Elle a été survolée il y a près de soixante ans puis a vu une multitude d’orbiteurs, de sondes, une dizaine d’atterrisseurs se sont posés sur sa surface… et pourtant, encore aujourd’hui, la planète Vénus reste bien mal connue. Un manque explicable par plusieurs facteurs, notamment son climat, 462 degrés en moyenne, qui malmène les instruments posés au sol, mais aussi, et surtout son atmosphère. Une atmosphère épaisse, difficile à percer qui a causé bien des soucis aux différentes générations d’astronomes qui ont voulu y jeter un œil.
Et si aujourd’hui il existe des techniques pour voir à travers cette atmosphère et imaginer ce à quoi ressemble la surface, cette couche reste toujours un souci. Cela ne va pas forcément aller en s’arrangeant si on en croit cette dernière étude parue dans Nature Astronomy ce lundi.
Une équipe de chercheurs américains a établi que l’atmosphère haute de Vénus, à plus de 50 kilomètres d’altitude, contenait de fortes quantités de diazote, 40 % de plus que ce qui avait été mesuré par les différentes missions en dessous de 50 kilomètres. Cela reste de petites quantités puisque l’atmosphère vénusienne est composée à 96 % de CO2, mais au lieu des 3,5 % d’azote attendu, les chercheurs en ont trouvé entre 4,5 et 5%. Ce qui révèle une atmosphère loin d’être uniforme. Or, une bonne partie de nos connaissances sur cette planète reposaient sur cette supposée uniformité.
Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?
Ce qui a permis ces mesures, c’est un instrument destiné à Mercure, MESSENGER (Mercury Surface, Space Environment, Geochemistry and Ranging) : une sonde lancée par la NASA en 2004 afin d’étudier la planète la plus proche du Soleil sous toutes ses coutures. Lors de son trajet, l’engin s’est servi de Vénus pour se propulser vers Mercure grâce à l’assistance gravitationnelle. En 2006, elle se retrouve alors à orbiter autour de l’étoile du berger et la survole à un peu plus de 300 kilomètres d’altitude. L’occasion pour les chercheurs de tester les instruments avant de partir pour Mercure.
Dans cette étude, l’instrument clé a été le détecteur de neutrons comme l’explique Patrick Peplowski, un des auteurs, à Numerama : « De l’azote avait déjà été mesuré par les différentes sondes, mais jamais au-delà de 60 kilomètres d’altitude. Nous sommes les premiers en revanche à avoir mesuré l’émission de neutrons et c’est là que nous en avons conclu que la composition de l’atmosphère évoluait avec l’altitude. »
Les neutrons sont des particules subatomiques qui ont la particularité de ne pas avoir de charge électrique positive ou négative. Ils sont produits par réaction nucléaire et Vénus, très proche du Soleil en fabrique naturellement avec le rayonnement cosmique qui frappe son atmosphère. Une autre particularité du neutron est qu’il peut être absorbé par les noyaux d’autres atomes. Et l’azote est justement un élément chimique efficace pour ce mécanisme. En d’autres termes, plus l’émission de neutrons est faible, plus il a été absorbé par l’azote, et plus il y a d’azote.
Cette découverte va à l’encontre des précédentes données puisque le consensus veut qu’au-delà d’une certaine altitude, l’atmosphère soit mixé et présente une certaine uniformité. Il n’y a normalement pas de couche différente au-delà de 50 kilomètres. Une seule sonde, lancée en 1978 lors du programme de la NASA Pioneer Venus Multiprobe, avait révélé une concentration d’azote à 4,5 % à 55 kilomètres d’altitude. Mais comme c’était la seule mesure, il n’y avait pas de confirmation et il aurait très bien pu s’agir d’une anomalie ou d’une concentration d’azote à un endroit précis. Ici, les mesures prennent en compte la globalité de l’atmosphère.
« Nous ne comprenons pas pourquoi il y a une telle différence, reconnaît Patrick Peplowski. Nous espérons que cette étude pourra motiver davantage de mesures pour expliquer ce qui se produit. Si on prend l’exemple de la Terre, ce type de variation se fait à des altitudes beaucoup plus importantes quand l’atmosphère est moins mélangée. »
Le guide vers les exoplanètes remis en cause
Là où cette découverte complique un peu les choses, c’est à propos des connaissances générales que nous avons de Vénus. En effet, comme les instruments posés à sa surface n’ont pu résister que quelques dizaines de minutes à la forte chaleur, et comme l’atmosphère empêche toute observation directe, le principal indice pour déterminer à quoi ressemble vraiment la planète, c’est la composition de son atmosphère.
Pour Patrick Peplowski, si l’atmosphère est plus complexe que prévu, cela nécessite de remettre en cause quelques idées reçues: « Cela met en lumière les dangers d’utiliser la composition de l’atmosphère en haute altitude pour en déduire les conditions à la surface, puisque cette région n’est pas forcément représentative du reste. »
En effet, les seules images de la surface de Vénus nous viennent des engins qui s’y sont posés directement, le reste, ce sont des images radars qui envoient des ondes à travers l’atmosphère pour atteindre la surface. Mais selon les particules qu’elles rencontrent sur leur chemin, ces ondes sont réfléchies différemment et peuvent donc donner de fausses informations si la nature de l’environnement qu’elles traversent n’est pas bien connue.
L’étude de Patrick Peplowski pourrait aussi avoir des conséquences pour les observations d’exoplanètes. Elles sont nombreuses elles aussi à posséder des atmosphères épaisses qui masquent la vue. Les chercheurs utilisent donc des techniques utilisées sur Vénus pour voir à travers cette couche opaque.
« Dans ces cas-là, précise le chercheur, Vénus nous sert de base pour interpréter les informations que nous récoltons. Mais notre étude montre qu’il faut être d’autant plus prudent avec ces interprétations. » Les exoplanètes rocheuses avec une atmosphère épaisse sont la plupart du temps analysées par spectroscopie, c’est-à-dire que les données récupérées concernent la composition de leur atmosphère, ce qui sert ensuite à déduire ce qu’il y a dessous. Mais ces données sont limitées si on les compare à une voisine directe scrutée depuis plus d’un demi-siècle. Alors si même cette voisine a encore des secrets à révéler, cela signifie que nos maigres connaissances sur les mondes lointains pourraient être encore plus incertaines.
Vénus est-elle confinée ?
Il faut dire que lorsqu’il s’agit d’aller rendre visite aux voisins, Vénus est bien souvent laissée de côté au profit de Mars. La planète rouge a l’avantage d’être plus tempérée et donc confortable pour les équipements, plus visible sans atmosphère opaque, mais aussi plus propice à avoir par le passé accueilli la vie. Autant de raisons qui font qu’à partir des années 1970 l’exploration de Vénus s’est considérablement ralentie. En pleine guerre froide, les Soviétiques avaient multiplié les projets, mais depuis, la recherche est calme. On ne compte que trois missions pour les trente dernières années, la japonaise Akatsuki en 2010 est la dernière en date et n’a pas rempli la totalité de ses objectifs scientifiques en raison d’une mise en orbite ratée lors du premier essai.
Pourtant, ce type d’étude montre que Vénus a encore des secrets à révéler, et les auteurs espèrent que ces découvertes inattendues permettront le financement de futures missions. Il y en a en cours, notamment de la part des Russes qui comptent lancer leur première sonde depuis l’effondrement du bloc soviétique. Venera-D est en conception depuis 2003, mais après plusieurs retards et soucis budgétaires, le lancement est prévu pour 2024. La mission qui est encore en cours de définition comprend un orbiteur et un atterrisseur et doit analyser entre autres les nuages, l’atmosphère, mais aussi les caractéristiques du sol et l’activité sismique et volcanique.
Les États-Unis aussi veulent revenir dans la course plus de 30 ans après Magellan. Le projet DAVINCI pour Deep Atmosphere Venus Investigation of Noble gases, Chemistry and Imaging consiste en une sonde atmosphérique qui analysera la composition tout au long de sa descente. La mission est encore en cours de sélection auprès de la NASA dans le cadre du programme Discovery. Dans l’étude, les auteurs appellent à créer une cartographie complète de l’atmosphère vénusienne afin de comprendre enfin l’origine de cet azote.
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