Les comètes changent de couleur lorsqu’elles s’approchent du Soleil. Un phénomène connu, mais dont les mécanismes ne sont pas encore bien expliqués. La mission Rosetta apporte des éléments supplémentaires et montre que lorsque Tchouri se fait une couleur, c’est tout un écosystème qui se met en place avec un cycle bien précis.

De quelle couleur est une comète ? La réponse est simple : ça dépend. Ça dépend de quelle partie de la comète on parle, mais aussi d’où elle est située par rapport au Soleil. Cette question est au cœur d’une étude publiée dans Nature Astronomy le 5 février dernier et consacrée à la comète Tchouri.

Une équipe de chercheurs dirigée par Gianrico Filacchione, de l’Institute for Space Astrophysics and Planetology de Rome a mis en évidence un cycle sur 67P Tchourioumov/Guérassimenko qui se produit lorsque la comète se rapproche ou s’éloigne du Soleil. Ils se sont servis d’un instrument en particulier, bien utile sur la sonde Rosetta : Virtis. Un spectromètre qui analyse donc le spectre de la comète et peut identifier chaque variation de couleur. Ils ont découvert deux choses.

Tchouri se fait une couleur

La première n’est pas tellement surprenante puisqu’elle avait déjà été observée quasiment au début de la mission Rosetta : quand Tchouri s’approche du Soleil, son noyau devient bleu. A priori, c’est plutôt contre-intuitif (sur mon robinet le côté chaud est bien le rouge), mais le mécanisme derrière ce phénomène est finalement relativement simple. Il y a une couche de poussière à la surface de la comète, des grains qui recouvrent tout le noyau. Mais lorsque sa trajectoire la rapproche du Soleil, l’activité devient plus forte, les grains se soulèvent et font apparaître la glace qui est dessous. De la glace qui a une teinte bleutée.

En revanche, la deuxième découverte est un peu plus surprenante puisque la chevelure de la comète elle aussi se fait une couleur, elle devient rouge en s’approchant. La chevelure, à ne pas confondre avec la queue de la comète, est une sorte de halo qui entoure le noyau. Elle est parfois appelée atmosphère. Une aura qui se diffuse parfois sous forme de queue lorsque la comète est active, mais ce n’est pas systématique.

Les changements de couleur de Tchouri

Les changements de couleur de Tchouri – Source ESA

Mais pourquoi la chevelure vire au rouge quand le noyau devient bleu ? Là-dessus, les auteurs de l’étude ont une théorie. Des grains de glace s’élèvent lorsque la comète devient plus chaude, et ils finissent dans cette atmosphère. Sauf qu’à la différence de ceux qui restent sur le noyau, ils sont chauffés plus facilement par le Soleil et ne restent pas longtemps de glace. Sous l’effet de la chaleur, l’ensemble de la chevelure vire donc vers le rouge.

«Les rayons du Soleil sont plus efficaces dans cet environnement », précise Dominique Bockelée-Morvan. Directrice de recherche au CNRS, elle travaille au LESIA (Laboratoire d’Études spatiales et d’instrumentation en astrophysique) et a participé à l’étude. « Nous estimons qu’un grain de glace à une durée de vie plus faible dans l’atmosphère il se sublime donc plus vite et libère du gaz qui a une signature spectrale qui vire vers le rouge. »

Ce phénomène était inconnu jusque-là et il a fallu un peu de patience pour pouvoir l’observer. Les auteurs de l’étude ont scruté les données récupérées par Rosetta, et plus précisément celles du spectromètre Virtis. Mais pour voir un changement vraiment significatif, il a fallu de longs mois d’observation afin de suivre Tchouri tout au long de son cycle. L’étude porte donc sur une période de seize mois de données, de janvier 2015 à mai 2016. Le plus gros challenge a été, non pas de recueillir ces données, mais plutôt d’en faire le tri et de ne garder que les plus significatives pour ne pas être noyé. Il faut dire que le planning des observations était à la fois très établi avant même l’arrivée de Rosetta près de Tchouri, et à la fois constamment changeant puisqu’il fallait bien s’adapter à l’environnement de la comète.

« The Colour and the Shape »

Quoi qu’il en soit, les chercheurs ont pu obtenir des résultats significatifs puisque leurs mesures s’étendent sur une longue période et sur des distances très différentes. Au plus près, Tchouri était à 2,5 Unités Astronomiques du Soleil (une UA étant équivalente à la distance Terre-Soleil, donc environ 150 millions de kilomètres). En s’éloignant, elle allait jusqu’à 3 UA.

Les instruments de Rosetta avec le spectromètre Virtis

Les instruments de Rosetta avec le spectromètre Virtis – Source ESA

« À ce stade, reconnaît Dominique Bockelée-Morvan, nous n’en sommes qu’à l’interprétation de ce que nous avons observé. Il faudra construire des modèles plus précis pour en savoir plus. » En effet, il y a d’autres effets qui pourraient agir sur la couleur de la chevelure et qui n’impliquent pas forcément la sublimation de la glace. Parmi les autres pistes envisagées, les auteurs évoquent un phénomène lié aux grains de poussière et de glace eux-mêmes. Sous l’effet des changements de températures, la structure de ces grains peut se modifier, ainsi que leur taille, ce qui peut avoir une incidence sur la couleur. Des analyses plus poussées des données pourraient aider à savoir comment la lumière se projette sur ces composants et donc apporter de nouvelles informations sur ce changement de couleur.

En tout cas, ce qui est certain c’est que, quelles que soient les coulisses de ce phénomène, la scène met bien en évidence un cycle de glace qui se forme et se sublime selon la distance entre Tchouri et le Soleil. Un cycle qui n’existera pas forcément pour toujours. Des recherches précédentes ont étudié des comètes qui n’étaient pas actives même quand elles étaient chauffées par le Soleil. Ce pourrait être dû à l’accumulation de poussière à la surface. Une croûte plus épaisse que celle de Tchouri qui ne laisse pas passer suffisamment de chaleur entre ses grains pour libérer la glace coincée dessous. C’est une fin de vie possible pour 67P même si faute de point de comparaison, il faut se contenter de suppositions.

«Un des buts de la mission Rosetta, insiste Dominique Bockelée-Morvan, est de saisir comment les comètes évoluent. Mais il est important de poursuivre les recherches ailleurs pour avoir un tableau plus complet. »

Un des buts de la mission Rosetta est de saisir comment les comètes évoluent

Heureusement, d’autres missions sont en cours, dont une particulièrement intéressante dirigée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA). La sonde Comet Interceptor doit être lancée pour 2028, c’est une mission de classe F qui est donc relativement économique. Le but est de placer la sonde en orbite et d’attendre le passage d’une comète. Un astre qui ne sera jusque là jamais passé près du Soleil et qui sera donc au plus proche de son état d’origine. L’occasion de voir la différence avec Tchouri qui perd un mètre de matière en moyenne à chaque passage. La sonde devra analyser la composition de la surface de la comète, mais aussi celle de sa chevelure.

Une mission originale, mais peu ambitieuse par rapport aux décennies qui arrivent selon Dominique Bockelée-Morvan : « La prochaine étape, c’est le retour d’échantillons, et il y a de bonnes rumeurs à ce sujet. »La NASA aux États -Unis, la JAXA au Japon et la CNSA en Chine prévoient déjà de ramener des bouts d’astéroïdes au travers de plusieurs missions. Et même si c’est plus compliqué sur les comètes, car les cibles sont moins nombreuses et moins accessibles, la possibilité est étudiée. « L’Europe aussi veut montrer ce qu’elle sait faire. L’ESA a lancé un appel à idées et plusieurs candidatures sont étudiées pour l’horizon 2035-2050. »

Les comètes: un sujet qui plaît autant aux scientifiques qu’au grand public et qui réserve donc certainement des surprises pour les années qui viennent.

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