Depuis plusieurs mois, de violents feux de brousse ravagent le continent australien, sur plus de 10 hectares. Ces dernières semaines, les incendies ont atteint un tel stade de dévastation, livrant des images apocalyptiques, que le monde entier a fini par y porter une réelle attention, jusqu’à se mobiliser pour récolter des dons. Les conséquences sont humaines : en plus des milliers de personnes déplacées et évacuées, on compte actuellement 24 morts. Le désastre touche aussi, à très grande échelle, la vie sauvage.
Une première estimation faisait état de 480 millions d’animaux morts depuis le début des incendies. Une nouvelle estimation, diffusée depuis le 8 janvier 2020, fait encore plus froid dans le dos. D’après la méthodologie de Chris Dickman, écologue australien s’associant à l’antenne australienne de l’organisation WWF, ce seraient 1,25 milliard d’animaux qui auraient pour l’instant péri dans les incendies australiens. Ce modèle de calcul ne prend pas seulement en compte les êtres vivants tués immédiatement, mais aussi ceux blessés qui ne vont pas s’en sortir ; ou qui mourront progressivement de faim et de déshydratation.
La précieuse « île Kandourou » a été ravagée sur un tiers de sa surface, selon un communiqué de la Nasa, alors qu’elle accueille de nombreuses zones protégées. On y trouve des otaries, des kangourous, des espèces menacées d’oiseaux comme le Cacatoès de Latham. Beaucoup ont perdu la vie dans les feux. Des espèces en voie d’extinction sur le continent sont maintenant encore plus en danger, à l’image des marsupiaux.
Un tel désastre envers la vie animale a mobilisé les foules, à la fois localement et dans le monde. Une collecte de fonds sur GoFundMe a déjà rassemblé 5,8 millions de dollars pour soutenir les actions de Port Macquarie Koala Hospital, organisme australien venant en aide aux koalas. Sur place, les sauveteurs s’aident de chiens spécialisés, qui « reniflent » les koalas pour les trouver et les aider.
Ces marsupiaux herbivores sont tout particulièrement menacés par les incendies, car ils étaient déjà en danger avant. « L’espèce était déjà dans un état vulnérable, car l’environnement a été modifié par l’Homme, en introduisant par exemple des maladies et en réduisant les habitats. Un tiers des populations a déjà disparu », nous explique Philippe Grandcolas, écologue au Muséum d’histoire naturelle, et adossé au CNRS. Les koalas sont classés comme « vulnérables » sur la fameuse Liste rouge, dont Numerama parlait fin 2019 au sujet des espèces éteintes durant la dernière décennie. Les incendies, en plus de tuer toujours plus d’individus, réduisent leurs habitats comme peau de chagrin.
Un véritable risque d’extinction
Les koalas ont au moins la chance d’être répartis sur le territoire. Le danger est encore plus grand pour les espèces habitant des zones plus restreintes. « Les espèces distribuées sur des petites surfaces, si elles sont impactées par les feux, alors leurs populations sont en grand danger de fort déclin, voire en risque d’extinction », indique Philippe Grandcolas à Numerama.
Si une espèce est endémique d’une zone, elle disparaît entièrement dans les feux avec cette zone
Si une espèce est endémique d’une zone, et que cette zone disparaît dans les flammes, alors « l’espèce disparaît avec ». Et c’est sans espoir de voir renaître naturellement cette espèce, puisqu’elle ne connaît aucun individu extérieur susceptible de relancer la reproduction dans un habitat adapté. Ce constat est valable pour la faune comme pour la flore. Et il peut même s’étendre aux insectes, qui ne sont pas actuellement comptabilisés dans le dénombrement des êtres vivants morts. « Un insecte spécialisé sur une plante, si cette plante est détruite dans les flammes, il ne va pas avoir de quoi vivre », précise l’écologue.
Le danger n’est même pas seulement temporaire. Les incendies comme ceux vécus en ce moment par les Australiens sont en majeure partie causés par le changement climatique, cause dans cette région du monde des chaleurs historiques (proches de 49 degrés) et des sécheresses. De tels épisodes vont, avec certitude selon Philippe Grandcolas, se reproduire toujours davantage à l’avenir. Les espèces épargnées ne vont pas le rester bien longtemps.
Les spécificités de l’Australie
La biodiversité australienne est en grande partie unique, car le continent a la spécificité d’être très isolé. C’est d’ailleurs pour cette raison que, comme nous l’indique Philippe Grandcolas, « l’Australie est déjà un pays des records en matière d’extinction ». On pourrait penser par exemple à l’historique Tigre de Tasmanie.
La spécificité qu’est l’isolation est une cause naturelle aux records d’extinction. Mais l’arrivée de l’être humain a aggravé ce processus. En cause : les changements environnementaux… et l’importation de nombreuses espèces, dont beaucoup d’entre elles sont dites « antagonistes ». Si ces dernières ont été à un moment bénéfiques aux habitants, elles se sont avérées nocives au long terme, pour l’humain comme pour la biodiversité.
Parmi les espèces importées, on retrouve… le dromadaire. Plus de 15 000 individus sont arrivés dans les zones désertiques australiennes à la fin du XIXe siècle, mais aujourd’hui il y en a environ 1,2 million. Cette importation artificielle mène aujourd’hui à une situation aussi absurde que tragique : le 8 janvier, on apprenait qu’à cause des incendies, 10 000 dromadaires allaient être abattus par hélicoptère. « À la suite des incendies, ils peuvent aller s’attaquer à des endroits qui n’ont pas été atteints et toucher à des réserves de vivres », éclaire Philippe Grandcolas.
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