécessaire de repérer, principalement, une division de celle-ci en de petits groupes toujours plus isolés. Une perte de diversité génétique apparaît alors. Est-ce le cas pour le Grand Pingouin ? La réponse de l’équipe scientifique est négative : « Toutes nos données rassemblées n’apportent aucune preuve que le Grand Pingouin était en danger d’extinction avant d’être concerné par sa chasse humaine massive au début du XVIe siècle. »

Parallèlement, l’impact des humains a été dévastateur. Les chercheurs donnent une illustration : sur l’île Funk, en Atlantique nord, des preuves rapportent que deux navires de chasseurs ont tué 1 000 Grands Pingouins en l’espace de trente minutes. « Ainsi, si chacun des 400 navires de la région ne consacrait qu’une demi-heure par an à la récolte des Grands Pingouins, alors à ce rythme cela correspondrait déjà à 200.000 oiseaux par an », commentent les chercheurs.

Même des espèces abondantes peuvent être menacées par l’être humain

Quelle conclusion en tirer ? Pour les chercheurs, « la chasse humaine à elle seule pourrait avoir été suffisante pour causer l’extinction », tant la pression mise sur les Grands Pingouins par les humains était élevée. Ils estiment même que leurs estimations du nombre de pingouins chassés chaque année sont prudentes et trop optimistes pour être proches de la réalité, car elles sont basées sur les taux actuels de chasse. À l’époque, ce taux était bien plus élevé.

Au moment où la possibilité d’une sixième extinction de masse n’a jamais été aussi présente comme inquiétude environnementale sérieuse, les conclusions de cette étude sont un énième avertissement scientifique sur l’impact des humains sur la nature. « Nos résultats soulignent la vulnérabilité des espèces face à l’exploitation intense et localisée, même pour celles qui sont abondantes et répandues », relèvent les chercheurs.

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