Si la question de la généralisation des masques a enfin fait irruption dans la gestion de crise de Covid-19, il n’en reste pas moins que ces protections faciales doivent être combinées avec les autres mesures dites « barrières ». Parmi elles, se laver les mains au gel hydroalcoolique ou au savon, en rentrant, et régulièrement, est essentiel. Mais il y a aussi ce qu’on appelle la « distanciation sociale ». Pour beaucoup de scientifiques, ce terme est d’ailleurs mal choisi, il faudrait surtout parler de « distanciation physique ». En tout cas, l’idée est de proscrire les poignées de main, les bises et tous ces contacts rapprochés afin que chacun maintienne une importante distance avec les autres.
En France, la distance recommandée est d’un mètre minimum. Curieusement, d’autres pays n’indiquent pas exactement la même distance. Aux États-Unis, la distance physique est de 1,8 mètre (six pieds). Cette différence d’approche se reflète même sur les pages Wikipédia de la distanciation sociale : la version française indique simplement « se tenir à distance des autres personnes », là où la version anglo-saxonne est plus précise en indiquant « maintenir une distance (approximativement six pieds ou deux mètres) autant que possible ». Globalement, la distance minimum recommandée varie d’un pays à l’autre entre ces deux indications. En Italie et à Singapour, on retrouve les 1 mètre, quand en Espagne ou en Allemagne, les mesures indiquent 2 mètres.
Si cela peut apparaître comme un petit détail, ce qui sépare un mètre et deux mètres n’est en réalité pas anodin au quotidien, que ce soit dans le marquage au sol dans les boutiques ou la représentation que l’on fait de la diffusion du coronavirus. Alors, d’où viennent ces différences et que justifient ces choix ? Nous avons creusé ces questions à travers l’Histoire des sciences et les études les plus récentes.
La distance a historiquement évolué
Aux États-Unis, la consigne d’une distance de six pieds / deux mètres est donnée par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Dans d’autres pays du monde, le chiffre d’un mètre / trois pieds semble provenir non pas d’organismes nationaux, mais plutôt de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La consigne de l’OMS semble issue d’un postulat historique, en place depuis des décennies. L’une des plus anciennes traces remonte aux années 1930 : le médecin William F. Wells approfondit alors la mécanique par laquelle on expire des particules contaminées en éternuant et en toussant. Dans l’article de recherche paru en 1932 dans American Journal of Epidemiology, il détaille ses découvertes. Il estime que la charge infectieuse des gouttelettes infectées atteint avec une grande difficulté deux mètres, même s’il indique bien qu’il y a un potentiel pour que les particules parcourent de longues distances. Cela place alors la barre au dessous de deux mètres. Au final, la plupart des recherches ultérieures au cours du siècle en arriveront à la conclusion que les particules virales parcourent environ un mètre / trois pieds.
« Il est vrai qu’il existe différentes recommandations concernant cette distance »
La règle est longtemps restée. Mais si elle reste valable pour des rhumes classiques, le début des années 2000 signe un tournant. Face à l’épidémie du SRAS en 2002/2003, les scientifiques découvrent que ce n’est pas forcément pareil pour toutes les maladies. Les virus respiratoires pourraient provoquer l’émission de particules infectées dans un rayon plus élevé que seulement trois mètres. Dans The New England Journal of Medecine, une étude basée sur 120 personnes à travers le cas pratique d’un avion montrait la capacité infectieuse du SRAS dans ce lieu clos alors même que les sièges étaient séparés de 2,3 mètres. C’est potentiellement à partir de ces recherches récentes que la recommandation générale du CDC aurait commencé à se fixer plutôt sur la base de 2 mètres minimum, et donc six pieds.
Contactée par Numerama, l’OMS n’a pas vraiment su nous expliquer pourquoi l’organisation en était restée à un mètre. « Il est vrai qu’il existe différentes recommandations concernant cette distance », nous a écrit par mail une porte-parole. « L’OMS recommande une distance minimale d’un mètre pour réduire votre risque et fait partie d’une série de mesures — y compris pour les personnes malades qui restent à la maison et portent un masque — dont font aussi partie la distanciation physique et l’hygiène. » Il semblerait donc que l’OMS considère qu’un mètre est un minimum raisonnable lorsque cette distance est comprise dans un ensemble de mesures. On comprend qu’il s’agit presque d’une différence de philosophie de communication entre l’OMS et le CDC : l’OMS indique un seuil sous lequel ne pas tomber ; là où le CDC indique plutôt la distance à maintenir.
À noter que l’on peut relever une curieuse symbolique historique concernant les six pieds : les cadavres sont enterrés six pieds sous terre depuis le XVIIe siècle, une mesure qui avait été décidée au moment de la Grande peste de Londres de 1665, puisqu’il fallait éviter que les chiens déterrent les corps en creusant et continuent ainsi de répandre la peste noire. La mesure s’est vite exportée dans les autres pays anglo-saxons. Il n’y a pas vraiment d’explication sur pourquoi, à cette époque, le choix s’est porté sur six pieds. Il s’agissait probablement d’une volonté d’enterrer les corps le plus profondément possible. Cette anecdote ne peut pas constituer une explication au choix du CDC, mais montre que les « six pieds » ont une puissance symbolique très ancrée du fait de leur histoire.
Un chiffre indicatif : l’idée est de rester loin
Le coronavirus SARS-CoV-2 est nouveau, tant et si bien que les connaissances scientifiques sur le comportement exact de la maladie, lors de la transmission, ne sont pas encore très précises. Cela dit, il est certain qu’un éternuement, une petite toux, ou une forte expiration peuvent projeter des gouttelettes infectées, suffisamment pour qu’une simple discussion permette d’être contaminé. Or, une discussion se situe en général autour d’un mètre de distance. L’essentiel des transmissions semble donc se maintenir autour de 1 à 2 mètres (trois à six pieds).
Quelques études pointent cependant du doigt l’insuffisance d’une distance de sécurité de 2 mètres. Dans une étude très récente, qui a précédé Covid-19 mais dont les auteurs travaillent à réadapter les résultats à la crise actuelle, il est question d’une « chambre d’éternuement », une zone qui dépasserait les deux mètres. « Si vous êtes à deux mètres de quelqu’un qui éternue sans protection, alors en trois secondes environ, l’éternuement vous aurez atteint — et bougera encore. Même si vous êtes à deux mètres et demi, le courant d’air de l’éternuement peut encore se déplacer à 200 millimètres par seconde », a commenté l’auteur. Dans une étude du CDC, cette fois-ci dédiée au nouveau coronavirus, on peut également lire que « la distance maximale de transmission est de 4 mètres », un maximum qui est atteint toutefois dans des endroits clos et faiblement aérés comme dans un environnement hospitalier.
Quoi qu’il en soit, l’évolution historique des connaissances sur le sujet des transmissions par gouttelettes nous montre que la recommandation de l’OMS d’« un mètre minimum » est bien un minimum : une distance sous laquelle ne jamais aller. À partir de cette base, plus la distance sera élevée, mieux ce sera. Ce n’est pour rien que rester chez soi reste actuellement la meilleure façon de participer à endiguer la pandémie. L’indication du CDC n’est donc pas surélevée, au contraire, elle semble même encore plus adéquate. Les études scientifiques précédemment citées montent enfin que si la distance physique est importante, elle ne permet pas à elle seule de se protéger entièrement, beaucoup de facteurs entrent en jeu selon le contexte. Cela doit donc être combiné à toutes les autres mesures barrières, y compris des protections physiques comme les masques.
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