Une expédition dans le Pôle Sud a mis au jour des sédiments datés d’il y a 90 millions d’années. Après les avoir scannés, des scientifiques ont découvert qu’ils indiquent la présence ancienne d’une forêt humide en Antarctique.

C’est une histoire que Jules Verne aurait sans doute adoré. En 2017, une expédition à bord du navire de recherche brise-glace FS Polarstern a atteint la mer d’Amundsen, en plein océan austral. Alors qu’ils étaient à seulement 900 kilomètres du Pôle Sud, les chercheurs ont commencé à forer dans les fonds marins. Ils ont publié les résultats de leur découverte début avril 2020 dans Nature, et ils sont pour le moins surprenants : il y avait autrefois une forêt.

Son existence a été mise au jour grâce à une carotte de sédiments fossilisés qui différaient largement des autres couches de ces fonds marins. Situés à 30 mètres de profondeur, leur couleur était différente. Il s’agissait en fait du sol fossilisé d’une forêt, datée d’il y a 90 millions d’années, en plein Crétacé. Ulrich Salzmann, écologue et paléontologiste faisant partie des découvreurs, explique que « les nombreux restes de plantes indiquent que la côte de l’Antarctique occidental était, à l’époque, une forêt tempérée, dense et marécageuse, similaire aux forêts que l’on trouve aujourd’hui en Nouvelle-Zélande ». On a pourtant bien l’habitude d’assimiler les pôles à zones glacées et enneigées. Comment un tel paradoxe est-il possible ?

Le navire RV Polarstern au Pôle Sud. // Source :  J.P. Klages, Alfred-Wegener-Institut

Le navire RV Polarstern au Pôle Sud.

Source : J.P. Klages, Alfred-Wegener-Institut

Des plantes à fleurs en Antarctique

La période durant laquelle se place cette découverte n’est pas anodine et explique cette étrange présence forestière. En plein Crétacé, la planète a connu l’un de ses climats les plus chauds des dernières 140 millions d’années, en raison de hauts niveaux en dioxyde de carbone. Résultat, les glaciers ont fondu, jusqu’à d’ailleurs faire augmenter le niveau des océans. Mais les scientifiques restaient incertains sur la morphologie des pôles à cette époque : existaient-ils seulement ? La récente découverte vient procurer un éclairage, puisque c’est la première fois que l’on retrouve un échantillon de cette période si proche du Pôle Sud.

Un réseau très dense de racines

La couche prélevée à environ 30 mètres de profondeur s’est bel et bien formée sur un sol, et non pas sur l’océan. Et ce que les scientifiques ont découvert sur cette ancienne forêt est parfaitement bien conservé en plus d’être très riche. Après avoir scanné les sédiments grâce à une technique avancée de tomographie, ils ont trouvé d’innombrables traces de pollen, des spores de plantes d’une grande diversité, ainsi que tout un réseau très dense de racines. Les plantes fossilisées sont d’ailleurs les « premiers restes de plantes à fleurs jamais trouvés à de telles hautes latitudes antarctiques ».

Johann P. Klages et co-autrice Tina van de Flierdt, en train de relever un échantillon dans une carrotte de sédiments. // Source : Thomas Ronge; Alfred-Wegener-Institut

Johann P. Klages et co-autrice Tina van de Flierdt, en train de relever un échantillon dans une carrotte de sédiments.

Source : Thomas Ronge; Alfred-Wegener-Institut

Le défi était ensuite de modéliser le climat de l’époque à partir de ces sédiments, pour mieux saisir la raison d’être d’une forêt humide verdoyante en plein Pôle Sud. C’est grâce aux plantes fossilisées, dont ils ont pu déterminer les structures cellulaires individuelles, que les scientifiques ont estimé les températures de l’époque. Pour ce faire, ils ont retracé les températures correspondant aux descendantes actuelles des plantes. Ils ont par ailleurs cherché des marqueurs biologiques et géochimiques ainsi que des indicateurs du taux de précipitation dans le sol de la forêt. En combinant ces éléments, ils ont pu établir la très probable température moyenne de la région il y a 90 millions d’années : 12 degrés Celsius. C’est bien au-dessus des températures habituelles dans cette zone de la planète.

Un enseignement pour le futur

En extrapolant leurs résultats et en les associant aux relevés d’aujourd’hui, les chercheurs ont également déterminé plus précisément le taux de CO2 présent dans l’atmosphère lors du Crétacé moyen. « Avant notre étude, l’hypothèse générale était que la concentration globale de dioxyde de carbone au Crétacé était d’environ 1000 ppm. Mais dans nos expériences de modélisations, il a fallu des niveaux de concentration de 1120 à 1680 ppm pour atteindre la température moyenne de l’époque en Antarctique », éclaire l’un des auteurs de l’étude parue dans Nature.

Les chercheurs concluent que, si la trouvaille est fascinante, elle apporte également des éléments concrets, car basés sur le passé de la Terre, au sujet des effets d’une haute concentration d’un gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone. Pour eux, ce passé est à mettre en relation avec la crise climatique actuelle, car on constate bel et bien qu’une forte concentration de CO2 provoque une fonte massive des glaces. Or, au Crétacé, cette fonte avait fait monter les océans à 170 mètres de plus que de nos jours. Le passé nous livre donc un enseignement essentiel pour le futur.

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