L’annonce de la découverte d’un trou noir de 70 masses solaires, présenté comme impossible, a fait réagir une autre équipe de scientifiques. Quels sont leurs contre-arguments ? La question est-elle vraiment tranchée ?

A-t-on vraiment découvert un trou noir que l’on croyait « impossible » dans la Voie lactée ? Une nouvelle étude, publiée sur la plateforme arXiv.org le 8 décembre 2019, remet en question cette affirmation. La masse de ce trou noir a été estimée à 70 fois celle du Soleil, dans une première étude publiée le 27 novembre dans Nature (il faut préciser que ce texte, contrairement à l’étude la plus récente, a fait l’objet d’une relecture par des pairs).

Le trou noir identifié est situé dans un système binaire, baptisé « LB-1 ». Selon les auteurs de la nouvelle étude, « il est hautement improbable que le trou noir dans ce système ait la masse extrême initialement suggérée. Au lieu de cela, il semble être plus représentatif de la population de trous noirs binaires typiques attendue dans notre galaxie. »

Que change exactement cette nouvelle étude ? Remet-elle vraiment en question tout le travail des autres chercheurs ? « Il faut relativiser l’idée d’une controverse, explique à Numerama Pierre Henriquet, médiateur scientifique au Planétarium de Vaulx-en-Velin, docteur en physique nucléaire et titulaire d’un diplôme universitaire en astronomie et astrophysique. Il y a bien sûr une compétition entre scientifiques, mais la deuxième équipe de chercheurs n’est pas non plus en train de dire que l’étude précédente est complètement fausse. »

Une représentation d'un trou noir. // Source : Pixabay (photo recadrée et modifiée)

Une représentation d'un trou noir.

Source : Pixabay (photo recadrée et modifiée)

Qu’ont vu les scientifiques exactement ?

Pour comprendre ce qui se passe, il faut d’abord rappeler comment les scientifiques ont l’habitude de travailler pour étudier les trous noirs. « Un trou noir seul et isolé n’émet pas de lumière, poursuit Pierre Henriquet. On ne peut donc que les voir dans des systèmes binaires : une étoile et un trou noir compagnon. »

Si le trou noir avale de la matière, celle-ci est chauffée dans son disque d’accrétion, ce qui permet de détecter des rayons X. C’est l’un de ces couples qui a été observé. « On a vu une étoile en train de tourner autour de quelque chose d’invisible. La mécanique céleste est claire : on peut en déduire la masse de l’autre objet. Mais cela implique de connaître la masse de l’étoile. C’est l’une des objections du nouvel article : on n’est pas certain de cette masse », résume notre interlocuteur.

L’article publié fin novembre dans Nature s’achève par une présentation des limites que les auteurs reconnaissent eux-mêmes à leur travail. On sait que l’étoile tourne en 80 jours autour du trou noir. « La forme de son orbite est circulaire, décrit Pierre Henriquet. Or, la forme d’une orbite donne des indications sur la manière dont un système binaire s’est formé. » Il existe deux cas de figure.

  • L’orbite est circulaire : « le couple a des chances d’être ensemble depuis le début, il était formé par deux étoiles, dont une qui a explosé et est devenue un trou noir », détaille Pierre Henriquet,
  • Soit l’orbite est très elliptique : « le trou noir était plus probablement seul et il a capturé l’étoile qui est passée près de lui ».

Une orbite incompatible avec une telle masse

Pour LB-1, l’orbite est circulaire. Mais le binôme est-il vraiment soudé depuis le début ? Pierre Henriquet nous explique pourquoi cela semble compliqué : « un trou noir de 70 masses solaires signifie qu’il a fallu une très grosse étoile. Autrement dit, l’orbite pose problème car elle n’est pas très compatible avec la masse gigantesque du trou noir. Les auteurs de la première étude proposent des alternatives pour l’expliquer et présentent honnêtement leurs interrogations. »

Ce système binaire pourrait être plus classique

Quels sont les contre-arguments avancés dans la deuxième étude ? Ils sont au nombre de trois (ils sont présentés dans cet ordre, mais il n’y a pas de hiérarchie en terme d’importance).

  • « Le premier, qui est assez technique, concerne la mesure de l’hydrogène dans une certaine longueur d’onde. Cette mesure est compliquée à faire et il y aurait des marges dans l’interprétation qu’en fait la première étude », résume Pierre Henriquet.
  • La deuxième critique concerne la masse de l’étoile : « selon la simulation du deuxième groupe de chercheurs, il n’est pas improbable que l’étoile ait une masse plus faible qu’annoncé (8,5 masses solaires) », poursuit le médiateur scientifique.
  • Enfin, la troisième objection est bien plus rédhibitoire car elle porte sur la mesure de la distance de l’étoile. « Les mesures ont été faites avec les données du satellite Gaia. Dans la première étude, les chercheurs disent que la mesure de la distance de l’étoile est fausse. Or, les auteurs de la nouvelle étude démontrent que la mesure de Gaia est juste et que l’étoile se trouve donc moins loin », ajoute Pierre Henriquet.

Alors, a-t-on oui ou non découvert un trou noir de 70 masses solaires dans la Voie lactée ? La publication de cette deuxième étude montre que la question n’est pas tranchée. « Ce que dit cette nouvelle étude, c’est qu’il n’est pas improbable que l’on soit en présence d’un système binaire classique, avec un trou noir dont la masse pourrait être plus classique, conclut Pierre Henriquet. Elle dit aussi que de plus amples mesures seront nécessaires et que si la première étude a raison, il faudra que les chercheurs de la deuxième équipe changent des éléments dans leur propre modèle. »

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