Depuis leur invention en 2012, les ciseaux génétiques Crispr sont perçus comme une révolution biotechnologique et, peut-être plus encore, comme un défi éthique. En novembre 2018, le scientifique chinois He Jiankui se plaçait au cœur de la controverse. Il annonçait avoir utilisé Crispr pour modifier l’ADN d’embryons avant leur naissance. Son but : immuniser les futurs bébés contre le VIH. Cet essai clinique signait le début de l’affaire des « Bébés Crispr », laquelle vient de connaître un énième rebondissement, annoncé ce 30 décembre 2019. He Jiankui écope de trois ans de prison et d’une amende conséquence pour « pratiques illégales de la médecine »
He Jiankui et son équipe s’étaient intéressés à un gène : CCR5. C’est une mutation de ce gène qui permettrait à un faible nombre de personnes dans le monde d’être immunisé contre le Sida (0,3 %). L’essai clinique consistait à opérer une mutation volontaire du CCR5 chez des embryons, bien avant la naissance des bébés. Pour ce faire, le scientifique chinois a utilisé Crispr, que l’on surnomme « ciseaux génétiques » car ils permettent de couper l’ADN pour modifier le matériel génétique. He Jiankui avait annoncé que, parmi les 7 couples ayant accepté l’expérimentation, l’un d’eux a donné naissance à deux jumelles en bonne santé, Lulu et Nana. Un troisième bébé est né courant 2019.
L’essai clinique a immédiatement soulevé un lourd débat au sein de la communauté scientifique. Une étude publiée dans Nature concluait même que les « bébés Crispr » risquaient de mourir plus tôt, mais les chercheurs s’étaient finalement rétractés quelques mois plus tard. Ce n’est pour autant que les travaux de He Jiankui ne posent pas d’autres graves problèmes, aussi légaux qu’éthiques et purement scientifiques.
Le scientifique sera blacklisté
La création de « bébés Crispr » constitue une violation de la réglementation chinoise en matière génétique. Une enquête légale avait immédiatement été ouverte, peu après la révélation de l’expérimentation. Citée par le MIT Technology Review, la cour de justice chinoise a condamné He Jiankui pour avoir « délibérément violé les réglementations nationales concernées sur la recherche scientifique et médicale », en ayant « appliqué de manière irréfléchie une technologie d’ingénierie génétique de procréation médicalement assistée ».
Pour ces deux motifs, He Jiankui écope de 3 ans de prison et d’une amende équivalente à 379 000 euros. Le scientifique a plaidé coupable, comme ses deux collègues les plus impliqués, Zhang Renli et Qin Jinzhou, qui ont également été condamnés. À l’issue de sa peine, He Jiankui sera officiellement blacklisté : il ne pourra plus exercer la médecine, tout du moins dans le domaine de la reproduction médicalement assistée.
Cette expérimentation n’a jamais été scientifiquement sérieuse
Le scientifique chinois a toujours publiquement défendu ses motivations, en estimant apporter une protection contre le Sida, en l’absence d’un vaccin anti-VIH. Dans une interview vidéo pour American Press, He Jiankui disait vouloir faire de son expérimentation un « exemple » à suivre. « La société décidera de la suite », ajoutait-il.
Sauf que le cadre réel de son essai clinique ne collait pas vraiment avec les idéaux qu’il mettait en avant. En décembre dernier, le MIT Technology Review publiait des extraits du manuscrit originel de l’expérience, révélant de profondes failles aussi scientifiques et éthiques. En plus de n’avoir jamais été sérieusement publiée — elle n’a donc jamais été révisée par des pairs, l’étude a été modifiée à plusieurs reprises. Plus grave encore, le scientifique a adopté une méthodologie ne s’appuyant sur aucune donnée vérifiée.
He Jiankui n’avait aucune idée des effets secondaires de son test
Suite logique de ces premiers constats, le document révèle qu’aucune conclusion médicale n’est possible sur l’immunité véritable des « bébés Crispr » contre le Sida. On découvre aussi, via le manuscrit, que He Jiankui et son équipe n’ont pu étudier les effets secondaires qu’après la naissance. Or, l’utilisation des ciseaux génétiques Crispr comporte le danger de mutations connexes involontaires potentiellement néfastes. Mais il n’était pas possible de les détecter avant la naissance, ce qui mettait en danger les patients. Ce n’est là qu’une petite fraction de toutes les failles de cet essai clinique.
Cette décision de la justice chinoise à l’encontre He Jiankui et de son équipe intervient peu de temps après que l’une des deux co-créatrices de Crispr, la biochimiste Jennifer Doudna, ait pris position dans Science pour un meilleur encadrement de ces « ciseaux génétiques » de plus en plus controversés… mais aussi toujours plus utilisés. Un biologiste russe envisage lui aussi, comme He Jiankui, d’utiliser Crispr pour immuniser des enfants contre le VIH avant leur naissance.
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