Les cichlidés est l’une des familles de poissons les plus diversifiées sur Terre. Une étude éclaire les raisons de cette variété : des accouplements constants entre espèces différentes au sein de la même famille.

Les cichlidés vivent essentiellement dans des lacs d’eau douce, en Afrique, en Amérique latine et en Inde. Cette famille de poissons a l’habitude de se tromper de partenaire pendant les relations sexuelles. Mais on ne parle pas ici d’un mauvais choix amoureux le temps d’une nuit. Chez les cichlidés, il arrive à la femelle de s’accoupler avec une toute autre espèce. Et ce n’est pas sans conséquence. Une étude publiée le 3 décembre 2019 dans Nature Communications rapporte une variété exceptionnelle d’espèces. Cette diversité, rare à une telle échelle, est issue de ces rapports.

Au sein de la famille des cichlidés, présente sur Terre depuis 500 millions d’années, il existe 1 300 espèces connues de poissons et probablement bien plus en réalité. Certains individus de cette famille sont ceux que vous avez en aquarium. Une quarantaine de nouvelles espèces a été découverte ne serait-ce que durant l’étude, laquelle est précisément axée sur le lac Mweru (à la frontière du Congo et de la Zambie). Les chercheurs se sont penchés sur une population de 2 000 poissons appartenant à cette famille, puis ils ont séquencé l’ADN de 400 d’entre eux.

L'une des espèces issues de la famille des poissons cichlidés. // Source : Ole Seehausen

L'une des espèces issues de la famille des poissons cichlidés.

Source : Ole Seehausen

Dans leur article, les auteurs rappellent d’abord que ce n’est pas parce que les poissons ont des morphologies similaires en apparence, et qu’ils vivent dans le même environnement, qu’ils ne sont pas divisés en familles et espèces bien distinctes. Ces dernières, comme pour toutes les autres espèces sur Terre, ne s’accouplent habituellement pas entre elles. « S’attendre à ce que [les poissons] s’accouplent en dehors de leur propre espèce, c’est comme s’attendre à ce qu’un cheval s’accouple avec un chat parce qu’ils ont tous deux quatre pattes et une queue », ironisent les chercheurs.

Une hybridation originelle a forgé une longue tradition

L’exceptionnelle diversité des cichlidés provient d’un malentendu qui a tendance à se répéter. Dans cette famille de poissons, ce sont les femelles qui choisissent leur partenaire. « Dans certaines circonstances », tout particulièrement quand les conditions lumineuses sont mauvaises, que l’eau est trouble, son attention peut se porter par erreur sur un mâle d’une autre espèce. La méprise advient aussi lorsque les couleurs du mâle sont proches de celles de l’espèce de la femelle. Cet accouplement introduit une hybridation au sein de la population de cichlidés, en créant une nouvelle espèce aux gènes légèrement différents.

Selon les chercheurs, tout pourrait s’expliquer à partir d’une hybridation originelle. L’analyse ADN a révélé que toutes les espèces étudiées ont une chose en commun : elles ont une origine soit congolaise, soit zambienne. Or, si le lac Mweru faisait au début partie exclusivement du Congo, le lac zambien Bangweulu l’a rejoint, il y a un million d’années. La population zambienne de cichlidés a rejoint la population congolaise. Les deux espèces se sont hybridées, soit à cause des eaux troubles provoquées par la fusion des lacs, soit par l’évolution naturelle visant à s’adapter au nouvel environnement.

Il en résulte une multiplication des espèces. Si elles sont bien distinctes, elles restent de la même famille : en plus d’avoir des traits communs dans leur apparence, elles sont toutes génétiquement compatibles. Quand il y a une confusion — par les couleurs ou l’eau trouble rappelons-le — l’accouplement est parfaitement fertile. Cela peut déboucher sur de nouvelles progénitures hybrides et, ainsi de suite, la famille s’agrandit toujours plus.

Le processus de l’évolution permet à chaque nouvelle espèce de posséder ses propres caractéristiques (certains individus peuvent être des prédateurs, d’autres non…) et de s’adapter à un habitat un peu différent de celui des autres. Pour la biologiste Joanna Meier, qui pilote cette étude, cette recherche démontre que l’hybridation inter-espèces, dans certains écosystèmes, ne provoque pas forcément un appauvrissement génétique de la biodiversité. Au contraire, « le melting pot du lac Mweru nous a donné une occasion rare d’étudier les interactions entre de nouvelles espèces en évolution, et elle a montré que, dans un nouvel environnement offrant de nombreuses possibilités écologiques, l’hybridation peut être une bonne chose qui augmente finalement la biodiversité. »

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