À l’aube du programme Artémis de la Nasa, visant à retourner sur la Lune puis à explorer Mars, l’ambition d’une véritable odyssée spatiale pour l’humanité revient plus que jamais sur le devant de la scène. Il nous manque cela dit un ingrédient clé : une technologie de propulsion spatiale véritablement adaptée, à savoir rapide, puissante et peu couteuse. Dans le meilleur des cas, il faut tout cela à la fois.
Dans une vidéo publiée en cette fin d’année 2019, la chaîne YouTube Kurzgesagt, dédiée à des infographies scientifiques pédagogiques, s’est amusée à explorer l’une des plus étranges possibilités : un moteur (ou « propulseur ») stellaire. Il ne s’agit pas de déplacer un vaisseau spatial grâce à l’énergie solaire, mais bien de déplacer le Soleil… et ainsi tout le système solaire avec. En fait, il est question de transformer notre système solaire en vaisseau spatial.
Cette voie peut paraître complètement délirante — et elle l’est — mais des physiciens se sont penchés sur les types de mégastructures qui pourraient théoriquement permettre une telle manœuvre. Sur le papier, deux hypothétiques modèles ne contrediraient pas forcément les lois astrophysiques. L’un d’entre eux a d’ailleurs été proposé en cette fin d’année 2019.
Un grand miroir : le propulseur Shkadov
La vidéo de Kurzgesagt se concentre dans un premier temps sur le propulseur Shkadov. Là où une fusée est propulsée par du carburant, et où une propulsion atomique se baserait sur la puissance générée par la fission des atomes, ce moteur stellaire tirerait son énergie des photons émis par le Soleil. Les photons de lumière émettent leur propre force et elle peut générer du mouvement. Comme le relève la voix-off de la vidéo, si un astronaute allumait une lampe torche dans le vide spatial, cela pousserait l’astronaute dans la direction opposée.
Évidemment, ce n’est pas avec une lampe torche que l’humanité va partir à la conquête de l’espace. Elle émettrait si peu de photons que notre brave explorateur avancerait à une vitesse ridicule. Mais notre Soleil émet des doses considérablement plus élevées de photons. Reste à savoir comment les récupérer.
Le propulseur Shkadov consisterait en une gigantesque structure réfléchissante. Il faut la percevoir comme un miroir extrêmement fin, prenant la forme d’une antenne parabolique plus grande que l’étoile. La face concave est celle qui devrait faire face au Soleil. Il faudrait également que la structure soit parfaitement stable, dans une zone ni trop proche ni trop lointaine du Soleil pour ne pas y être attirée — la finesse du miroir autant que sa légèreté joueraient leur rôle ici. En réfléchissant la moitié du rayonnement photonique du Soleil, les photons rebondiraient entre la mégastructure et le Soleil en générant une force de poussée.
C’est ainsi que l’étoile serait littéralement « tractée »… ainsi que la Terre, Mars et toutes les autres planètes, leurs satellites avec. La théorie associée à ce type de propulsions est que tout le reste du système solaire suivrait : la structure déplacerait le Soleil, sans briser son lien avec les planètes et autres objets célestes du système ; tout ceci fonctionnant comme un ensemble bien soudé par les forces gravitationnelles.
Si tant est qu’une telle mégastructure puisse voir le jour dans un lointain futur, son utilité serait discutable à cause d’un manque total de flexibilité dans le trajet. Deux raisons à cela :
- La vitesse : un propulseur Shkadov avancerait de 100 millions d’années-lumière par tranche de 230 millions d’années. Pour l’effort mis en œuvre dans la construction d’une telle structure, c’est bien peu.
- La direction : il serait quand même mieux d’éviter de réfléchir les rayons du soleil vers la Terre, lorsque celle-ci passe derrière le grand miroir lors de sa rotation autour du Soleil. De fait, un propulseur Shkadov ne pourrait être construit qu’au pôle Nord ou Sud de l’étoile, ce qui limite les directions dans lesquelles la tracter.
Une sphère de Dyson : le propulseur Caplan
Il existe une seconde structure théorique censée palier les difficultés du propulseur Shkadov : le propulseur Caplan. Il a été conceptualisé par le physicien américain Matthew Caplan, qui le décrit en décembre 2019 dans un article publié dans Acta Astronautica et révisé par un comité de lecture. « Les moteurs stellaires (…) pourraient être construits par des civilisations technologiques avancées et utilisés pour éviter des événements astrophysiques dangereux [une supernova dans l’espace proche, par exemple] ou pour transporter un système solaire à proximité d’un autre pour la colonisation », introduit le chercheur au début de son papier.
Le propulseur de Caplan utiliserait une sphère de Dyson. Cette autre célèbre mégastructure hypothétique est destinée à aspirer l’énergie d’une étoile pour la ré-utiliser à d’autres fins. À partir de cette sphère énergétique comme relai d’absorption, on pourrait diviser la matière stellaire en deux jets : l’hélium et l’hydrogène. Un premier réacteur utiliserait l’hélium pour générer la poussée du moteur. Un second réacteur mobiliserait l’hydrogène au sein d’un accélérateur de particules pour maintenir le propulseur « attaché » à l’étoile sans qu’il s’y crashe tout en remorquant le Soleil vers l’avant. En résumé, l’énergie de l’étoile est aspirée, puis redistribuée en sa direction, ce qui est censé provoquer le mouvement attendu.
Ce modèle proposé par Matthew Caplan serait bien plus rapide que celui de Shkadov, puisqu’un propulseur de Caplan pourrait déplacer une étoile sur 50 années-lumière en seulement un million d’années. L’utilisation d’une sphère de Dyson pallie le problème de la direction : la Terre ne risque plus d’être pulvérisée, grand bien nous en fasse, ce qui permet de diriger le Soleil dans n’importe quelle direction.
Qu’il soit question du propulseur de Shkadov ou de Caplan, il y a un nombre incalculable d’obstacles (ne serait-ce que le coût ou la quantité de matériaux nécessaires), sans compter que nombre d’éléments pourraient mal tourner durant une telle entreprise. Transformer notre système solaire entier en vaisseau spatial est seulement plausible, soit bien loin d’être effectivement faisable avant bien, bien longtemps. Mais il est fascinant de constater combien l’inventivité des scientifiques leur permet de développer des modèles qui, au moins sur le papier, mettent à l’épreuve avec une certaine rigueur les lois de la physique.
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