La pandémie Covid-19 se propage rapidement. Pour la freiner, toutes les solutions barrières comptent. La distanciation sociale et se laver les mains en font partie. Qu’en est-il des masques ? Il y a encore quelques semaines, la consigne sanitaire était sans appel : non, il n’y a pas besoin de porter de masques à l’échelle de toute la population. Mais voilà qu’un changement de doctrine s’opère depuis quelques jours. Aux États-Unis, les autorités recommandent maintenant le port du masque pour tout le monde. En France, l’Académie nationale de médecine appuie, depuis le 2 avril, l’idée d’un port généralisé. L’Organisation mondiale de la santé, elle aussi, a changé sa position en assurant que les masques peuvent « limiter la diffusion » de Covid-19 — mais elle continue d’exprimer des doutes sur leur port généralisé.
En France, le résultat de ce changement de doctrine prend une dimension concrète. À Paris, deux millions de masques en tissu vont être offerts aux habitants, quand certaines villes envisagent de les rendre tout simplement obligatoires. L’État a également passé commande à hauteur de millions de masques. Le Conseil scientifique, qui oriente la politique d’Emmanuel Macron dans la gestion de cette crise sanitaire, a quant à lui rendu un avis consultatif dans lequel il indique qu’il faut conditionner le déconfinement à une disponibilité suffisante des masques, pour le personnel médical, les travailleurs exposés, mais aussi, si possible, pour l’ensemble de la population.
Comment comprendre ce revirement de situation ? Quelle est la position des études sérieuses sur le sujet ? On décrypte ces questionnements à l’appui de la littérature scientifique.
Ce que dit la science sur le port du masque
À ce stade de la crise sanitaire, vous en avez probablement déjà entendu parler : il existe différents types de masques. Ceux des catégories FFP2 et FFP3 (N95 outre-Atlantique) sont les plus sophistiqués, puisqu’ils bénéficient d’un véritable système de filtrage. De fait, ce sont ceux qui évitent le mieux l’inhalation de particules infectées, et donc l’infection. Le débat sur les masques à l’échelle de toute la population ne concerne pas vraiment cette catégorie, que l’on ne pourra pas généraliser, mais plutôt les masques classiques, dits masques chirurgicaux. Ils évitent de manière assez efficace qu’une personne infectée propage le pathogène par ses exhalations (postillons, éternuements…), puisqu’ils vont retenir les particules.
Une étude solide publiée dans Nature le 3 avril 2020 s’est penchée sur l’effectivité de ces masques comme protection contre les coronavirus humains et les virus grippaux. « Nos résultats indiquent que les masques chirurgicaux peuvent éviter la transmission des coronavirus humains et des virus de la grippe par des individus symptomatiques », écrivent les auteurs. Pour leur expérimentation, ils ont utilisé une machine qui collecte les particules expirées par les patients. Ainsi, ils montrent que dans le souffle des personnes ne portant pas de masque, on retrouve 30 à 56 % de l’ARN viral des virus, là où on ne retrouve aucun code génétique des virus dans le souffle des personnes portant un masque. Un résultat qu’on retrouve aussi dans une étude plus vaste, datant de 2009 et dédiée aux agents pathogènes en général. Cette recherche montrait que tous les masques sont utiles pour freiner le processus naturel de transmission.
Que les personnes ayant des symptômes portent un masque, cela relève donc de l’évidence. Mais alors, quid des personnes asymptomatiques ? S’il y a bien un consensus scientifique au sujet de Covid-19, c’est que la propagation rapide de la maladie provient d’un nombre significatif de personnes ne présentant pas de symptômes, et qui sont malgré tout très contagieux. Ces personnes peuvent être malades tardivement dans la période d’incubation, ou même ne jamais se rendre compte qu’elles ont eu le coronavirus. Le directeur du CDC va jusqu’à évoquer le chiffre de 25 % au sujet du nombre de personnes infectées par le coronavirus et qui ne présentent aucun symptômes. Dans ce contexte si particulier, et puisque les études scientifiques prouvent que les masques chirurgicaux évitent un minimum la diffusion des particules infectieuses, un port généralisé du masque prend donc du sens en présence d’un nombre si élevé de porteurs asymptomatiques.
Quid des personnes non infectées ?
Élargissons encore un peu notre champ de vision. Qu’en est-il des personnes saines, c’est-à-dire non infectées ? Sont-elles davantage protégées lorsqu’elles portent un masque chirurgical ? Le fait est que ces masques faciaux classiques protègent bien moins que les masques perfectionnés de type FFP2/FFP3. Une partie de l’explication : si c’est en exhalant que l’on peut contaminer autrui, il est en revanche possible d’être contaminé par d’autres biais que ceux protégés par le masque, comme les yeux. Cela étant, il est indéniable que ces masques sont mieux que rien et vont tout de même limiter l’exposition au risque, en bloquant par exemple certains postillons, raison pour laquelle les personnes travaillant dans les grandes surfaces ou les pharmacies en portent. C’est la conclusion d’une étude réalisée en 2013 qui confirme le rôle important des masques dans un contexte pandémique.
Tous les feux semblent au vert pour considérer qu’un port généralisé des masques, dans le contexte spécifique de Covid-19, est rationnel compte tenu de la littérature scientifique. Le facteur contextuel joue un rôle déterminant. Les auteurs de l’étude publiée dans Nature il y a quelques jours ont indiqué à Science Daily qu’en temps normal, en l’absence de données statistiques plus significatives dans le monde réel, ils n’auraient pas forcément recommandé le port du masque. « Mais en plein milieu d’une pandémie, nous sommes désespérés. L’idée, c’est que même si cela freine rien qu’un peu la transmission, cela vaut le coup d’essayer. »
C’est également la conclusion d’une étude parue dans The Lancet et entièrement dédiée à Covid-19 : « Peut-être qu’il serait rationnel de recommander que les personnes confinées portent un masque si elles ont besoin de quitter leur habitation, quelle qu’en soit la raison, afin d’éviter une transmission asymptomatique ou présymptomatique ».
Les problématiques sanitaires autour des masques
Un déploiement massif de masques faciaux classiques ne serait pas non plus sans implications sanitaires. Ces protections peuvent être à double tranchant, en fonction de leur utilisation. Il y a, d’abord, la façon dont elles sont portées : si le masque est mal mis, en recouvrant mal le nez par exemple, il perd toute son efficacité dans les deux sens. Les bonnes pratiques autour de ces masques impliquent aussi de les retirer sans les toucher (par l’élastique exclusivement) et sans les poser n’importe où. Ils représentent une surface comme une autre, les couches externes du masque pouvant porter le pathogène actif. Si vous vous protégez avec un masque mais que vous le retirez en le touchant, ou alors que vous le réajustez constamment, il n’aura de toute façon servi à rien.
Contrairement à l’Asie, les habitants des pays occidentaux comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, ne sont pas habitués à porter des masques. Toutes ces bonnes pratiques sont bien moins connues et cela faisait partie des raisons des autorités sanitaires pour ne pas recommander le port du masque. Une généralisation nécessitera des explications claires et régulières sur le fonctionnement et les pratiques autour des masques.
Par ailleurs, autre obstacle sanitaire et sociologique souvent évoqué comme obstacle aux masques : le faux sentiment de sécurité et, ainsi, le risque d’un abandon des autres pratiques d’hygiène et de la distanciation sociale. De nombreux travaux scientifiques, comme une étude de 2007 dans le British Medical Journal, montrent en effet qu’en cas d’épidémie et de pandémie, le plus efficace est la combinaison des mesures, et donc porter des masques, se laver les mains, se tenir éloigné des autres. Ne plus se laver les mains ou laisser de côté la distance de sécurité serait catastrophique, et perdure comme la priorité sanitaire, la condition sine qua non pour stopper la pandémie.
Rupture de stock de masques : le vrai obstacle
La situation, d’un point de vue scientifique, est donc assez claire :
- Les masques chirurgicaux classiques n’ont pas une très grande efficacité pour se protéger, mais restent clairement « mieux que rien ».
- Les masques chirurgicaux classiques sont plutôt efficaces pour protéger les autres.
- Face à cette double-caractéristique, et donc en prenant en compte le fait que les masques ont tout de même des limites, le contexte pandémique implique que la stratégie la plus rationnelle est que tout le monde porte un masque. Et les faiblesses des masques classiques font que seule leur généralisation permettra une vraie efficacité.
On le comprend alors, il y a une notion de nombre dans cette problématique. Si on veut que les masques soient efficaces, il faut que tout le monde en porte. Si on veut que tout le monde en porte, il en faut beaucoup — d’autant qu’ils doivent être changés régulièrement. C’est bien là que cela coince : les pays occidentaux n’ont pas de culture des masques et… ils en manquent. Raison pour laquelle France comme États-Unis ont appelé la population à ne plus acheter de masques dans les débuts de la pandémie. Le calcul sanitaire était le suivant :
- En l’absence de quantités adéquates de masques chirurgicaux, leur efficacité à l’échelle de toute la population est insuffisante.
- Pour le personnel médical, touché de plein fouet par ce manque de stocks, ces masques sont une priorité absolue.
- Cela débouche sur la consigne de déconseiller les masques à toute la population.
Il en a résulté ce que Mediapart désigne comme « mensonge d’État » dans sa dernière enquête, pointant une pénurie qui a été cachée et a justifié des consignes fantaisistes. Et cela ne concerne pas seulement la France. Dans le New York Times, le médecin Neil Fishman commente : « Si tout le monde porte un masque, cela peut abaisser la transmission. Mais malheureusement, je pense que nous n’avons pas assez de masques pour rendre cette politique effective aux États-Unis. » Ce manque de préparation dans les pays occidentaux conduit depuis quelques jours à l’émergence d’une « guerre des masques », produite par l’explosion de la demande mondiale.
D’ici à ce que les stocks puissent se remplir progressivement, reste la solution intermédiaire des masques en tissu, produits localement ou faits maison, bien souvent lavables et réutilisables. Les études scientifiques convergent sur la conclusion qu’ils sont bien moins efficaces à tout niveau que les masques chirurgicaux… mais là encore, en porter est bien meilleur que de ne pas avoir du tout de protection. En France, l’Ordre des Pharmaciens appelle d’ailleurs à la production et à la large diffusion de masques alternatifs, non-médicaux, en tissu.
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