En famille, en couple, en colocation… Pour certains, le confinement lié à l’épidémie de coronavirus est une expérience vécue à plusieurs. Les témoignages publiés montrent que la situation n’est pas toujours évidente à gérer. Mais dans certaines professions, la promiscuité et l’enferment fait partie du quotidien : comme les astronautes, les sous-mariniers, par exemple, y sont habitués.
Dominique Salles, ancien commandant de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et président de l’AGASM, a travaillé en tant que sous-marinier pendant plus de 30 ans. Au total, il a passé 25 000 heures sous l’eau, soit 2 ans et demi. Lors des missions longues, sans aucun contact avec l’extérieur, les patrouilles pouvaient durer environ 1 500 heures.
« Les sous-marins sur lesquels je naviguais faisaient à peu près 10 000 tonnes. Ils mesuraient 130 mètres de long et 10 mètres de diamètre, explique Dominique Salles à Numerama. La zone vie de ces bateaux, c’était un village de 15 mètres sur 10, réparti sur 3 niveaux. Là-dedans il y avait des chambres pour tout le monde, et une sorte de place du village, qui était la cafétéria de l’équipage, un espace de 45 mètres carrés. » Environ 135 sous-mariniers pouvaient composer un équipage.
Dans un habitacle aussi réduit, sans possibilité de sortir, la gestion des conflits est un élément essentiel. Peut-on s’inspirer de l’expérience des sous-mariniers dans la situation actuelle ? Certes, les sous-mariniers remplissent leur mission dans un contexte particulier, militaire, différent de la manière dont les Françaises et les Français sont en ce moment confinés. « Nous sommes volontaires pour être à bord de ces bateaux, rappelle l’ancien commandant. Les familles actuellement ne sont pas volontaires pour vivre 24 heures sur 24 ensemble. »
« Changer les habitudes » pour donner la parole à chacun
Néanmoins, on peut peut-être s’inspirer des règles qui s’appliquent à la vie en communauté, dans les sous-marins à bord desquels Dominique Salles s’est trouvé. « La pratique qui est la nôtre s’appuie sur deux verbes : savoir écouter et se taire. C’est une affaire de discipline. Cela veut dire, ne pas laisser toujours le même s’exprimer, permettre aux individus plus jeunes ou plus timides de parler », explique le président de l’AGASM. Dans le contexte de confinement actuel, on peut donc tenter d’appliquer ce conseil : laisser à chacun ou chacune le loisir de s’exprimer et savoir garder le silence pour éviter d’empiéter sur l’espace personnel des autres.
Concrètement, comment faire ? Lorsque Dominique Salles voulait donner la parole aux marins les moins bavards, il cherchait à modifier l’organisation quotidienne. « L’état major mange sur une table, à 8 ou 10 personnes. En principe, le commandant est au milieu d’un des côtés de cette table rectangulaire et le commandant en second est en face de lui. Les autres se mettent à droite et à gauche. Vous imaginez facilement que les plus jeunes peuvent se retrouver au bord et que la discussion peut devenir un peu centralisée », raconte Dominique Salles. Afin de bouleverser la situation, l’ancien commandant a pu inviter les marins à faire une rotation autour de la table. « Il faut changer les habitudes, faire en sorte que la hiérarchie puisse s’effacer, au moins pendant le temps du repas. »
Les sous-mariniers ont également pour habitude d’éviter certains sujets de discussion, pour prévenir les conflits. « Nous faisons en sorte, en général, de ne pas parler politique et religion. On essaye d’éviter ces sujets qui peuvent éventuellement nous mettre dans des situations délicates », explique Dominique Salles. Sans s’interdire d’aborder ces questions chez soi, on peut retenir qu’il est peut-être préférable de ne pas jeter de l’huile sur le feu en abordant avec ses colocataires, son partenaire ou ses parents un sujet dont on sait que l’issue inévitable sera un conflit. Peut-être qu’en ce moment, les tensions inhérente à la vie en communauté peuvent attendre.
« Une porte ou un rideau » : à bord, l’intimité est sacrée
De la même façon, les sous-mariniers sont tacitement d’accord pour respecter une règle simple. « C’est de ne pas rentrer dans l’intimité familiale de l’individu, à moins qu’il ne le souhaite. Ce sont des discours qui peuvent être tenus de l’un à l’autre, mais ils ne sont pas tenus de façon ouverte et devant tout le monde », résume Dominique Salles.
Dans un espace aussi réduit, la question de l’intimité se pose en effet. Dominique Salles raconte que le sujet n’était pas traité à la légère à bord des sous-marins sur lesquels il a navigué : « L’image parlante de l’intimité, c’est celle d’une porte ou d’un rideau. Les marins qui vivent dans des couchettes ont un rideau et ceux qui dorment dans des chambres [ndlr : les officiers] ont une porte. La porte ou le rideau fermé est l’indice de l’intimité. Lorsque la porte est fermée, on ne l’ouvre pas. Le marin est chez lui. » En clair, il faudrait une chambre à soi ou au moins, un espace qui peut être privé pour un temps, où l’on est sûr de rester au calme
Pendant le confinement actuel, une manière de se reposer l’esprit pourrait ainsi être de s’inspirer de cette attention portée au respect de l’intimité de chacun, même lorsque l’on est confiné ensemble dans un espace réduit — ce qui est le cas d’une grande partie des Françaises et des Français, vivant le confinement de petits appartements ou des studios. Si le lieu manque, un objet peut faire office de signe : un casque audio par exemple, qui signifierait qu’on souhaite ne pas être dérangés.
« Il est important d’offrir ce moment d’intimité, de faire en sorte tous les jours de ne pas être les uns sur les autres », résume l’ancien commandant.
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