En décembre 2019, des chercheurs de Harvard rapportait leur découverte d’un organisme unicellulaire capable deprendre des décisions et de changer d’avis. Le monde cellulaire est peut-être donc bien davantage pluriel, dans ses formes, que nous l’envisagions. Et si c’en était de même pour la vie multicellulaire ? Et si l’oxygène n’était pas toujours le critère sine qua non du vivant, même pour les formes considérées comme complexes ? Dans un article de recherche paru en février 2020 dans la revue PNAS, une équipe de scientifiques présente ses trouvailles sur Henneguya salminicola, un animal cousin des méduses qui a une particularité : il n’a pas besoin de « respirer » pour vivre.
Jusqu’à maintenant, littéralement tous les animaux sur Terre dont on a pu séquencer l’ADN avaient un génome mitochondrial, avec la nécessité absolue de l’oxygène pour vivre. On présupposait donc que la respiration aérobie était un critère pour l’existence de tout organisme multicellulaire (ce n’est pas le cas pour les organismes unicellulaires). Mais voilà maintenant que Henneguya salminicola fait office de toute première exception à la règle, car ne disposant d’aucun gène respiratoire. Pour en arriver à ce constat, les scientifiques ont procédé à un séquençage profond de l’ADN de cette cousine des méduses ainsi qu’à son analyse par microscopie fluorescente.
Les chercheurs ont d’abord cru s’être trompés tant le résultat était surprenant. Henneguya salminicola a des sortes de fausses structures mitochondriales : elles y ressemblent, mais elles n’en sont pas. Pour s’assurer de leurs résultats, les scientifiques ont également séquencé l’ADN de Myxobolus squamalis, un parasite très proche, appartenant à la même famille. Ils y ont bel et bien trouvé de vrais gènes respiratoires. Cela confirme la spécificité de Henneguya salminicola.
La découverte a de quoi être étonnante pour les scientifiques, car a priori l’oxygène permet autant aux animaux qu’aux plantes de produire l’adenosine triphosphate (ATP). L’ATP est ce qui offre l’énergie nécessaire à l’activité des cellules (métabolisme, division cellulaire… tout ce qui organise la vie telle qu’on la connaît). Or, sans génome mithocondrial, il n’y pas d’ATP dans l’organisme : d’où vient cette caractéristique et comment Henneguya salminicola fait-il donc pour exister ?
Cet organisme se simplifie au fil de son évolution
Cet animal, qui appartient au groupe des cnidaires (coraux, anémones, méduses…), est un parasite. Il se fixe sur des saumons et vit avec son hôte pour toute la vie — sans pour autant leur faire de mal. D’un point de vue évolutif, Henneguya salminicola n’est pas apparu sans la respiration aérobie, les chercheurs précisent qu’il a plus probablement perdu son génome mitochondrial. Cela serait cohérent avec l’évolution globale de cette branche. Si Henneguya salminicola provient du même ancêtre commun que les méduses, on sait que son organisme s’est constamment simplifié génétiquement au fil du temps par rapport à celui de ses cousines. La perte des gènes liés à la respiration fait peut-être partie de ce processus.
La respiration aérobie n’est pas forcément omniprésente chez les animaux
Reste la question de savoir comment cet animal fait pour vivre. La réponse est très simple : on n’en sait rien. C’est la première fois que l’on trouve un organisme multicellulaire capable d’exister sans respirer et cela va nécessiter des investigations plus poussées. Les chercheurs supposent que l’explication est à trouver dans la forme parasitaire de Henneguya salminicola, suggérant qu’elle vit en quelques sortes au crochet de son hôte. Cette idée rejoindrait le phénomène évolutif de simplification : l’organisme n’a pas besoin d’assurer certaines fonctions déjà assurées par l’hôte, alors il s’en est débarrassé génération par génération.
« Notre découverte montre que la respiration aérobie, l’un des chemins métaboliques les plus importants, n’est pas omniprésent chez les animaux », indiquent les chercheurs. Ce nouvel élément sur les formes possibles de la vie a le potentiel pour élargir notre compréhension de l’évolution sur Terre. Cela pourrait aussi aider l’exploration spatiale à trouver des organismes extraterrestres dont nous n’aurions pas eu idée il y a quelques années.
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