Encelade intrigue les astronomes à plus d’un titre. Ce satellite de Saturne découvert il y a plus de 200 ans a révélé un nouveau visage lors de l’arrivée de la sonde Cassini qui a pris des images en 2005, révélant des failles gigantesques au niveau de son Pôle Sud. Des marques surnommées les rayures de tigre dont l’origine très débattue a peut-être été établie dans une étude parue dans Nature Astronomy.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, que sait-on déjà de ces rayures ? Il s’agit de gigantesques gouffres surnommés Bagdad, le Caire, Damas et Alexandrie, et présents uniquement sur la partie Sud du satellite. Des failles parallèles de plus d’une centaine de kilomètres de long, larges de deux kilomètres et avec 500 mètres de profondeur. Elles sont espacées d’environ 35 kilomètres. Les observations et les différents modèles ont permis de construire une hypothèse pour expliquer leur origine.
D’où viennent ces canyons ?
Ces canyons seraient dus à un phénomène de refroidissement d’Encelade. En effet, ce satellite est, pour faire simple, une grosse boule de glace où règne une température autour des -200 degrés avec très probablement sous la surface un océan d’eau liquide. Or, cette eau gèle si la température baisse. Et quiconque a déjà laissé une bouteille d’eau remplie à ras-bord au congélateur peut se rendre compte que de l’eau gelée prend plus de place que de l’eau liquide. C’est dû à la disposition des molécules qui sont en vrac sous forme liquide mais en maillage hexagonal sous forme solide. En clair, votre bouteille déborde dans le congel, et l’eau sous la surface d’Encelade a fait de même. Résultat: elle a brisé la glace de la surface, provoquant ces énormes failles.
Voilà l’hypothèse la plus plausible pour expliquer ces rayures mais ce qu’elle ne dit pas c’est pourquoi elles sont limitées au Pôle Sud, et pourquoi elles sont parallèles. C’est là que l’étude de Nature Astronomy rentre en jeu. Dirigée par Douglas Hemingway de la Carnegie Institution for Science à Washington, elle décrit ce qui a pu se passer pour en arriver à ce résultat. « Notre hypothèse, résume le chercheur, c’est que la glace est plus fine aux pôles à cause de la force de marée, c’est donc là que la première fracture s’est formée. » En effet, l’attraction de Saturne crée des marées et fait remuer l’océan souterrain, ce qui provoque des frottements sous la couche de glace et donc de la chaleur. Dans l’étude, les auteurs ajoutent que cette première fracture a provoqué un déséquilibre à la surface. De la glace s’est accumulée au sol autour de la fracture, ce qui rajoute du poids et fragilise donc les alentours. Par la force de torsion, un tel phénomène peut mener à la formation d’autres fissures telles qu’elles existent aujourd’hui sur le satellite.
Nous voilà donc avec de belles fissures parallèles, mais pourquoi le phénomène s’est limité au Pôle Sud et ne s’est pas répandu ailleurs maintenant que le processus était lancé ? Là aussi, il faut se contenter d’hypothèses pour l’instant difficile à prouver. « Selon nous, explique Douglas Hemingway, la glace devient plus épaisse quand on s’approche de l’Equateur, donc les fractures ne peuvent pas s’y produire malgré les mouvements géologiques. » Il existe une autre possibilité: les éruptions deviennent plus rares. Ces fameux geysers froids qui jaillissent des failles et dont l’origine est encore mal connue. Ils connaissent des pics d’activité et s’ils sont très fréquents, la glace n’a pas le temps de se reconstituer et reste donc fragile. En revanche, si les périodes de repos sont plus grandes, il devient plus difficile de créer une nouvelle fracture. Ces différentes données laissent penser que les fractures se sont formées dans un intervalle de temps relativement court. Entre chacune d’entre elle il ne s’est pas passé plus d’un million d’années. En revanche, même si l’absence de cratère dans la région laisse penser qu’elles sont plutôt récentes, le débat sur leur âge exact reste ouvert.
Une étape pour mieux comprendre cet astre
Pour Alexis Bouquet, astrophysicien au laboratoire d’astrophysique de Marseille, cette étude est un beau pas en avant pour la compréhension d’Encelade: « C’est la première fois que le phénomène à l’origine des fractures est expliqué avec autant de détails. De la création de la première jusqu’à la formation des dernières. Encelade est un astre très particulier et ce processus n’a jamais été observé ailleurs. »
En effet, sur n’importe quel autre satellite de notre Système Solaire, la force de marée exercée par un corps voisin (une planète) ne serait pas assez grande pour former une fracture comme celles qui sont sur Encelade. La gravité du satellite serait trop importante pour laisser la matière s’échapper de cette manière. Or, Encelade a un rayon d’à peine 252 kilomètres. C’est minuscule comparé aux plus de 1700 kilomètres de la Lune alors qu’à côté, il y a Saturne, une planète près de 100 fois plus massive que la Terre. Ce qui explique pourquoi l’astre est à ce point mis à mal.
Cette zone devrait d’ailleurs être la première à observer lors des futures missions d’exploration. Pas pour connaître l’origine des rayures de tigre, mais pour voir ce qu’il se passe en dessous.
Nous parlions un peu plus tôt d’un océan d’eau liquide. Son existence n’est pas formellement avérée mais c’est l’astre du système solaire où il y a le plus d’éléments laissant entendre qu’il y en a bien un. Autour de Jupiter, Europe pourrait également posséder la même configuration mais le débat est beaucoup plus incertain. Surtout que sur Encelade, des « parties » de cet océan sont expulsées dans l’espace par des geysers. Dans ces geysers, il y a de l’eau, mais aussi des molécules organiques, c’est ce qu’a révélé une étude parue en octobre 2019 dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society qui s’appuyait déjà sur les données récoltées par la sonde Cassini. « Il y a ici tous les ingrédients pour créer la vie, selon Alexis Bouquet, de l’eau, de la chaleur, et des matières organiques. »
Il faudra d’autres missions pour en savoir plus
Alors y’a-t-il une vie sous la surface d’Encelade ? Impossible à dire pour le moment, et surtout pas de réponse à attendre avant de longues années. Les missions à destination du système saturnien sont évidemment rares et coûteuses. Cassini était extrêmement ambitieuse et n’a pas fini de livrer tous ses secrets mais elle s’est achevée il y a maintenant deux ans et Encelade n’était pas sa priorité. La prochaine mission à venir, Dragonfly, compte survoler la surface de Titan avec un drone mais rien n’est prévu pour le satellite glacé.
L’espoir viendra peut-être d’ELF (Enceladus Life Finder), une mission qui prévoit le passage d’une sonde orbitale dans les geysers directement. Ces observations pourraient lever le voile sur ce qui se trouve exactement dans cet océan : l’abondance de molécules organiques, la présence ou non de processus biologique… Mais la mission proposée déjà en 2015 n’a pas encore été validée. Dans la même veine, la mission ELSAH pour Enceladus Life Signatures and Habitability n’a pas été sélectionnée par la NASA qui lui a justement préféré Dragonfly, mais le programme a reçu des fonds qui pourront servir pour de futures missions. L’enjeu étant essentiellement d’améliorer les technologies pour limiter la contamination des engins spatiaux. Un aspect essentiel pour espérer détecter des traces de vie extraterrestre.
En revanche, l’ESA, l’agence spatiale européenne, prévoit bien une autre mission dont le lancement est prévu pour 2022. JUICE (Jupiter Icy-Moons Explorer) ira visiter les lunes de Jupiter et notamment Europe. Quel lien avec Encelade ? Le fait qu’il s’agisse à chaque fois de lunes de glace, mais aussi la présence soupçonnée encore une fois d’un océan souterrain. « Cette exploration pourra nous en apprendre davantage, estime Alexis Bouquet. Par comparaison, nous pourrons mieux savoir quelles sont les caractéristiques de ce type d’environnement et si certains points sont similaires. » Deux survols d’Europe sont prévus dans cette mission, ce qui est peu mais la moindre donnée sur ces mondes extrêmement mystérieux est toujours bonne à prendre.
En attendant, l’étude de Douglas Hemingway apparaît comme la meilleure hypothèse pour expliquer l’existence des rayures de tigre. «Si nous placions une sonde en orbite, nous aurions la possibilité de confirmer ou de réfuter nos travaux, considère le chercheur. Des mesures plus précises devraient aussi permettre de connaître l’âge de ses drôles de marques. »
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