Le cancer reste l’une des maladies les plus difficiles à comprendre et à soigner, mais la recherche scientifique apporte progressivement son lot de solutions. L’une des études les plus massives jamais réalisées vient d’apporter sa pierre à l’édifice : le Pan-Cancer Project. Cette recherche internationale s’est étendue à l’échelle d’une décennie et les résultats ont été publiés mercredi 5 février 2020 sous la forme d’une vingtaine de publications dans Nature. Plus de 1 300 chercheurs d’une trentaine de nationalités y ont participé. Le projet, faramineux, avait pour objectif de séquencer 2 658 génomes cancéreux provenant de donneurs volontaires, divisés en 38 catégories différentes de cancers. Une réussite médicale majeure.
La lutte contre le cancer se fait avant tout sur le plan génétique. Cette maladie se caractérise par une prolifération incontrôlée des cellules après la mutation d’un gène, via une hérédité ou une « agression » (le tabagisme par exemple). La prolifération excessive peut se transformer alors en tumeur. Du fait de la dimension génétique des cancers, et de leur formation restant en partie mystérieuse, les détecter à temps est loin d’être aisé. Se pose la nécessité de comprendre comment fonctionnent les altérations génétiques derrière les différents types de cancer, afin de développer des thérapies plus efficaces et ciblées pour chaque patient.
Le Pan-Cancer Project apporte des pistes dans cette quête de solutions personnalisées, grâce à une enquête explorant avec un spectre sans précédent le matériel génétique des cellules cancéreuses. La nouveauté : les autres études ne séquençaient que 2 % du génome. Cette recherche internationale visait quant à elle à séquencer l’intégralité du génome, en se penchant tout autant sur les 98 % si peu analysés.
Comme le précise l’un des auteurs, Peter Campbell, le résultat « le plus frappant » de cette étude est « la différence dans le génome du cancer d’une personne à une autre ». Aucune tumeur n’est exactement similaire à une autre. Les chercheurs du Pan-Cancer Project ont pu identifier des milliers de mutations variées au sein de chaque cancer — il y a en a que quelques-uns chez l’enfant, mais jusqu’à 100 000 pour les cancers du poumon. Ils ont tout catalogué, afin de dresser une sorte de « carte génétique » de ces mutations clés provoquant le développement de cancers.
81 signatures mutationnelles identifiées
Chaque cancer a en quelque sorte une « histoire » qui évolue au fil du temps. Les mutations derrière la maladie — de petits changements dans l’ADN à des suppressions et des insertions complètes de code — peuvent démarrer bien des années avant la prolifération cellulaire et que celle-ci porte au diagnostic d’une tumeur. Mais cette longue histoire laisse des traces. Ces dernières constituent des points de repère biologiques… que l’on peut relier.
En explorant ces traces laissées chez 2 600 patients pour en faire le catalogue le plus complet possible, le Pan-Cancer Project a pu certes confirmer que chaque génome cancéreux est différent, mais aussi que les mutations à l’œuvre au fil de cette histoire génétique ont des points communs d’un type de cancer à l’autre. En clair : les génomes sont différents chez chaque patient, mais ont été forgés, dans leur passé, par des mutations similaires. « Différents types de problèmes de copie de l’ADN et d’agents causant des mutations, comme le tabac, les UV et les médicaments chimiothérapeutiques entraînent des mutations avec des empreintes reconnaissables, que nous appelons signatures mutationnelles », détaille l’un de auteurs.
Ce sont 81 signatures de ce type qui ont pu être identifiées au total par le Pan-Cancer Project. Chez chaque génome cancéreux, ils ont trouvé 4 à 5 mutations « moteur », c’est-à-dire déterminantes dans le développement de la maladie… et qui émergent parfois dès l’enfance. Certains types de cancers ont, selon les auteurs, des signatures mutationnelles communes, comme le cancer du sein et le cancer de la prostate. « Cela signifie qu’un patient avec un cancer de la prostate pourrait bénéficier du même traitement que celui avec un cancer de la poitrine », illustre le professeur danois Joachim Weischenfeldt, l’un des co-auteurs. L’un des vingt articles de recherche précise que dans 5 % des cas, aucune mutation motrice n’a pu être identifiée, « suggérant que la découverte des mutations motrice est peut-être encore incomplète ».
Les découvertes du Pan-Cancer Project pourront avoir une application concrète à court terme pour les traitements contre le cancer. En identifiant les mutations motrices du génome cancéreux d’un patient, on pourra lui fournir un soin personnalisé, plus ciblé qu’avant. L’impact est aussi sur le diagnostic : à partir du moment où l’on sait que telle mutation est cataloguée comme faisant partie de l’histoire d’un cancer, on peut diagnostiquer des années, voire des décennies à l’avance l’imminence d’un cancer. Les voies qui s’ouvrent pour la prévention et le traitement sont donc énormes.
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