« Ça sent le pet sur Uranus », « C’est confirmé : Uranus sent comme les pets », « Uranus est en fait une géante balle de pets qui flottent dans l’espace »… À la fin du mois d’avril 2018, les plaisanteries sur le nom de la planète Uranus fusent dans les titres des médias. Une étude vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature Astronomy le 23 avril. Ses auteurs y expliquent que les nuages de la haute atmosphère de l’astre sont riches en sulfure d’hydrogène.
Or, ce composé chimique est également responsable de l’odeur des gaz intestinaux. Et le nom de la planète Uranus ne fait pas seulement penser à un dieu du ciel dans la mythologie romaine. Il se prononce comme « your anus » pour les anglophones et peut faire aussi plus simplement penser au mot « anus » pour les francophones. Un tel nom suffit pour encourager la création de jeux de mots insolites (mais pas forcément très inventifs).
Une seule mission a exploré Uranus
L’exploration spatiale d’Uranus n’a été réalisée que par une seule sonde, Voyager 2, qui a survolé la planète en 1986. La septième et avant-dernière planète du système solaire (par sa distance au Soleil) est difficile d’accès. Grâce à Voyager 2, 10 nouvelles lunes et 6 nouveaux anneaux ont été identifiés et le champ magnétique de l’astre est un peu mieux compris. Depuis, aucune mission n’est retournée étudier la planète d’aussi près. Les ricanements provoqués par le nom d’Uranus auraient-ils quelque chose à voir là-dedans ? Les scientifiques auraient-ils plus de difficultés à justifier l’intérêt d’une nouvelle mission sur Uranus, par rapport à d’autres astres, à cause de son nom ?
« Il ne fait aucun doute que le nom d’Uranus — pour certains publics anglophones — crée bien un facteur ‘ricanement’ », confirme à Numerama Heidi Hammel, planétologue spécialiste de Neptune et d’Uranus, vice-présidente de l’AURA (l’Association des universités pour la recherche en astronomie). À l’aide de plusieurs télescopes (Hubble, Observatoire W. M. Keck, observatoires du Mauna Kea), la scientifique a apporté sa contribution à de nombreuses études sur la planète. En 2006, elle fait ainsi partie de l’équipe de recherche qui découvre que la planète possède un anneau bleu (ce qui est rare) ainsi qu’un anneau rouge.
« Uranus est assurément populaire auprès du public à cause de ces blagues continuelles, bien qu’il soit rare d’en entendre de nouvelles (en particulier pour quelqu’un comme moi, qui étudie cette planète depuis plus de 30 ans), poursuit Heidi Hammel. Les nouvelles découvertes bénéficient d’une plus grande couverture [médiatique] lorsqu’elles sont liées à Uranus. »
Des scientifiques francophones se passionnent aussi pour les mystères d’Uranus. En 2010, Gwenaël Boué, maître de conférence en Physique à La Sorbonne, a soutenu une thèse au sujet de l’inclinaison de l’axe d’Uranus. « Lorsque mon travail de thèse a été repris dans des news scientifiques américaines, malgré la faible médiatisation, l’un des journalistes a plaisanté sur le nom de la planète », se souvient le chercheur.
On pourrait parler des « Uranus chauds »… mais non
« C’est vrai que le nom est un problème, surtout pour la communauté anglo-saxonne », complète Léa Griton, docteure en astrophysique et chercheuse à l’IRAP (Institut de Recherche en Astrophysique et en Planétologie). La scientifique a travaillé sur la magnétosphère d’Uranus. « Par exemple, on parle de catégories d’exoplanètes comme des ‘Neptune chauds’, alors qu’il s’agit d’un critère de taille et qu’on pourrait aussi bien dire des ‘Uranus chauds’. Mais ‘Hot Your Anus’, ça risquerait de mettre mal à l’aise certains spécialistes pendant les conférences », fait remarquer l’astrophysicienne.
Comment les scientifiques réagissent-ils face à ces plaisanteries ? Selon Heidi Hammel, il y existe deux manières d’envisager la situation au sein de la communauté scientifique : « Certains d’entre nous estiment que cela compromet les chances que nous ayons jamais une mission vers cette planète financée par des fonds publics. D’autres, cependant, adoptent le point de vue selon lequel ‘toute publicité est bonne à prendre’ et nous encouragent à accueillir ces blagues continuelles. »
La planétologue a opté pour la seconde option. En mars 2020, une étude a levé un secret sur Uranus : son atmosphère s’échapperait en partie dans l’espace, sous forme de plasmoïde. Lorsque Heidi Hammel a tweeté au sujet de la découverte avec enthousiasme, elle s’est vue demander si elle aurait rédigé le même tweet s’il s’agissait de la planète Neptune. « Je ne pense pas que l’histoire aurait attiré l’attention sans la plaisanterie associée à Uranus. Toute publication est bonne à prendre », raconte la scientifique à Numerama.
« Quand je parle d’Uranus en anglais, je fais exprès de dire Uranus en français »
L’attitude des nouvelles générations de chercheurs face à ces plaisanteries pourrait peut-être permettre d’aller de l’avant, selon Léa Griton. « C’est peut-être une question de génération aussi. Pour les jeunes chercheurs comme moi, il est plus facile de ne pas toujours se prendre au sérieux, on a grandi avec une image des scientifiques qui assument l’humour de second degré, avec par exemple des séries télé mondialement connues comme ‘Big Bang Theory’. […] Quand je parle d’Uranus en anglais, je fais exprès de dire ‘Uranus’ en français, et ça passe très bien. Mais les Anglais ne savent pas dire ‘U’ comme nous », s’amuse la scientifique.
De là à affirmer que le nom de la planète est un obstacle à une future mission spatiale, Léa Griton préfère rester mesurée. D’autres paramètres entrent en considération. « Le frein majeur, c’est qu’une mission vers les géantes de glace coûterait extrêmement cher. Les projets défendus par la communauté des planètes géantes se trouvent depuis 10 ans en compétition directe avec les grands projets d’exploration de Mars. Ils parlent beaucoup plus au grand public : la justification d’envoyer potentiellement des humains sur Mars dans 30 ou 40 ans est forcément plus sexy », souligne la spécialiste. L’initiative « Ice Giants » regroupe ainsi des scientifiques qui œuvrent en faveur d’un retour d’une mission spatiale sur Uranus et Neptune.
Faudrait-il renommer Uranus ?
Les plaisanteries sur le nom d’Uranus n’ont donc visiblement pas douché l’enthousiasme de tous les scientifiques. Nombre d’entre eux espèrent qu’une nouvelle sonde vole un jour jusqu’aux planètes géantes de glace. « Ce n’est pas un nom de dieu romain qui devrait nous arrêter d’explorer ! Cette planète est fantastique et mérite d’être explorée », affirme Léa Griton.
La planète a été découverte en 1781 par l’astronome britannique William Herschel. Mais le nom d’Uranus, qui n’est pas une proposition de Herschel, n’est véritablement entré dans les usages qu’à partir des années 1850. Pour Léa Griton, il pourrait être inventif de redonner à l’astre le nom de « planète Herschel ». « Cela permettrait de faire connaître les travaux de William et Caroline Herschel, le frère et la sœur les plus cool de l’histoire de l’astronomie. […] Ensemble, ils ont construit des instruments de pointe, révolutionné les catalogues d’observations de l’époque et découvert une planète. »
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez-nous sur WhatsApp !