L’épidémie du nouveau coronavirus a émergé il y a maintenant plus d’un mois, fin décembre 2019. Comme l’affiche la carte en temps réel de la propagation, en ce 5 janvier 2020, le bilan est de 25 500 personnes infectées, 493 décès et 921 guérisons. Face à de tels chiffres une question obsède autant la population que les scientifiques : comment 2019-nCov se transmet-il entre humains ?
Rappelons d’abord que ce nouveau coronavirus a déclenché ce qui reste, encore aujourd’hui, une épidémie. Ce n’est pas une « pandémie ». La contamination interhumaine a lieu essentiellement dans le foyer du virus, en Chine. À l’échelle globale, et en l’absence de mutation pour l’instant, 2019-nCov reste relativement sous contrôle. La situation appelle de la vigilance, mais pas de catastrophisme.
Par ailleurs, le coronavirus fait l’objet d’une recherche très active de la part de bon nombre de laboratoire dans le monde. Et bonnes nouvelles : les scientifiques savent à la fois séquencer le génome du virus et cultiver sa souche en laboratoire, ce qui les aide à mieux le comprendre. Comme toute recherche dont le processus est en cours, certains résultats peuvent s’avérer contradictoires. En tout cas, il peut y avoir débat dans le milieu scientifique. C’est le cas sur les modalités de transmission du coronavirus : une étude qui avait pris beaucoup d’importance vient d’être réfutée par une autre étude.
« Aucun doute » sur la transmission sans symptômes ? Pas vraiment
En janvier, l’information s’était répandue et était considérée presque comme une évidence : des personnes asymptomatiques pourraient non seulement être malgré tout contaminées par le coronavirus, mais aussi contagieuses. Cela représenterait l’une des situations épidémiologiques les plus complexes à gérer pour les autorités sanitaires, car un obstacle majeur pour diagnostiquer les infections et freiner l’épidémie.
Cette idée avait été étayée par une étude parue le 30 janvier dans The New England Journal of Medicine. Elle se concentre sur les quatre premières personnes ayant été contaminées en Allemagne. Cette infection locale serait partie d’une femme revenant de Shanghai : elle a infecté trois collègues, à un moment où, selon l’étude, elle se portait pourtant bien. Pour les auteurs, ces cas confirmaient par l’observation la transmissibilité du coronavirus chez des personnes sans symptômes apparents. La conclusion de cette recherche avait même amené Anthony Fauci, directeur de l’institut américain des maladies allergiques et infectieuses, à déclarer auprès de CNN que ce mode de transmission ne faisait « aucun doute ».
Une affirmation peut-être un peu rapide : pour qu’il y ait réellement une absence totale de doute, il faut un faisceau de preuves confirmé de manière quasi unanime par un grand nombre d’études. Or, un nouveau papier de recherche, publié le lundi 3 février dans Science, vient solidement contester l’étude du 30 janvier.
Il manquait une source essentielle : la patiente concernée par l’étude…
Ce récent article dans Science montre que l’étude qu’il conteste a fait une erreur des plus fondamentales : les auteurs se sont basés sur des sources secondaires, à savoir les récits des autres patients… mais pas celui de la femme elle-même qui revenait de Shanghai.
Peu de temps après la parution de cette étude, les autorités sanitaires allemandes ont quant à elles pris contact avec cette patiente originelle. Elle leur a bel et bien précisé qu’elle présentait des symptômes dès son retour en Allemagne — des douleurs musculaires et de la fatigue. Ses collègues n’étaient probablement pas au courant de son état car elle avait pris du paracétamol. L’auteur de l’article dans Science ajoute que l’Institut Robert-Koch — établissement allemand responsable du contrôle et de la lutte contre les maladies — a prévenu l’Organisation Mondiale de la Santé et a envoyé une lettre au New England Journal of Medicine pour relever l’erreur dans l’étude.
« Nous devons faire attention avec nos mots »
Le virologue Christian Drosten, qui était impliqué dans l’étude erronée, déclare dans Science se sentir « mal à propos de la façon dont cela s’est passé », mais ne pense pas que « quiconque soit en faute ici ». Il regrette surtout que la publication de l’étude, avec une source manquante, ait été provoqué par un phénomène d’emballement : « La femme n’a pas pu être jointe au début et les gens ont estimé que cela devait être communiqué rapidement. » Michael Hoelscher, aussi partie prenante à l’étude, se désole de la pression globale qui les a poussés à publier trop tôt.
Mais ce manque d’une source essentielle, dans un contexte de crise, fait un tollé dans la communauté scientifique. « Asymptomatique, cela signifie une absence de symptômes, zéro. Cela signifie que vous vous sentez bien. Nous devons faire attention avec nos mots », relève Isaac Bogoch, spécialiste canadien des maladies infectieuses interrogé par Science.
Quelle conclusion en tirer ?
Que l’étude parue dans The New England Journal of Medicine soit erronée apparaît assez certain étant donné les éléments apportés dans Science, ainsi que les commentaires de certains des auteurs de l’étude elle-même. La conclusion est-elle entièrement fausse pour autant ? Le coronavirus fait-il l’objet d’une transmission interhumaine même chez des personnes asymptomatiques ? Du point de vue des observations strictement scientifiques, on ne sait pas vraiment. Il y a un manque de preuves.
La transmission sur une base asymptomatique joue probablement un rôle mineur
Il reste probable que la réponse soit oui, si l’on en croit les informations diffusées par les autorités sanitaires chinoises depuis le pic de l’épidémie. Mais, comme le relève Science, l’Organisation Mondiale de la Santé considère que ce type de transmission sur une base asymptomatique joue en l’occurrence un « rôle mineur ». Mettre l’accent dessus, qui plus est en l’absence de preuves conséquentes, n’est donc pas nécessaire.
La dérive qu’illustre cette étude erronée est celle d’une circulation trop effrénée de l’information sur ce sujet. C’est précisément ce que dénonce l’OMS en appelant à la prudence sur ce que l’organisation surnomme « infodémie », qui vient accompagner l’épidémie du coronavirus depuis quelques semaines. Entre surplus d’informations, circulation de fausses informations, d’idées reçues et de théories du complot, il semble nécessaire de calmer quelque peu cette panique mondiale pour rester rationnels — d’autant que des mauvaises informations peut avoir un impact négatif sur la recherche et les solutions, comme le précise elle-même la directrice de l’OMS.
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