En 1864, le professeur Otto Lidenbrock, le héros du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, se rend dans les profondeurs du manteau terrestre pour y découvrir tout un écosystème préservé depuis des millions d’années. 150 ans après, nos connaissances sur le sujet ont beaucoup évolué et une grande partie du roman paraît très fantaisiste, mais le sous-sol terrestre réserve encore quelques surprises. La dernière en date : une étude japonaise parue dans Nature Microbiology qui révèle une prolifération de microbes dans des roches basaltiques vieilles de plus de 30 millions d’années.
Au-delà de la découverte elle-même, ce milieu réputé comme étant très hostile présente d’importantes similarités avec le sous-sol d’une autre planète : Mars.
L’équipe du professeur Yohey Suzuki s’est intéressée à des échantillons de laves basaltiques recueillies en 2010 dans le Gyre subtropical du Pacifique Sud. Une zone entre l’Amérique du Sud et l’Australie qui a un énorme avantage : elle est très peu active et les sédiments s’y accumulent très lentement. À peine un mètre maximum en un million d’années. Il est donc possible de remonter le temps assez loin en creusant moins profond que dans d’autres cibles.
Les échantillons ont été recueillis jusqu’à 121 mètres en dessous du niveau de la mer et ils étaient vieux : entre 33 et 104 millions d’années. Dans leur étude, les auteurs décrivent un grand pas en avant : «Ces résultats étendent considérablement notre compréhension de l’habitabilité dans la croûte océanique. » Les analyses avaient révélé que les échantillons contenaient des smectites (un type de minéral argileux) riches en fer et c’est dans cette partie que les observations microscopiques ont établi la présence de cellules microbiennes. Deux des trois échantillons prélevés présentaient une telle faute et des analyses plus poussées encore ont pu confirmer que ces microbes n’étaient pas arrivés là lors du forage ou par une contamination extérieure.
Ils étaient bien présents, englobés dans les smectites.
Des microbes bien cachés donc, mais aussi très nombreux. Environ 10 milliards par centimètre cube, c’est-à-dire un million de fois plus que la densité habituellement observée dans les roches plus jeunes. C’est à se demander comment une telle population a pu rester cachée dix ans, entre le prélèvement des échantillons et cette découverte. « Nous avons mis au point une nouvelle méthode de détection, explique Yohey Suzuki à Numerama. Lors de la première observation, les roches avaient été réduites en poudre, mais rien n’avait été trouvé. Ici nous avons utilisé un colorant ADN pour repérer les organismes, c’est ce qui a pris tant de temps. »
Un modèle pour trouver la vie sur Mars
Pour comprendre l’ampleur de cette découverte, il faut imaginer la Terre comme un immense mille-feuille, chaque million d’années apportant quelques couches supplémentaires de sédiment. À la fin, la surface est ce qu’il y a de plus récent tandis que les profondeurs recèlent les vestiges d’un lointain passé. C’est ainsi que des études précédentes avaient mis au jour des traces de vie datant de plus de 8 millions d’années. Un record complètement dépassé avec ces nouveaux travaux, et qui ouvre la porte à de grandes découvertes à venir puisque 90 % de la croûte océanique terrestre a plus de 10 millions d’années.
Mais quel rapport avec Mars ? Eh bien notre voisine aussi possède une belle collection de lave basaltique. Le basalte est même le type de roche volcanique le plus répandu là-bas. Des smectites ? On en trouve aussi dans certains endroits du sous-sol martien. Dans l’étude de Yohey Suzuki, les microbes ont proliféré dans des fissures où l’eau avait pu pénétrer. Et sur Mars aussi de l’eau liquide existe sous la surface comme l’ont montré plusieurs études ces dernières années. «Ces proliférations nourries par le méthane et la matière organique dans le basalte sous-marin sur Terre fournissent un bon modèle pour trouver une vie existante ou les biosignatures d’une vie passée dans le sous-sol de Mars et d’autres planètes », promettent les auteurs.
Autant dire que ces résultats passionnent ceux qui travaillent sur l’habitabilité de la planète Mars. C’est le cas de Jesse Tarnas de l’Université Brown aux États-Unis qui appelle tout de même à rester prudent. « Il y a beaucoup de similarités, mais les processus chimiques qui ont été en œuvre sont très différents. On ne peut pas parler de comparaison directe même si ça reste très encourageant », nous dit-elle.
« C’est important que nous comprenions ce qui maintient la vie souterraine sur Terre (…) pour ensuite faire la même chose sur Mars. »
Ces processus chimiques sont au cœur des recherches actuelles pour savoir où les futurs engins qui se poseront à la surface de Mars devront atterrir. « Il y a deux étapes pour trouver un environnement souterrain habitable sur Mars, explique Jesse Tarnas. D’abord, localiser de l’eau liquide. Ensuite, trouver l’énergie chimique nécessaire au développement d’organisme. » Si les microbes découverts par Yohey Suzuki se sont multipliés dans ces smectites, c’est parce qu’ils ont pu consommer les éléments qui étaient sur place et il est donc crucial de savoir lesquels étaient décisifs pour en déduire où les chances de trouver la même chose sur Mars seront plus grandes. Jesse Tarnas poursuit: « C’est important que nous comprenions ce qui maintient la vie souterraine sur Terre, y compris les processus décrits dans cette étude, pour ensuite faire la même chose sur Mars. »
Subterranean aliens ?
Ce qui est écrit ici, c’est le cœur même du concept de la mission Valkyrie. Son but : savoir où exactement sur Mars, le sous-sol est similaire à celui de la Terre et donc où la vie pourrait apparaître. Pour un de ses développeurs, Vlada Stamenkovic du Jet propulsion Laboratory, cette étude est également un signe positif : «C’est une preuve de plus que 90 % de la vie microbienne terrestre se trouve sous Terre, et c’est peut-être la même chose sur Mars. Tout cela nous aide à concevoir des modèles pour savoir quelles sont les régions les plus prometteuses. »
Le sous-sol martien représente aujourd’hui le meilleur espoir pour trouver des traces d’une vie extraterrestre. Il est encore assez mal connu même si les missions en cours, à commencer par InSight qui analyse la composition de son manteau, sont prometteuses et devraient apporter des renseignements précieux ces prochaines années. Les quelques éléments déjà glanés laissent espérer aux chercheurs une découverte majeure dans les années qui viennent : diversité géologique, présence d’eau sous la surface, sans parler des émanations de méthane qui elles aussi, même si rien n’est sûr, pourraient être issues d’êtres vivants. Ce sont ces critères qui ont dirigé la mission Mars 2020. D’ici le début de l’année prochaine, un rover devra se poser sur le cratère Jezero, là où tous ces éléments ont été détectés.
Mais ce genre d’étude de microbiologie sur Terre pourrait également aider à parfaire une mission en disant exactement ce qu’il faudrait chercher.
D’ailleurs, les ponts sont nombreux entre les biologistes qui officient sur des questions purement terriennes, et les astronomes qui visent les autres planètes. Yohey Suzuki, l’auteur de l’étude, est membre d’un groupe de travail mené par le COSPAR (Committee on Space Research), un groupe qui rassemble des chercheurs de divers horizons pour travailler ensemble à une mission de retour d’échantillon de Mars prévue pour 2026. De même, au Nasa Jet Propulsion Laboratory, le département de l’agence spatiale américaine qui gère la conception et le lancement de la mission Mars 2020, certains chercheurs sont des spécialistes de l’habitabilité et pour savoir ce que c’est qu’être habitable, il leur faut regarder le seul exemple connu d’une planète qui a pu permettre l’apparition de la vie : la Terre.
Et si des siècles de recherche nous ont permis d’imaginer d’abord des mondes souterrains peuplés de dinosaures disparus de la surface comme l’a fait Jules Verne, puis de simples organismes unicellulaires là où l’on croyait toute vie impossible, déterminer les conditions exactes qui créent cette vie est encore délicat. L’idéal pour les chercheurs serait d’avoir un autre point de comparaison, un autre lieu où la vie est apparue.
Mars aura peut-être un jour ce rôle.
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