Les auteurs d’une étude publiée le 3 mars 2020 dans Cardiovascular Research (Oxford) n’ont pas choisi leurs mots au hasard. Alors que les épidémies liées à Covid-19 font craindre une éventuelle pandémie, cette équipe de chercheurs affirment qu’il existerait bel et bien une pandémie déjà existante, l’une des plus importantes de l’histoire de l’humanité, (et qu’il ne faudrait pas l’oublier dans ce contexte) : la pollution.
Ces scientifiques ont développé leur propre méthodologie de modélisation atmosphérique, nommée Global Exposure Mortality Model (GEMM). En résumé, ce modèle combine tous les impacts de la pollution relevés par d’autres études, puis l’incorpore aux causes et taux de mortalité à l’échelle mondiale. Le but : déterminer quel est l’impact de la pollution de l’air sur l’espérance de vie dans chaque région et chaque pays. Les conclusions de l’équipe sont assez saisissantes. Ils apportent d’emblée un chiffre élevé : pas moins de 8,8 millions de décès prématurés seraient causés chaque année par la pollution de l’air.
Une « pandémie de la pollution de l’air »
Les chercheurs estiment que leurs résultats mettent en évidence l’existence d’une pandémie provoquée par la pollution de l’air. Cette affirmation s’appuie sur leur modèle intégrant la pollution parmi les multiples sources de décès. Ils rappellent ainsi que le tabagisme tue 7,7 millions de personnes chaque année, que le virus du Sida provoque 700 000 morts par an, et que les différentes formes de violence — comme les guerres — sont responsables de plus de 500 000 morts. Face à de tels chiffres, qui sont déjà alarmants en eux-mêmes, celui de la pollution à 8,8 millions de décès prématurés apparaît comme tout aussi grave.
« Puisque l’impact de la pollution de l’air sur la santé publique est plus large que prévu, et qu’il est un phénomène mondial, nous pensons que nos résultats montrent qu’il y a une ‘pandémie de la pollution de l’air’ », expliquent les chercheurs en conclusion de leur étude. Il semblerait donc qu’ils justifient ce choix de mot par l’ampleur mondiale du phénomène et sa dangerosité, et il s’avère que, comme on l’expliquait d’ailleurs il y a quelques semaines, la différence entre épidémie et pandémie repose notamment dans l’ampleur de nombre de cas, provoquant une maîtrise difficile et, ainsi, une virulence plus importante. En revanche, on relèvera que l’utilisation du mot pour les effets de la pollution de l’air ne remplit pas la notion de « contagiosité », mais toutes les définitions de pandémie n’incluent pas forcément ce critère comme condition sine qua non du phénomène.
L’espérance de vie est réduite de 3 ans
L’Asie est, sans surprise, la région du monde où la part de mortalité due à la pollution est la plus notable. En Inde, par exemple, les particules fines sont responsables d’une réduction de 8,5 ans de l’espérance de vie quand, en Chine, il est question de 4,1 ans. Si l’Europe occidentale et les Amériques sont moins touchées, l’espérance de vie à l’échelle mondiale est tout de même réduite de 3 ans en moyenne. Les chercheurs ont également approfondi différents aspects des impacts de la pollution de l’air. Par exemple, ce sont les personnes de plus de 60 ans qui sont les plus victimes de cet impact en matière de mortalité. Ce sont par ailleurs les maladies cardiovasculaires qui causent le plus de décès en raison de la pollution.
Les chercheurs indiquent dans leur papier avoir pris soin de distinguer les sources anthropogéniques (de cause humaine) et les sources naturelles de pollution, afin d’identifier ce sur quoi l’on peut agir ou non. La façon dont les chercheurs décrivent le résultat de ce distinguo est tranchante : « Nous montrons qu’environ deux tiers des décès prématurés sont imputables à la pollution atmosphérique d’origine humaine, principalement due à l’utilisation de combustibles fossiles ; ce chiffre atteint 80 % dans les pays à revenu élevé. Cinq millions et demi de décès par an dans le monde sont potentiellement évitables. »
Le message de leur étude est d’alerter les décideurs des politiques publiques : la pollution de l’air doit être intégrée aux autres facteurs de risque, et plus particulièrement ceux qui concernent le cœur, au même titre que le tabagisme ou le diabète. Selon les estimations de ces chercheurs, et un peu comme s’ils évoquaient un remède à une maladie, la suppression des émissions issues de la combustion fossile ferait augmenter l’espérance de vie humaine d’une année, voire deux si toutes les émissions étaient stoppées.
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