Alors que des scientifiques américains essayent de reproduire l’équivalent d’un trou de ver, en Chine, un « soleil artificiel » est plutôt à l’ordre du jour. L’expression n’est pas entre guillemets pour rien : comme pour le trou de ver, il ne s’agit pas vraiment de reconstituer un véritable soleil, mais plutôt de générer sur Terre une réaction physique similaire. Pas de scénario hollywoodien à l’horizon, donc. En tout cas, l’annonce a été faite lors de la China Fusion Energy Conference en cette fin d’année 2019 : le projet nommé HL-2M Tokamak est officiellement prévu pour 2020, et il aura une vraie portée scientifique.
Tout n’est pas nouveau dans cette idée d’un « soleil artificiel ». En fait, il en existe même déjà un en Chine, depuis 2006 : le réacteur Experimental Advanced Superconducting Tokamak. Son rôle est de reproduire la même fusion nucléaire que celle qui opère au sein du Soleil, afin d’en exploiter l’énergie. En novembre 2018, les scientifiques chinois ont annoncé que le plasma de ce réacteur avait dépassé les 100 millions de degrés Celsius concernant la température des électrons. Le nouveau projet, HL-2M, est bien plus ambitieux.
185 millions de degrés de plus que le Soleil
Il faut distinguer la température des électrons et la température des ions. Le « soleil artificiel » qui existe déjà depuis 2006 en Chine a atteint 100 millions de degrés au niveau des électrons, avec une température de 50 millions de degrés pour les ions. Le HL-2M devrait quant à lui atteindre les 100 millions de degrés ioniques. Or, comme le précisent les scientifiques, ce sont bien les ions qui sont la source d’énergie ; ce nouveau record sera plus fondamental encore. Au total, ce nouveau « soleil artificiel » pourrait donc porter sa température globale à 200 millions de degrés. Ces chiffres sont d’autant plus énormes que, au cœur de notre véritable Soleil, la température est de 15 millions de degrés.
Le processus de fusion a lieu dans une chambre à vide en forme de donut. Du deutérium gazeux y est injecté. Le deutérium est un isotope naturel de l’hydrogène, et ce détail est important, car tout l’enjeu est de transformer l’hydrogène en hélium. Un courant électrique passe dans la chambre, ce qui dépouille le gaz de ses électrons. C’est ainsi que l’on obtient du plasma. Dans ce champ magnétique très puissant, le plasma est chauffé à des températures si élevées que les noyaux d’hydrogène fusionnent entre eux, ce qui débouche sur de l’hélium.
D’un courant électrique de 1 000 milliards d’ampères à 3 000 milliards
Ces réactions physiques sont similaires à celle du Soleil. Cela libère d’énormes quantités d’énergie. Mais dans le cas d’un « soleil artificiel », cette énergie peut être récupérée. En stabilisant le plasma dans le champ magnétique, on peut transférer l’énergie vers les parois de la chambre à vide, d’où l’on peut capter cette énergie et en faire de l’électricité. Augmenter la chaleur ionique, avec le nouveau « soleil artificiel », revient donc à augmenter l’énergie émise : le courant électrique passerait de 1 000 milliards d’ampères à 3 000 milliards, si l’on en croit les scientifiques travaillant sur le nouveau projet.
La fusion nucléaire, plus propre que la fission nucléaire
Saint Graal du futur énergétique, ce type de réacteurs a tout le potentiel pour fournir une immense ressource continue d’énergie propre. « Propre », car, en plus d’être une source naturelle inépuisable, peu risquée et peu couteuse, la fusion nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre ni de déchets toxiques… contrairement à la fission nucléaire qui est actuellement utilisée dans les centrales. Mais les difficultés sont nombreuses avant d’aboutir à un futur rempli de centrales basées sur la fusion nucléaire.
Le plus grand obstacle : stabiliser le plasma pour que la ressource fonctionne bel et bien en continu. Le projet chinois est l’un des plus prometteurs en la matière. En 2017, le « soleil artificiel » actuellement en fonctionnement avait battu un record en maintenant le plasma dans les bonnes conditions pendant plus de 100 secondes.
Le défi est que la chaleur n’endommage pas le dispositif
Un autre problème réside dans le dispositif lui-même. En suspendant la fusion dans un champ magnétique, la chaleur et les particules expulsées du cœur de la chambre se condensent une fine couche sur la paroi de l’appareil. Cette couche concentre une énorme dose de chaleur qui endommage le dispositif. C’est aussi pour cette raison que son fonctionnement ne peut être bien long. Le nouveau réacteur HL-2M Tokamak expérimentera des solutions améliorant la flexibilité du champ magnétique et optimisant la décomposition du plasma. Pour ce faire, les scientifiques feront des tests sur de basses performances, puis les augmenteront en résolvant les problèmes à chaque niveau franchi.
Ce projet appartient au programme International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER), basé en France, qui implique des dizaines de pays et dont le coût est estimé à environ 20 milliards d’euros. L’aboutissement d’ITER est prévu pour 2025 — mais ce n’est pas pour autant qu’il faut s’attendre à la démocratisation des réacteurs de fusion nucléaire réellement dès cette date. Le programme DEMO remplacera alors ITER, avec pour objectif d’aboutir alors, vers 2040, un réacteur à fusion nucléaire pleinement utilisable et susceptible d’intéresser l’industrie.
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