Quand la sonde Maven a été mise en orbite autour de Mars en 2014, son but était d’apporter des informations sur la planète rouge : renseigner sur son histoire, son climat passé ou encore la composition de son atmosphère. Et dernièrement, ce qui a intrigué une équipe de scientifiques américains, c’est un phénomène inconnu jusque-là sur la planète rouge, mais qui est bien connu sur Terre : la présence d’une sorte de couche de Kennelly-Heaviside.
Ils détaillent leur découverte dans une étude parue dans Nature Astronomy le 3 février dernier. Cette fameuse couche, c’est une partie de l’ionosphère située à plus de 120 kilomètres d’altitude qui présente des concentrations de gaz ionisés, du plasma. Jamais ce mécanisme n’avait été observé ailleurs que sur Terre et c’est en soi une importante trouvaille pour connaître Mars, mais pour l’auteur principal Glyn Collinson, l’intérêt est ailleurs. « En étudiant ceci, s’enthousiasme le chercheur du NASA Goddard Space Flight Center, on arrivera à mieux comprendre ce qui se passe sur Terre et qui provoque de nombreux problèmes. »
Kennelly killed the radio star
En effet, on observe souvent dans l’ionosphère terrestre des formations sporadiques, des sortes de nuages composés d’oxygène et de monoxyde d’azote ionisés qui ont une conséquence fâcheuse : ils bloquent certaines ondes radio. « Nous avons certainement tous déjà été affectés, assure Glyn Collinson, quand vous n’arrivez pas à capter votre radio préférée depuis votre voiture par exemple, mais cela bloque aussi les radars de défense, ce qui peut être très grave si un missile arrive sur nous ! » Ces nuages peuvent aussi bloquer les radiocommunications à longue distance et les systèmes GPS. De nombreuses études sont donc en cours pour savoir comment les contourner ou limiter leurs effets, mais sans succès jusque-là.
En revanche, la découverte de Glyn Collinson pourrait bien changer la donne puisque ce qui est observé sur Mars est un petit peu différent. En effet, sur Terre ces formations arrivent sans prévenir de manière totalement aléatoire. Elles durent quelques minutes ou au mieux, quelques heures, et pas forcément toujours au même endroit. Il est donc assez difficile de les étudier avec précision. En plus, elles se situent à une altitude peu commode pour les scientifiques : entre 90 et 120 kilomètres au-dessus de nos têtes. Autant dire que c’est beaucoup trop bas pour les satellites, mais trop haut pour d’éventuels « avions-renifleurs » qui viendraient étudier les modifications de l’ionosphère. « Ce qui fonctionnerait, concède Glyn Collinson, ce serait des navettes spatiales qui iraient à la bonne altitude, mais comme les nuages apparaissent et disparaissent sans prévenir, il serait très difficile d’avoir le moindre résultat. »
Or, les couches de Kennelly-Heaviside présentes au-dessus du sol martien sont bien plus accessibles. Elles se forment constamment, mais en plus à des endroits prévisibles selon une sorte de cycle de renouvellement. Ce qui change tout pour Glyn Collinson: « Nous avons déjà pu les observer avec Maven. En quelques années, nous en avons appris plus qu’en 80 ans de recherche sur Terre ! »
En quelques années, nous en avons appris plus qu’en 80 ans de recherche sur Terre !
Les mesures martiennes ont été faites avec précision puisque les chercheurs ont utilisé au total cinq instruments de Maven, ce qui peint un tableau relativement complet de la situation.
Il y a d’abord STATIC qui mesure la composition des ions, puis le magnétomètre MAG qui s’intéresse au champ magnétique. Il y a également le spectromètre de masse NGIMS qui analyse la composition de l’ionosphère, mais aussi la haute atmosphère. LPW mesure la densité d’électrons selon l’altitude et puis SWEA (Solar Wind Electron Analyzer) développé par l’institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) à Toulouse a complété les observations.
Ces mesures ont pu être affinées par le fait que l’orbite de Maven est très elliptique et fait passer la sonde à travers ces fameux nuages, elle peut donc comparer la composition de l’ionosphère à différentes altitudes et sur différentes localisations de la planète.
Des mesures précises donc, mais qui ont des limites. Il est par exemple assez compliqué de savoir quelle est la structure de ces nuages: sont-ils horizontaux comme sur Terre ou obliques ? Difficile à dire même si les données laissent penser que leur épaisseur et leur forme générale sont similaires à ce qu’on trouve sur Terre.
Les phénomènes observés par Maven durent à chaque fois quelques secondes, ils se produisent sur l’ensemble de la planète même s’ils sont plus présents sur l’hémisphère Sud, là où la croûte martienne garde encore davantage de traces du champ magnétique qui était actif dans le passé. C’est sûrement d’ailleurs des variations magnétiques que proviennent les principales différences entre les deux types de couches. Sur Terre, le champ magnétique est stable et puissant, tandis que sur Mars il est extrêmement faible puisque la dynamo de la planète rouge s’est arrêtée, et il est donc soumis à toutes les perturbations, notamment venant des vents solaires.
Sur Terre, les études sur le sujet sont anciennes, mais rares. Dès le début du XXe siècle, l’émission d’ondes radio met en évidence quelques perturbations dans l’ionosphère et la présence de « couches opaques » est soupçonnée. Les ondes courtes notamment, celles qui sont le plus utilisées pour les communications à longue distance, sont les plus affectées. Les couches sont bien là, mais pourquoi et comment ? Bonne question.
Plusieurs mécanismes ont été mis en évidence, notamment les changements de pression atmosphérique, la présence de plusieurs types de rayonnements solaires, l’influence des éruptions solaires également qui perturbent encore plus l’ionosphère. Mais sans observation directe du phénomène, difficile d’aller plus loin.
Mars est un laboratoire parfait
Dans l’étude, les auteurs précisent qu’il est abusif de qualifier ce phénomène martien de couche de Kennelly-Heaviside puisque le mécanisme en œuvre n’est pas tout à fait le même et que les manifestations sont un peu différentes. « Il s’agit tout de même globalement de différentes occurrences d’un même phénomène physique, insiste Glyn Collinson, et nous pouvons penser que ça se produit sur de nombreuses autres planètes dans et en dehors du Système solaire. »
Mais Glyn Collinson est confiant sur les prochaines recherches: « Mars est le laboratoire parfait pour en savoir plus. Là-bas nos appareils n’utilisent pas la même fréquence et ne sont pas affectés, mais en plus l’observation des couches est facile puisqu’elles sont régulières. » Le chercheur aimerait voir une mission dédiée à l’observation des phénomènes magnétiques sur Mars dans l’espoir d’avoir un meilleur tableau de ce qui s’y déroule. En attendant, les découvertes faites par Maven ont déjà ouvert une brèche dans un domaine jusque-là très peu étudié, ce qui pourrait donner lieu à des découvertes à propos de ce qui se passe vraiment dans le ciel au-dessus de nos têtes de terriens. Alors la prochaine fois que votre radio préférée se brouillera pendant un long trajet, dites-vous qu’une sonde au-dessus de Mars fait tout son possible pour réparer cela.
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