Il n’existe pas de fossiles pour attester de l’existence de ces ancêtres, seulement des traces génétiques dans des populations contemporaines de l’Afrique de l’Ouest. Pour les archéologues et les généticiens, c’est à tout à la fois un mystère et une piste très riche à creuser sur nos origines.

L’évolution de l’humanité est encore remplie de chaînons manquants. Les archéologues cherchent à retracer cette histoire à travers des méthodes toujours plus variées, en s’appuyant dorénavant davantage sur les sciences et technologies. En plus des fouilles de terrain, une grande part du travail repose par exemple sur la génétique. À partir de cette méthode, des chercheurs ont trouvé des traces « fantômes » d’un nouvel hominidé dont nous ne connaissons rien. Ce travail de recherche a été publié le 12 février 2020 dans Science Advances.

La trouvaille est survenue lorsque les chercheurs ont séquencé et analysé le génome des populations contemporaines d’Afrique de l’Ouest. Ils y ont découvert qu’un cinquième de ce patrimoine génétique, soit 2 à 19 %, provient d’un parent disparu jusqu’ici jamais enregistré. Cela signifie que, sans mettre au jour le moindre fossile, les scientifiques ont peut-être découvert une nouvelle branche de l’espèce humaine. Comment est-ce possible et que sait-on de ce potentiel ancêtre ?

Comparaison entre Neandertal et Sapiens (sans lien avec la présente étude). // Source : Cleveland Museum of Natural History

Comparaison entre Neandertal et Sapiens (sans lien avec la présente étude).

Source : Cleveland Museum of Natural History

Les deux généticiens à l’origine de cette découverte, Arun Durvasula et Sriram Sankararaman, pensent qu’il y a eu un croisement entre cette autre espèce d’hominidés et des ancêtres des Africains contemporains. Cette supposition provient d’une décennie entière de recherches sur les origines humaines en Afrique à travers le spectre des mélanges de populations — et donc les mélanges génétiques appelés « introgressions » — qui ont eu lieu il y a des milliers d’années.

Le mélange génétique daterait d’il y a environ 43 000 ans

On sait avec certitude, depuis quelques années, qu’il y avait autrefois une pluralité d’espèces humaines sur Terre. Lorsque des individus de lignées différentes se rencontraient lors de migrations, ils s’accouplaient, ce qui a donné lieu à un métissage génétique dont il reste encore des traces en fonction des lieux de croisements. Ainsi, les populations actuelles issues de l’Eurasie portent 2 % du génome néandertalien, puisqu’Homo Sapiens a migré de l’Afrique vers l’Eurasie, où Néandertal avait déjà migré un peu avant, entraînant des rencontres. Les aborigènes australiens et les Polynésiens ont quant à eux une part de leur génome issu de l’Homme de Dénisova, qui n’était pas parti vers l’Ouest, en quittant l’Afrique, mais vers l’Est.

Les archéologues soupçonnent depuis longtemps que la diversité des espèces humaines, aux origines, en Afrique, était beaucoup plus grande que ce que l’on croit. Mais la manque de fossiles est — et reste — un obstacle pour percer à jour ces potentiels et lointains croisements. C’est donc là où les études génétiques sont précieuses.

Cette espèce est différente d’Homo Sapiens ou de Néandertal

Dans la recherche conduite par Arun Durvasula et Sriram Sankararaman, récemment publiée dans Science Advances, le morceau d’ADN trouvé ne colle pas avec Homo Sapiens, mais pas non plus avec Néandertal ni avec Dénisovien. À partir de la modélisation comparative du génome de cet ancêtre « fantôme », les deux généticiens estiment qu’il s’est séparé de notre ancêtre commun (celui dont provient aussi Homo Sapiens, Néandertal, Dénisovien), il y a environ 625 000 ans. Puis le mélange des espèces, permettant que l’on retrouve de l’ADN de ce fantôme dans des populations présentes, aurait ensuite eu lieu autour de 43 000 ans avant aujourd’hui. On a aucune idée de ses liens exacts avec Homo sapiens.

Cette mystérieuse espèce pourrait avoir été peuplée par 20 000 individus, ce qui explique potentiellement l’absence de traces sous forme de fossiles. Il reste cela dit encore possible d’en apprendre davantage sur cette lignée d’hominidés. Par exemple, en 2011, un crâne humanoïde vieux de 13 000 ans a été découvert : sa particularité est d’être hybride entre l’humain moderne et homo erectus. On ne sait toujours pas à quelle branche il appartient vraiment. Si l’on extrait l’ADN d’un tel fossile et qu’on le compare à la lignée fantôme récemment découverte, on peut potentiellement trouver des liens et des preuves physiques. L’enquête archéologique se poursuit donc.

Existe-t-il d’autres ancêtres fantômes de l’humanité ?

Ce n’est pas la première fois que l’on découvre potentiellement une lignée humaine inconnue par une voie exclusivement génétique. Début 2019, une intelligence artificielle avait mis au jour un « ancêtre humain inconnu » en étudiant de l’ADN eurasien. Ces récentes découvertes apportent de nouveaux éléments attestant d’une diversité évolutive bien plus riche que prévu en Afrique, ce qui rejoint la thèse de plus en plus admise qu’il n’existe pas un seul berceau de l’humanité, mais plusieurs. On est encore bien loin d’avoir pleinement retracé l’histoire de nos origines.

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