Un seul coup d’œil à un schéma du Système solaire suffit pour s’en rendre compte : il y a une franche séparation en deux pôles distincts. La Terre, mais aussi Mercure, Vénus et Mars sont de petites planètes telluriques proches du Soleil. Et Jupiter puis Saturne, Neptune et Uranus sont des géantes constituées soit de gaz soit de gaz. Avec entre les deux, la ceinture d’astéroïdes.
Ce qui est moins évident pour l’observateur amateur c’est que la séparation se fait aussi du point de vue des météorites. Du côté de la Terre et dans le Système solaire interne, elles sont non-carbonées. Et dans le système Jovien et au-delà, elles sont carbonées. Pourquoi cette différence ? La théorie générale veut que ce soit Jupiter qui ait formé une barrière à cause de l’attraction très importante qu’elle provoque. Mais selon cette étude parue le 13 janvier dernier dans Nature Astronomy, c’est insuffisant et il faut examiner les mécanismes en œuvre avant la formation de la plus grande planète de notre Système.
Revenons un peu en arrière. Dans ses jeunes années, le Soleil est encore une étoile toute neuve entourée d’un disque protoplanétaire : de petits corps éparpillés en un cercle concentrique. Ces corps se rapprochent, s’entrechoquent, sont parfois réduits en miettes lors de collisions… Mais malgré tout, d’autres arrivent à s’agréger jusqu’à former des planètes. Celles situées près du Soleil sont composées de roches et de métaux, celles qui sont plus loin se contentent de méthane ou même de glace.
Parmi tout cela, il y a une planète qui grossit plus que les autres : Jupiter. Sa croissance est telle que les autres corps alentour voient leur orbite bouleversée. Une étude parue en 2016 a même établi que sans Jupiter, la Terre aurait été bombardée par beaucoup plus d’astéroïdes, ce qui aurait peut-être empêché notre monde de devenir habitable.
Jupiter ne laissant rien passer, ce serait même elle qui serait la clé à la structure actuelle du Système solaire avec des météorites très différentes d’un côté et de l’autre.
La barrière était là avant Jupiter
Mais ce n’est pas l’avis de Ramon Brasser. Le principal auteur de l’étude en question estime que les conditions pour empêcher le passage des météorites d’une partie à l’autre du Système solaire étaient déjà présentes avant même la naissance de Jupiter. « Nous avons fait des simulations informatiques avec les données que nous avions sur la formation du Système solaire, détaille le chercheur du Tokyo Institute of Technology, et nous nous sommes rendu compte que pendant la formation de Jupiter, son attraction n’était pas assez forte pour capter toutes les météorites carbonées. Une partie d’entre elles auraient dû passer dans le système interne, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Nous pensons donc que le disque protoplanétaire avait une pression plus forte à un endroit précis.»
Comment les auteurs en sont-ils arrivés à cette conclusion ? Il y a d’abord un précédent autour d’une étoile située à 450 millions d’années-lumière de la Terre : Elias 2-27. Cette étoile jeune entourée d’un disque protoplanétaire fournit une représentation assez proche de ce à quoi devait ressembler notre Système solaire il y a environ 4 milliards d’années. Dans une étude datant de janvier 2019, des chercheurs détaillaient les données récoltées par le réseau d’antennes Alma situé au Chili. Ils ont alors déduit que le disque n’était pas uniforme, mais au contraire possédait des endroits plus denses avec une pression plus forte. Il faut imaginer un disque vinyle avec certains sillons plus larges ou plus profonds. C’était donc possible, il ne restait plus qu’à appliquer cette découverte plus près de nous. « La pression était plus forte sur l’orbite où se trouve Jupiter aujourd’hui », explique Ramon Brasser. « Il s’est alors produit deux phénomènes : le gaz et la poussière se sont agrégés pour commencer à former la planète, et la pression était telle que les météorites ne pouvaient pas passer d’un côté et de l’autre de cet anneau, ce qui a créé la dichotomie que nous connaissons aujourd’hui. »
Un anneau pour les gouverner tous
Dans leur simulation, les chercheurs ont montré que la théorie la plus plausible pour expliquer la configuration actuelle du Système solaire est celle de cette structure en anneaux. Des anneaux qui agissent comme des frontières pour les corps naviguant de part et d’autre. Ce type de configuration a déjà été observé par Alma autour de plusieurs étoiles jeunes qui n’avaient pas encore de planètes, mais uniquement un disque protoplanétaire. Comment ces anneaux se sont créés ? Mystère. Cela peut être dû à la formation d’une planète qui s’accompagne d’une zone où la pression est maximale, les grains de poussière se mettent alors à se comporter différemment et à se structurer en cercle suivant l’orbite de ce nouvel objet. Mais comme nous l’avions dit plus tôt dans le cas de Jupiter, le temps de la formation est trop lent et des météorites de l’extérieur seraient passées à l’intérieur. Il y a donc un autre mécanisme à l’œuvre, qui n’impliquerait pas la formation de planètes. Ramon Brasser a une autre explication : « L‘anneau pourrait être formé par des grains de poussière qui s’agglomèrent sans pour autant former une planète. Un mécanisme plus rapide. »
Le problème ici est que les grains de poussière finissent par se disperser et la pression devrait alors redescendre. Les chercheurs ajoutent donc une autre structure plus proche du Soleil, un disque de vent (disc wind) qui empêcherait la matière de s’éparpiller et qui créerait une zone « propre » dans le système interne. Cela expliquerait pourquoi les météorites sont si différentes d’un côté et de l’autre de ce disque, mais aussi pourquoi la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter a une masse aussi faible, et pourquoi Jupiter n’a pas migré plus près du Soleil.
Alma, la clé vers les jeunes étoiles
Il y avait donc à l’origine un anneau formé de poussière et de gaz qui a causé une pression suffisante pour empêcher le passage de certaines météorites entre les deux parties du Système solaire. Sur l’orbite de cet anneau, Jupiter s’est formée et a créé une barrière définitive entre les deux. Il est possible que d’autres anneaux similaires soient apparus là où sont aujourd’hui Uranus et Neptune. Rien de sûr à ce stade, mais des structures similaires ont été observées, toujours par Alma autour d’étoiles plus lointaines. Ces étoiles jeunes représentent aujourd’hui la meilleure piste que nous ayons pour découvrir les secrets de notre Système solaire au début de sa création.
Et les découvertes pourraient se multiplier dans les années qui viennent puisqu’Alma a fourni depuis sa mise en service en 2011 de nombreuses données qui ne demandent qu’à être exploitées. Avec ses 66 antennes interconnectées, le réseau peut scruter le spectre lumineux des étoiles et analyser le disque protoplanétaire qui gravite autour. L’étude de la formation des planètes était un de ses nombreux objectifs et les équipes de chercheurs sont nombreuses à demander du temps d’observation avec des résultats encourageants.
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