Les incendies ravagent l’Australie depuis plusieurs mois. Un épisode historique dont le changement climatique est l’un des déterminants majeurs. Jusqu’à quel point l’écosystème s’en trouvera changé ? L’écologue Philippe Grandcolas, du Muséum national d’histoire naturelle, répond à Numerama.

Durant l’été 2019, les images de l’Amazonie ravagée par des incendies avaient secoué la communauté internationale. Peu de temps après, c’est l‘Australie qui s’est retrouvée en proie aux flammes, à une échelle similaire. Dans les deux cas, le désastre écologique s’étend sur plus de 10 millions d’hectares et dépasse de loin le simple épisode temporaire. Les écosystèmes tout entier sont touchés, pour très longtemps, et l’impact ne se limite pas à la région concernée.

Pourquoi ces incendies causent-ils une telle métamorphose écosystémique et quelle est sa gravité ? Quel est le rôle du changement climatique dans ce processus ? L’écologue Philippe Grandcolas, adossé au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle, nous a aidés à décrypter ce questionnement écologique.

Dans le cas de l’Australie, les pertes en matière de biodiversité ont été chiffrées et diffusées sur le Web, en ce début janvier 2020. Elles ne peuvent qu’être choquantes tant elles sont colossales. Plus d’un milliard d’animaux seraient déjà morts durant les incendies, mais les conséquences environnementales pourraient s’avérer plus graves encore. « Les espèces distribuées sur des petites surfaces, si elles sont touchées par les feux, alors leurs populations sont en grand danger de fort déclin, voire en risque d’extinction », nous expliquait Philippe Grandcolas quand on évoquait les risques de ces incendies envers la biodiversité australienne.

Au sein d’un écosystème, absolument tout est en interaction. La modification, la destruction d’un élément de l’écosystème local aura un impact direct, profond, sur les animaux qui en dépendent. Un animal arboricole se retrouve par exemple menacé par la disparition des arbres. Ce type de perturbations au sein de la biodiversité peut aussi toucher les insectes. « Un insecte spécialisé sur une plante, si cette plante est détruite dans les flammes, il ne va pas avoir de quoi vivre », nous précisait Philippe Grandcolas. Cette règle est également valable pour la flore : les plantes de sous-bois sont par définition menacées par la disparition d’arbres.

Résultat ultime de ces incendies en Australie, selon Philippe Grancolas : « Les compositions en espèces vont changer. Il va y avoir un appauvrissement des milieux, ce qui est toujours un moindre gage de stabilité écologique. » Les changements structurels dans l’écosystème australien ne vont pas aider sa biodiversité à se reconstituer.

La dynamique négative du changement climatique

La perte d’arbres dans les flammes a des effets très larges sur le long terme. Un arbre met du temps à repousser : les incendies signifient une disparition massive d’une bonne partie du couvert forestier dans les régions touchées. L’écosystème se retrouvera davantage composé de milieux ouverts que de milieux forestiers. « Si on enlève le couvert végétal, des problèmes d’érosion vont de plus en plus se poser quand il y aura de la pluie », relève l’écologue. L’environnement est également endommagé par les cendres et gaz toxiques émis par les feux.

L’écosystème australien est d’autant plus mis à rude épreuve qu’il est en plein cœur de ce que Philipe Grandcolas appelle une « dynamique négative ». Un déterminant bien connu est à l’œuvre dans cette dynamique : le changement climatique. Le sud-est de l’Australie en est particulièrement victime, avec des mois de sécheresse intense et des températures extrêmes ayant parfois atteint 49 degrés. En touchant de telles températures, « on flirte dangereusement avec des conditions limites ». Soumise au changement climatique, la région deviendra toujours plus chaude et aride, ce qui est déjà à l’origine des feux actuels.

Les incendies australiens ont donné lieu à une épaisse fumée qui s'est répandue dans tout le sud-est de la région et même au-delà. // Source : Flickr/CC/Steve Shattuck

Les incendies australiens ont donné lieu à une épaisse fumée qui s'est répandue dans tout le sud-est de la région et même au-delà.

Source : Flickr/CC/Steve Shattuck

« Cela va continuer et s’amplifier. Même si les pluies arrivent, que les feux s’arrêtent, rien ne dit que dans quelques mois ou années un phénomène du même type advienne, forcé par le climat, indique l’écologue à Numerama. Il n’y a aucune raison pour que cela ne recommence pas, au contraire. » Les animaux et les espèces qui ont survécu à l’épisode actuel restent menacés et pourraient disparaître lors d’un prochain épisode incendiaire.

Pas un événement isolé

Pour comprendre ce risque d’accroissement, il faut prendre en compte le « nombre de jours à risques », c’est-à-dire les jours où tous les signaux sont au vert pour qu’un feu se déclenche d’une façon ou d’une autre. D’après les chiffres que nous a fourni Philippe Grandcolas, au sud-est de l’Australie — zone actuellement la plus touchée par les incendies — ce nombre de jours « devait augmenter de 4 à 25 % d’ici 2020, on en voit maintenant le résultat ; et augmenter de 30 à 70 % d’ici 2050. Sur de telles surfaces, c’est très difficile d’intervenir. C’est quelque chose de colossal. »

« Au niveau de l’écosystème, on ne peut pas espérer qu’il y aura de la récupération. »

L’intervention pour endiguer un tel phénomène apparaît d’autant plus difficile qu’il existe le fameux « effet retard ». Si passait au-dessous des seuils de pollution, le réchauffement continuerait à suivre cette voie pendant un certain temps, car les « gaz carboniques ne disparaissent pas instantanément ». Voilà de quoi rappeler une énième fois l’urgence de la situation.

Philippe Grandcolas insiste auprès de Numerama pour que cet épisode australien ne soit pas pris comme un événement isolé, mais bien comme un syndrome d’un contexte planétaire. « Sur les cinquante dernières décennies, c’est le plus gros désastre incendiaire jamais enregistré. Mais c’est dans un contexte de changement climatique. Au niveau de l’écosystème, on ne peut pas espérer qu’il y aura de la récupération. » L’aspect contextuel permet aussi de rappeler qu’à l’échelle de la planète, les régions sont en interaction : les panaches de fumée se déplacent et c’est une « biomasse considérable » qui est actuellement brulée, du carbone s’en dégage et cela a un « impact global non négligeable ».

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