Durant l’été 2019, la situation de l’Amazonie a ému la communauté internationale : la forêt était alors ravagée de violents feux. L’agence spatiale américaine confirmait à cette occasion que l’année 2019 signait une augmentation du nombre de feux et de leur intensité. Car les incendies de l’été dernier ne sont pas un événement isolé et ils sont en majorité causés par les activités humaines. Dans un article de recherche publié le 10 mars 2020 dans Nature, trois scientifiques expliquent que les écosystèmes les plus vieux et les plus grands, dont l’Amazonie fait partie, sont les plus susceptibles de s’effondrer en seulement quelques décennies.
En août dernier, l’écologue Philippe Grandcolas précisait à Numerama que des incendies comme celui que vient de connaître l’Amazonie ne permettent pas une véritable résilience dans l’écosystème : même avec de la reforestation, 95 % des espèces de plantes et d’animaux ne reviennent pas. « Si on brûle sur de grandes surfaces alors que les alentours sont déjà en piteux état, il n’y a pas de récupération possible. D’autant qu’en Amazonie, les sols sont peu fertiles, il n’y a aucune condition favorable pour que ces milieux brûlés redonnent de la forêt », déplorait Philippe Grandcolas. La récente étude parue dans Nature confirme et élargit ce constat.
Les auteurs de l’étude se sont penchés sur des données empiriques (acquises par observation et expérimentation) issues d’une quarantaine d’écosystèmes terrestres et marins de toutes les tailles ayant connu des changements brusques dans leur régime — une perte massive de biodiversité pour les forêts, un blanchiment pour les coraux, par exemple. L’objectif : comprendre l’impact causé par l’humanité sur ces écosystèmes, et plus précisément la vitesse de l’effondrement potentiel lié à ces transformations profondes.
« Les changements dans les écosystèmes terrestres se produisent sur des échelles de temps « humaines » de plusieurs années et décennies, ce qui signifie que l’effondrement de grands écosystèmes vulnérables, tels que la forêt tropicale amazonienne et les récifs coralliens des Caraïbes, peut prendre seulement quelques décennies une fois qu’il est déclenché », expliquent-ils.
Après un point de non-retour, tout irait très vite
Cette étude vient en fait casser une idée reçue : on pourrait penser que les écosystèmes les plus grands, anciens et complexes sont également ceux qui résistent le plus solidement aux changements, et qu’ils sont ainsi davantage préservés d’un effondrement. Les trois scientifiques démontrent l’inverse : les grands écosystèmes changent à un rythme plus rapide que les petits, tout simplement, car la réaction en chaîne est à l’échelle. Tout est plus massif, alors l’effondrement est plus rapide. Dans une vidéo publiée par l’université de Bangor, l’un des auteurs compare le processus à un feu : un tout petit feu mettra plus de temps à brûler et à se dissiper, là où un grand feu, puisqu’il est plus chaud, plus virulent, brûlera tout beaucoup plus rapidement.
Les scientifiques évoquent ensuite un « point de non-retour » dans la transformation. Si celui-ci est franchi, un écosystème comme l’Amazonie s’effondrerait en seulement 50 ans. Les récifs coralliens des Caraïbes ne disparaîtraient qu’en 15 ans. L’imminence d’un point de non-retour est bel et bien là pour l’Amazonie, car l’intensification et la répétition des incendies font craindre un changement de régime profond, c’est-à-dire à un écosystème plus sec qu’il ne devrait l’être — la disparition du couvert forestier perturbe le cycle de l’eau et réduit à terme l’humidité de la région.
L’effondrement d’un écosystème, c’est aussi une mise en péril des activités humaines
L’effondrement d’un écosystème n’est pas sans conséquence sur les activités humaines. Les auteurs précisent que cela implique une mise en péril des systèmes socio-économiques qui dépendent des écosystèmes, en matière de ressources naturelles. À l’échelle planétaire, une région comme l’Amazonie a un rôle crucial dans le cycle du carbone. Elle sert de tampon à une quantité de carbone représentant 10 fois ce que l’on émet chaque année. Sa dévastation serait catastrophique. Une autre étude récente, toujours dans Nature, mettait en lumière les changements que l’Amazonie subit en expliquant qu’elle pourrait atteindre un point de bascule en se transformant en émettrice de carbone, non plus en réceptrice.
Cette nouvelle recherche, qui chiffre pour la première fois la rapidité potentielle d’un effondrement de grands écosystèmes, montre en tout cas à quel point certains enjeux environnementaux se tiennent à l’échelle du siècle actuel. « Si des mesures urgentes ne sont pas prises maintenant, nous pourrions être sur le point de perdre la forêt tropicale humide la plus vaste et la plus riche en biodiversité du monde, alors qu’elle a évolué pendant au moins 58 millions d’années et qu’elle assure la subsistance de dizaines de millions de personnes », commente auprès de l’AFP Alexandre Antonelli, qui dirige le département des sciences au Royal Botanical Gardens (Londres).
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